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Louise Joor ("Neska du Clan du Lierre") : « L’instinct est pour moi quelque chose de positif qui nous relie à l’animal que nous sommes »

Par Charles-Louis Detournay le 10 février 2016                      Lien  
Après "Kanopé", Louise Joor scrutait les liens qui unissent l'homme et la nature. Dans "Neska du Clan du Lierre", elle donne encore plus d'épaisseur à cette réflexion en analysant cet instinct de survie qui subsiste dans chaque humain... Fut-il haut comme un mini-pouce !

Après Kanopé, on retrouve une nouvelle fois la thématique écologique sous-jacente à votre précédent album : est-ce important de signaler cette urgence planétaire au sein de la bande dessinée ?

Louise Joor ("Neska du Clan du Lierre") : « L'instinct est pour moi quelque chose de positif qui nous relie à l'animal que nous sommes »C’est important de la signaler partout. L’écologie n’est pas une « discipline » à part, c’est la prise de conscience de notre présence au sein de notre environnement (même si celui-ci est la ville) et notre interaction avec celui-ci. Ce qu’on produit, ce qu’on jette. Réfléchir à ce qu’on pourrait améliorer dans notre vie de tous les jours pour garder un certain équilibre, et à plus grande échelle, encourager les politiques qui sont également écologiques.

Dans Neska du clan du Lierre, je poursuis en effet un chemin amorcé avec Kanopé : celui de placer l’homme en tant qu’animal dans son environnement et montrer une nature incroyablement intelligente, mais bien réelle.

On suit ici la destinée d’une jeune fille qui subit d’importants bouleversements dans sa vie. Elle doit apprendre à composer avec un nouveau pouvoir. Devez-vous vous identifier à vos personnages principaux pour faire vivre vos univers ?

Oui, mais pas seulement. Je dois m’identifier à chaque personnage que je dessine, qu’il soit principal ou non, humain ou non, pour essayer d’être la plus juste possible dans sa représentation. J’essaie de comprendre chacun d’eux, même les personnages désagréables.

Pour vous donner un exemple, j’éprouve énormément d’empathie et même d’affection pour l’araignée et les perce-oreilles présents dans l’album alors qu’ils ne sont pas vraiment présentés comme « gentils ». Je fais confiance au lecteur pour comprendre qu’il n’est pas vraiment question de gentillesse ou de méchanceté de la part de ces petites bêtes, juste que leurs actions sont dictées par leur logique et leur mode de vie. C’est notre grande force à nous, êtres humains, de pouvoir réfléchir et essayer de comprendre l’autre.

Dans le monde de Neska, les immenses arpentent le territoire interdit...

Vous ne situez pas vraiment l’époque de votre aventure : peut-on légitimement penser qu’elle se situe après (ou avant) l’Homme ?

C’est intéressant de constater que vous ne proposez pas « pendant ». Pour ce qui est de l’époque, je renvoie pour le moment les lecteurs aux indices présents dans l’album et dans ceux à venir.

Vous évoquez une symbiose possible avec les animaux, est-ce une façon d’envisager une autre façon de nous comporter avec notre biotope ?

Je pencherais plutôt pour un apprentissage par l’observation de notre environnement, ce qui s’appelle le biomimétisme (je vous renvoie à un très bel exposé de Idriss Aberkane sur le sujet) et une application bénéfique de ce savoir à l’équilibre entre les différentes espèces terrestres. Il est impératif que l’être humain ne se serve plus de sa capacité de compréhension dans un intérêt uniquement économique, mais pense plus largement à la protection des espèces qui l’entourent et dont dépendent sa propre survie.

Dans Neska, l’intégration des deux-pattes (petits hommes) dans le mode de vie des petites bêtes et des insectes est un moyen de montrer là où cela pourrait éventuellement enrichir notre propre espèce. On verra que, selon les peuples, le taux d’intégration à un mode de vie qui nous est étranger peut être très bénéfique ou, au contraire, très destructeur.

Neska commence à développer d’étranges pouvoirs, dont celui de pouvoir communiquer avec les animaux, mais cela l’effraie...

Par rapport à Kanopé, vous avez modifié le format de votre livre, et donc son découpage et sa pagination.

L’univers de Neska me semblait être parfait pour une série d’albums au format dits classiques. La diversité qu’offre notre nature au format minuscule et le développement des cultures des différents peuples me permettaient de raconter une aventure par album tout en ayant un fil rouge : le personnage de Neska.

Vous avez développé une réelle structure sociale entre les clans, et que des codes de société dans Neska. Était-ce une façon de donner de la crédibilité à votre univers ou était-ce nécessaire pour votre intrigue ?

Les deux s’entremêlent. Comme pour mes personnages, j’ai besoin de comprendre complètement mon univers pour pouvoir le raconter et tirer parti des situations qu’il m’offre. Je sais par exemple que mon peuple escargot est végétarien. Si ce détail peut m’être utile plus tard dans un album, tant mieux ! Sinon, je saurai au moins comment les deux-pattes escargots réagissent à ce sujet.

Que cela soit par rapport à Kanopé et même tout au long de Neska, on ressent une évolution dans votre découpage et votre encrage : profitez-vous de toutes les occasions pour continuer à perfectionner votre technique ?

