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Nicolas de Crécy : « J’ai besoin de renouveler constamment les systèmes, graphiques et narratifs »

Par Charles-Louis Detournay le 15 février 2011                      Lien  
Auréolé de nombreux prix dont l’Alph-Art du meilleur album en 1998 pour le T2 de {Léon la came}, Nicolas de Crécy ne cesse de varier les styles pour mieux (se) chercher en bande dessinée. Il a ainsi réalisé [un guide sur Florence->br4260], dont les dessins sont exposés chez Champaka. L’occasion de varier son trait parfois sarcastique pour se rapprocher d’une transposition personnelle de sa vision du monde.

Pourquoi avez-vous choisi de traiter préférentiellement Florence par rapport à d’autres villes ?

Nicolas de Crécy : « J'ai besoin de renouveler constamment les systèmes, graphiques et narratifs »
J’ai été contacté au début du projet éditorial entre Lonely Planet et Casterman. Le concept me tentait, mais j’ai demandé à pouvoir me centrer sur une ville du sud de l’Europe et accessible en train. Je ne suis effectivement pas un grand fan de l’avion, pas besoin de vous faire un dessin ! J’aime effectivement beaucoup l’Italie, et comme deux des plus grandes villes touristiques que sont Venise et Rome étaient déjà prises par les guides de Pratt et Martin, j’ai choisi Florence qui me convenait parfaitement, autant dans une voie artistique qu’architecturale !

Pourquoi Florence particulièrement, et pas Naples ou Palerme ?

Maintenant que vous m’en parlez, j’aurais peut-être préféré Naples qui est une ville plus vivante que Florence, devenue presque un musée à plein air. Mais je pense que Naples est moins touristique, et comme le projet est bien de réaliser un guide spécial pour les visiteurs, il fallait remplir tous les objectifs.

Dans vos représentations, vous avez choisi de dessiner des éléments incontournables, mais d’autres moins…


Au départ, je pensais que j’aurais pu réaliser une sorte de carnet de voyage, en toute liberté. Puis je me suis rendu compte qu’effectivement, je ne pouvais déroger aux centres d’intérêt touristique de la ville. Il y a donc des dessins que j’ai réalisés sur site et qui finalement ne correspondaient pas réellement aux promenades du guide. C’est pour cela que nous les avons regroupés en fin de volume, dans un cahier graphique.

Pour cette exposition que vous présentez, vous avez réalisé des dessins complémentaires qu’on ne trouve pas dans le guide ?

Tout-à-fait, car mes dessins sont généralement assez petits ; c’est un format de travail qui me convient bien et que j’apprécie. Mais pour les besoins de l’exposition, j’ai réalisé deux plus grands formats, sans doute les pièces maîtresses qui reprennent les deux courants que j’ai abordés dans le guide.

Dans une part de vos dessins, on retrouve votre univers, à la fois poétique et légèrement surréaliste, tandis que pour d’autres, vous demeurez plus ‘classique’…

Effectivement, j’ai représenté les touristes américains visitant les bâtiments, ainsi que d’autres petits décalages par rapport au réel, mais je ne pouvais me ‘lâcher’ ainsi sur chaque dessin. Ce serait devenu totalement indigeste, et nous serions passé à côté du but du guide : illustrer les promenades. Toutefois, j’avoue m’être sans doute plus amusé sur ces dessins-là ! Rétrospectivement, j’aurais aimé dessiner plus de touristes à casquette et pesant 120 kgs ! (rires) Toutefois, il y a un grand intérêt de se concentrer uniquement ces bâtiments et ces ambiances. Dessiner cette architecture a été de vraies vacances, car c’est un plaisir sans cesse renouvelé. À côté de mon style en bande dessinée, je trouvais intéressant de mettre ma vision personnelle en retrait, pour retrouver un dessin plus ‘simple’, c’est-à-dire utiliser des systèmes pour représenter une réalité. Cela suit d’ailleurs ma démarche actuelle.

Vous voulez sortir de l’imaginaire pour vous pencher vers une autre vision du réel ?

