Les Naufragés de la Méduse est une œuvre ambitieuse. Les auteurs nous racontent le naufrage de la frégate La Méduse, un fait marquant pour l’époque, et la façon dont Géricault en tira son plus fameux tableau. Où l’on découvre que les aventures du navire et du peintre sont étrangement liées l’une à l’autre...
Jean-Sébastien Bordas, qui assure pour partie le scénario et les dessins, a réalisé un travail de documentation colossal pour rendre compte avec autant de précision et de finesse l’époque qu’il traite. Fait divers maritime majeur du temps, le naufrage de La Méduse reste encore mystérieux et passionnant notamment pour l’impact qu’il a laissé dans l’Histoire.
Ce travail historique se révèle en particulier impressionnant dans la juste contextualisation de l’anecdote : nous sommes sous la Restauration, la rivalité entre le parti des Bourbons et celui des Bonapartistes est à son comble, sur fond de déploiement de l’empire colonial français.
Rien d’ennuyeux, au contraire. Ce genre de détails, qui restent discrets, viennent agrémenter un récit consistant qui, à défaut, deviendrait rébarbatif. L’auteur choisit de structurer son récit sous la forme d’allers-retours entre le "présent" de la narration, où l’on suit un jeune Théodore Géricault fraîchement de retour à Paris rassemblant la documentation pour le tableau.
S’esquissent bientôt deux groupes de personnages, qui se croisent parfois, et qui portent deux regards bien distincts sur la catastrophe. C’est brillant : on échappe ainsi à un pathos malvenu tout en restant confronté aux conséquences humaines du naufrage. Il aurait été facile de ne montrer que la vision lyrique du peintre qui voit dans ce drame une allégorie des tourments de Homme : une matière évidente, presque trop facile, ou, au contraire, choisir de se focaliser sur la seule dimension politique, prosaïque, de l’événement.
En mêlant les deux visions, Bordas et son co-scénariste Jean-Christophe Deveney parviennent à capter une époque dans toute sa complexité et son ambivalence. Car au delà de la portée idéologique postérieure et de l’instrumentalisation politique (et artistique) du naufrage, il s’agit avant tout d’hommes et de femmes qui ont perdu la vie.
La partie graphique est à la hauteur de cette ambition. Bordas use d’une aquarelle au réalisme diffus qui pose un voile presque onirique sur l’histoire. On apprécie tout particulièrement les séquences dans le Paris du début des années 1800, si souvent travaillé par les peintres et les poètes et qui nous apporte un regard neuf et bien des surprises sous les pinceaux de l’auteur.
Cela dit, malgré ses nombreuses qualités, le récit est un peu long, et quelques moments de creux pourraient faire décrocher le lecteur. Qu’à cela ne tienne, ce genre d’album se lit au long cours et se reprend plusieurs fois en main, qu’on soit ou non en confinement.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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"Les Naufragés de la Méduse" - Par Jean-Sébastien Bordas (scénario et dessin) & Jean-Christophe Deveney - Casterman - 176 pages - 26€ - À PARAÎTRE LE 27/05/2020.
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