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Marché de la BD : Anatomie d’un malaise 2/3 : Un modèle économique bloqué pour l’édition alternative ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 février 2022                      Lien  
Cela a été publié cette semaine sur le site des éditions Rackham sous le titre : « Un bol d’air frais. » Il y a le constat que l’année 2021 a été exceptionnelle pour le métier comme pour ce petit éditeur : « Tirages record, ventes exceptionnelles, chiffre d’affaires en progression faramineuse. Un fantastique ballet de chiffres qui exalte une « santé » du livre criée sur tous les toits. Chez Rackham nous pourrions faire le même constat tant en ventes et chiffre d’affaires, les nombres suivent la tendance générale. Observée à travers ce prisme l’année a été bonne, très bonne, une des meilleures depuis que la maison a pignon sur rue, digne des « dix glorieuses » de la bande dessinée indépendante... » Puis vient cette conclusion : « Tout va très bien, donc. Pas vraiment. » L’éditeur a décidé de se donner « une année sabbatique » et de ne publier aucune nouveauté pendant un an. Pourquoi ? Pour réfléchir à un modèle de diffusion et distribution du livre qui puisse le soustraire aux « rouages écrasants d’une distribution industrielle auto-dévorante ».

Marché de la BD : Anatomie d'un malaise 2/3 : Un modèle économique bloqué pour l'édition alternative ? Bigre. Effet de tribune pour faire le buzz ? Peut-être, mais le fonds de la discussion interpelle. Rackham qui célèbre ses 22 ans cette année a quelques beaux succès à son actif, notamment en 2021 le dernier roman graphique de Liv Strömquist, Dans le palais des miroirs, qui se vend bien. Mais la question concerne un marché commercialement formaté, «  taillé sur mesure pour une édition industrielle, aux formats standardisés, aux cycles de production presque instantanés, à la reproduction inlassable de formules à succès ».

L’impact d’une gestion informatisée

En cause, notamment, le scoring en place chez les libraires. Aujourd’hui tout est informatisé. Le réflexe, pour un libraire qui a certes un droit de retour mais qui doit payer le port des ouvrages retournés, est d’éviter l’immobilisation de stock. On commandera plus facilement un album d’un éditeur alternatif à 1 ou 3 exemplaires, que des Astérix, des One Piece ou des Blake et Mortimer que l’on installe en piles. Le scoring permet d’analyser l’historique des ventes d’un auteur ou d’une série. Il anticipe les tendances, évalue immédiatement la rentabilité de l’investissement et donc le risque d’invendus. Cela concentre l’attention, et donc les investissements, sur les séries dont les rotations sont les meilleures et sur lesquelles les éditeurs mettent un effort de marketing conséquent.

« Tout en soulignant l’engagement à donner sa chance à un livre sur la base de leur intime conviction sur ses qualités et pertinence, écrivent les éditeurs de Rackham, ces mêmes libraires avouent en même temps l’impossibilité de le faire pour tous le livres qui leur sont proposés. Le recours au critère quantitatif est donc inévitable et l’historique des ventes d’un auteur devient le seul critère de leur choix. Les livres d’auteurs au bon historique seront retenus au détriment de ceux à l’historique mauvais (ou inexistant). »

© Éditions Rackham

Résultat, les riches deviennent de plus en plus riches (plus les tirages sont grands, meilleures sont les marges) et les pauvres de plus en plus pauvres. Quelques auteurs profitent de la manœuvre mais la plupart ne peuvent plus en vivre décemment et sont obligés d’élargir leur modèle économique à d’autres activités (vente des originaux, commissions, enseignement, publicité…) Nous creuserons davantage cette question dans un prochain article.

Le problème de la distribution

Rackham pointe surtout une diffusion-distribution qui, elle aussi, œuvre dans ce sens de la course au profit dans un contexte qui est celui d’une hyper-concentration annoncée par la fusion entre Hachette et Editis conduite par le groupe Bolloré.

Et de dénoncer son caractère systémique : « Composer avec ce système, dont les effets néfastes vont certainement s’amplifier à l’aune des vertigineuses concentrations éditoriales à venir, nous semble impossible sans en épouser ouvertement la logique et lui remettre, en fin des comptes, notre âme. »

L’édition alternative est-elle coincée dans un système de diffusion-distribution qui sert d’abord le grand capital ? L’hypothèse n’est pas nouvelle et renvoie à une réflexion d’André Schiffrin développée dans L’édition sans éditeurs (1999).

"Un bol d’air"

Avec un peu de pathos, l’éditeur d’Alberto Breccia annonce sa prise de congé pendant un an : pas de nouveautés pendant cette période. « Les livres déjà au catalogue continueront à être réimprimés s’ils venaient à s’épuiser » prend-il soin de préciser. Le temps de réfléchir à un nouveau mode de diffusion et de distribution alternatif plus vertueux. Une bouteille à encre.

Peut-être Latino Imparato, le timonier de Rackham, s’apprête-t-il à relancer un nouveau Comptoir des indépendants comme aux belles années de l’édition alternative des années 2000 ? À suivre, en tout cas…

Voir en ligne : Le billet des éditions Rackham

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782913372023

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