Les matins doux - Par Ingrid Chabbert & Anne-Perrine Couët - Ed. Steinkis

Au moment de la Libération, Simone de Beauvoir est une enseignante qui a traversé la guerre en étant,en partie, suspendue de ses fonctions pour "incitation de mineure à la débauche". Cette sexualité qui passe parfois les frontières est indissociable de sa personne et de sa pensée, tant sa vie personnelle semble fonder ses réflexions sur le couple, les femmes, leur statut, et leurs relations aux autres, hommes ou femmes. À la Libération, elle affirme sa place d’intellectuelle en étant l’une des fondatrices de la revue Les Temps Modernes. Avec, entre autres, Raymond Aron, Boris Vian, et Jean-Paul Sartre. Ce dernier est son compagnon le plus régulier. En 1947, elle répond à l’appel de plusieurs universités américaines et atterrit à Chicago, avec pour seul repère, le numéro de téléphone d’un écrivain américain qui lui a été confié par une connaissance commune. Cet écrivain, c’est Nelson Algren, qui entraîne son invitée dans les bas-fonds de la ville. Pas farouche, Beauvoir s’amuse et passe de club en club avec celui qui, rapidement, devient son amant. Entre eux, la relation est torride, faite de chair quand Simone est sur place ou lors d’un voyage au Mexique, et épistolaire quand elle est à Paris.

On découvre dans cet album une Simone de Beauvoir assez éloignée de son image de femme de lettres, se laissant aller à des instincts libérateurs qu’elle assume pleinement. Durant près de quinze ans, les amants se retrouvent à intervalles réguliers ; mais Beauvoir revient toujours vers Sartre et Paris, comme s’il existait une vie de raison qui la ramenait à un rôle plus traditionnel, au grand dam d’Algren. Même si l’accent est mis sur la passion et l’érotisme entre les protagonistes, la pensée est toujours proche. C’est durant cet amour que Simone de Beauvoir a écrit Le Deuxième Sexe, tandis que Nelson publiait L’Homme au bras d’or, deux œuvres pour lesquelles chacun s’est inspiré de l’autre. C’est en effet en découvrant par le bais d’Algren la condition des Afro-américains que Beauvoir a en partie systématisé sa pensée sur la place des femmes.

Le récit d’Ingrid Chabbert relate fort bien cette liaison intello-amoureuse en dents de scie, en alternant scènes d’amour et passages réflexifs. On voit aussi les tourments qui traversent Algren et Beauvoir, quant à leur relation propre, et quant à leurs relations à d’autres. Le trait d’Anne-Perrine Couët, quant à lui, est réaliste, ce qui renforce la surprise de voir une Simone de Beauvoir dans des positions bien différentes de celles qu’on lui connaît habituellement. Même si l’ombre de Sartre plane durant tout le récit, on découvre que Beauvoir gardera de sa relation avec Algren un souvenir qu’elle emportera même jusque dans sa tombe.