Robert Johnson a la cote et ce, depuis longtemps. Sa reconnaissance en tant que père du blues est solidement établie depuis les années 1930 et a été ravivée par le "Blues Revival" des années 1960.
Le père du blues, sujet d’inspiration de la BD contemporaine.
C’est dorénavant la BD qui s’est emparée de ce personnage fondateur hors-normes, à la fois guitariste et chanteur d’exception. Dès 2005, la collection BDBlues des Éditions Nocturne lui ouvrait ses portes, avec Jean-Sé au dessin et au scénario. Depuis 2008, quatre tomes du manga d’Akira Hiramoto, Me and the the Devil Blues, inspiré très librement de la vie de Robert Johnson, sont sortis aux éditions Kana. Plus récemment, c’est le duo Dupont-Mezzo qui s’y est collé dans Love in vain, un album très documenté, servi par un dessin remarquable, très noir et très tranché.
Que Frantz Duchazeau y consacre aussi une BD était donc dans la logique des choses, tant la musique traditionnelle américaine des pionniers occupe depuis longtemps une part importante de son oeuvre [1], depuis Le Rêve de Meteor Slim dans lequel Johnson était déjà très présent, jusqu’à Lomax, en passant par Black Face Banjo.
Ici, l’auteur se concentre sur la courte vie du bluesman en partant de ses derniers jours, ceux du voyage retour de New York et du Carnegie Hall où l’attendait le producteur John Hammond. Ce faisant, il déroule en réalité l’ensemble de la vie de Robert Johnson, malade, en proie à l’alcool et à ses souvenirs douloureux, jamais remis du décès de sa femme en couche, et, plus loin encore, de l’abandon à sa naissance par son père.
Un blues bien mis en image
L’épisode célèbre de la rencontre avec le diable à la croisée des routes est, en revanche, tout juste évoqué ici. Frantz Duchazeau se concentre plutôt sur les origines personnelles et sociales du blues de Robert Johnson dont il est dit : « Ce gars-là, il s’aime pas, et passe son temps à se saborder » ; « La déception, c’est ça le Blues ». La question des rapports entre Noirs et Blancs a bien sûr toute sa place aussi.
Un Blues bien mis en image, avec ce dessin au trait charbonneux si caractéristique de Duchazeau, et si différent de celui de Mezzo, en noir et blanc bien sûr, et sur un beau fond bleu de rigueur pour la couverture, somptueuse. Cela nous vaut des cases et des planches de grande qualité, qu’on a plaisir à contempler.
Si l’on peut discuter de l’opportunité d’une nouvelle BD sur Robert Johnson, on ne peut en revanche qu’être surpris que les textes des chansons soient quasi tous en français, là où l’anglais avait été de mise dans Le Rêve de Meteor Slim. La question de la mise en image de la musique reste un défi, pas simple à relever.
On recommande néanmoins chaudement Les Derniers Jours de Robert Johnson, à lire en écoutant les 29 chansons enregistrées par le bluesman, l’ensemble de cette œuvre ayant une durée qui ne dépasse guère celle de la lecture de cette BD ! [2]
(par Philippe LEBAS)
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[1] Sans s’y limiter pour autant. Que l’on se rappelle, entre autres, les superbes Gilgamesh, réalisé avec Gwen de Bonneval, ou bien Les Cinq Conteurs, avec F. Vehlmann au scénario. Un des fils conducteurs de cette œuvre, où la musique est très présente, est sa qualité constante.
[2] Même si l’extraordinaire They’re Red Hot vous forcera peut-être à faire une pause dans votre lecture.
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