Louise Joor dessine elle-même son avatar de papier
(c) Louise Joor : pas d’utilisation sans autorisation préalable

Je ne m’en rends pas vraiment compte, le nez toujours sur mes planches, mais c’est vrai que j’intègre avec intérêt les remarques qu’on me fait sur mon travail. De même que j’analyse toujours avec attention les fictions que je regarde et que je lis, que ce soit au niveau du graphisme ou du scénario. Je suis très curieuse de tout ça et l’évolution dont vous parlez doit en venir, mêlée au travail en continu sur mes planches.

Vous présentez à certains moments un retournement des animaux contre l’Homme. Est-ce selon vous une des possibles conclusions de l’épuisement de notre biotope ?

Je ne vois personnellement pas cela comme un « retournement ». Ce ne sont pour moi que des réactions d’un organisme vivant face à un autre, suivant une certaine situation qui ne lui est pas agréable. Selon moi, la faune et la flore ne se ligueront jamais consciemment contre l’homme, sinon, vu les dégâts que notre espèce fait sur la planète, on ne serait déjà plus là. Par contre, c’est vrai qu’on voit déjà pas mal d’animaux sauvages (ours, loups, raton-laveurs,etc…) qui pénètrent dans les villes et parfois réagissent de manière agressive. Ce sont les conséquences de la mainmise de l’Homme sur leurs territoires et du manque de nourriture qui en découle.

Malheureusement, au rythme où l’on va, il est possible que ce soit de plus en plus fréquent pour de plus en plus d’espèces, oui. Espérons qu’on sera assez malins pour comprendre nos erreurs avant.

Vous dessinez surtout la nature et les animaux : est-ce une thématique qui vous réussit particulièrement ?

À partir du moment où il y a un intérêt, on s’entraine pour arriver à rendre le sujet le mieux posible. Quand j’avais 16 ans, je ne dessinais quasiment aucun décor et aucune nature, ça ne m’intéressait pas encore. Maintenant que c’est une thématique qui m’intéresse, j’ai pris plaisir à apprendre à la dessiner et j’ai progressé au fur et à mesure. C’est comme ça que ça devrait toujours se passer, l’envie d’abord et l’effort ensuite !

Cette passion du dessin des animaux se déploie sur les superbes pages de garde de l’album. Est-ce que vous réalisez beaucoup de crayonnés avant de vous lancer dans vos planches ?

Je réalise toujours beaucoup de croquis sur la faune et la flore avant de me lancer dans un album, particulièrement sur les insectes pour Neska car leur anatomie est très différente de celle des mammifères. De plus, il me faut comprendre le schéma de chaque famille avant d’aller voir la multitude d’espèces différentes qu’elle contient. L’univers des insectes et des petites bêtes est incroyablement vaste, et pourtant, seules quelques espèces atteignent la sphère de la culture populaire. Par exemple, je savais que la coccinelle rouge à 7 points n’était pas la seule coccinelle existante, mais je ne me doutais pas de la variété de coccinelles présentes en Europe.

Des crayonnés de Louise Joor, qui ont finalement été utilisés pour réaliser les pages de garde de l’album

On retrouve une fois encore le thème de la survie dans Neska. Vos héros et héroïnes doivent-ils être poussés par l’instinct avant de prendre de grandes décisions ?

Je ne sais pas trop. C’est peut-être le fait de toujours placer mes héros/héroïnes dans la nature qui fait ressortir l’aspect survie que vous mentionnez et donne plus de place à l’instinct. L’instinct est pour moi quelque chose de positif qui nous relie à l’animal que nous sommes.

Vous allez prolonger cet univers dans Le Rituel de la pluie : pourquoi ne pas avoir annoncé cela comme une série ?

Ce sont les Éditions Delcourt qui ont choisi de ne pas mettre les mentions « tome 1 » et « tome 2 » car ce sont deux tomes qui peuvent fonctionner indépendamment l’un de l’autre et sont conclusifs, mais l’idée est bien de lancer une série et de poursuivre avec d’autres albums.

Pourriez-vous donner un avant-goût de cette suite aux lecteurs ?

Dans le deuxième album de [Neska du clan du Lierre, Le Rituel de la pluie, Neska aura 14 saisons et devra se confronter à d’autres adolescents du peuple escargot dans une compétition lors de ce fameux Rituel. Ce tome nous plongera dans une partie de la culture du peuple escargot. Rien que d’en parler, j’ai hâte de le dessiner !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

Pour fêter la sortie de "Neska", Louise Joor vous propose un petit jeu en ligne développé avec la complicité de Mobidic, l’auteur de "Roi Ours".
Le but : retrouver l’héroïne cachée... dans le bureau de Louise Joor !

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire également notre chronique de Kanopé - Par Louise Joor (Delcourt) et son interview lors de la remise du Prix Saint-Michel de l’avenir : "La situation des auteurs de BD n’est pas évidente, c’est pour cela que j’ai poussé mon coup de gueule devant les politiques"

Pour fêter la sortie de Neska, Louise Joor vous propose un petit jeu en ligne développé avec la complicité de Mobidic (Roi Ours).

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Photo en médaillon : DR.

 
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