Actuellement, je suis fasciné par un peintre nommé David Hockney et son rapport à la réalité. Sa démarche est complexe, mais on peut la résumer ainsi : j’ai quelque chose devant moi, comment vais-je la représenter avec les instruments que je possède ? C’est donc un ensemble de techniques différentes pour donner à chaque fois une part de ma vision globale.

Récemment, vous avez pourtant encore varié énormément les modes d’expression : un dessin plus fouillé mais poétique dans Salvatore, l’illustration de textes pour L’Orgue de barbarie, presque un carnet dans Le Journal d’un fantôme…Vous avez besoin d’explorer de nouvelles voies de narration ?

Pour moi, c’est la seule chose qui soit intéressante ! Sinon, c’est l’ennui qui pointe directement le bout de son nez. J’ai besoin de renouveler constamment les systèmes, qu’ils soient graphiques ou narratifs.

Vous avez pourtant presque enchaîné deux Salvatore d’affilée. C’était l’envie de finir cette épopée ?


En réalité, j’aurais préféré expérimenter une recherche plus radicale pour un autre album, telle que Prosopopous, mais l’inspiration n’est pas venue. J’ai donc terminé le dernier Salvatore pour garder la main avec une narration plus classique en bande dessinée tout en réalisant les dessins de Florence, l’un me reposant de l’autre. Pour la suite, j’attends donc toujours l’inspiration pour un prochain album ! (rires)

Mais avez-vous encore envie de continuer la bande dessinée, ou cette exposition vous permet-elle de vouloir toucher un mode représentatif plus défini ?

Concernant un prochain en bande dessinée, cela devient difficile, car il faut s’engager sur 60 ou 80 pages. C’est un investissement assez lourd, et comme j’ai déjà essayé pas mal de voies différentes, je ressens un souci de renouvellement sur ce média. Je pense qu’il y a des moyens autres que la bande dessinée pour s’exprimer en dessin. J’ai déjà réalisé quelques très grands dessins que je n’ai pas encore montrés pour l’instant. On s’éloigne pourtant de l’illustration. Par exemple, j’aime beaucoup ce que fait Jockum Nordström. Ce sont de grands dessins à l’aquarelle ou au fusain, mais qui se rapproche plus de l’art contemporain. Le dessin peut donc être entier sans être lié à l’illustration. C’est également ce que j’apprécie chez David Hockney comme j’en parlais précédemment : la vision partagée avec les éléments dont je dispose. Pour moi, c’est un des plus grands dessinateurs du XXe siècle. Mais pour ma part, je suis toujours en recherche. On verra où cela me mènera…

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire nos chroniques précédentes des albums de Nicolas de Crécy : Journal d’un fantôme et Période glaciaire

Nicolas de Crécy :
Exposition-vente Florence
du 11 février au 13 mars 2011
Galerie Champaka
27, rue Ernest Allard

B-1000 Bruxelles

Tel : + 32 2 514 91 52
Fax : + 32 2 346 16 09
sablon@galeriechampaka.com

Horaire
Mardi à samedi : 11h00 à 18h30
Dimanche : 10h30 à 13h30

 
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14 Messages :
  • Pendant que certains s’étripent pour savoir qui est le plus beau, le plus grand, le plus fort, le plus primé, le plus au dessus de l’autre, d’autres cherchent... Bravo à vous de nous émerveiller avec vos pinceaux et votre sensibilité.

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  • Quel talent, mais quel talent ! Alors, non d’un chien, à quand le Grand Prix d’Angoulème ????

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  • J’adore les dessins de Nicolas de Crécy, en revanche, il lui faut un scénariste car il n’a jamais rien d’intéressant à raconter, Salvator, Journal d’un fantome, Période glaciaire ou Prosopopus sont indigents et ne tiennent que par son dessin magistral. Le bibendum céleste lui-même n’a pas tenu ses promesses et la fin est lamentable.

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    • Répondu par PPV le 16 février 2011 à  12:40 :

      bien d’accord avec Jacques : avec un solide scénariste, de Crecy accédera à davantage de reconnaissance et son incroyable dessin sera mieux mis en valeur. Reste que sa seule expérience en duo (avec Chomet pour Leon La Came) a commencé sur un très haut niveau avec un album sublime, pour ensuite se tasser dans le tome suivant (c’est mon avis, hein ! l’album a eu le prix à angoulème) et s’effondrer complétement dans le 3e. J’ai vraiment eu le sentiment que Chomet a voulu démolir un chef d’oeuvre en écrivant un dernier opus lourdingue. A-t-il voulu nuire à de Crecy, c’est la question que je me pose. Depuis, il a toujours bossé en solo, est-ce par choix ou par contrainte, mystère.

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      • Répondu par monsieur The web lecteur le 16 février 2011 à  13:31 :

        Il est presque de notoriété publique que De Crécy et Chomet sont en de mauvais termes suite à la réalisation du long métrage d’animation les triplettes de Belleville, réalisées par Chomet lui-même. Ce qui donne largement raison à De crécy qui a accusé Chomet dans ce dessin animé, d’avoir plagié son univers. N’on-t-il pas été en procès d’ailleurs ?

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        • Répondu le 16 février 2011 à  17:00 :

          De Crécy est jaloux de Chomet, de son succès. De Crécy n’arrive pas à faire son dessin animé (l’orgue de Barbarie) alors que Sylvain Chomet en fait de superbes dont le dernier, l’Illusionniste d’après Jacques Tati est nominé plusieurs fois aux Césars et aux Oscars à Hollywood. Chomet est un excellent raconteur d’histoires, ce que n’est pas De Crécy et il a prouvé qu’il pouvait se passer de De Crécy sans problème.

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          • Répondu le 16 février 2011 à  21:31 :

            Mhhhh, il a tout de même fait un bon court métrage chez les japonais il n’y a pas longtemps :)

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          • Répondu par monsieur The web lecteur le 17 février 2011 à  00:13 :

            Ha pardon. Si les films de Chomet sont nominés aux césars et aux oscars, c’est que ça doit être gage de qualité. Je vois que monsieur est un adepte de Lady Chatterley, César du meilleur film en 2007.

            Quand à la pseudo jalousie de De Crécy, c’est vous qui l’affirmez. En attendant, Katsuhiro Otomo a fait appel aux services de De crécy pour le film Steam-Boy. Pendant que Chomet va piller dans le tiroir des autres pour trouver l’inspiration.

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            • Répondu le 17 février 2011 à  19:35 :

              Pendant que Chomet va piller dans le tiroir des autres pour trouver l’inspiration

              N’importe quoi, le scénario de l’Illusionniste de Jacques Tati, c’est la fille de Tati qui l’a proposé à Sylvain Chomet, il n’a fouillé nulle part ni n’a pillé quoique ce soit, ses films sont magnifiques car il a beaucoup de talent et sait s’entourer d’artistes de talent, un dessin animé est un oeuvre collective et L’Illusionniste doit visuellement beaucoup plus aux 101 dalmatiens de Walt Disney qu’à quoique ce soit d’autre.

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          • Répondu le 17 février 2011 à  01:39 :

            J’avais cru comprendre (mais, allez savoir, les gens sont si médisants) que Chomet s’était "fortement" inspiré de De Crecy pour les Triplettes et que quand ce dernier avait été demarcher les boites de prod avec son projet perso, les gens du cinéma lui avaient claqué la porte au nez, l’accusant de plagier graphiquement Chomet !!!? Mais peut-être ai-je mal compris, ou suis-je tombé sur des médisants...

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    • Répondu le 16 février 2011 à  18:32 :

      euh... Journal d’un fantôme indigent ? J’ai trouvé bien pire dans le genre.... journal... et Prosopopus, je vous trouve bien dur aussi, l’histoire se lit et les passages d’une scène à l’autre bien trouvés. En revanche je vous accorde qu’il est facile de se perdre avec le bibendum, et Salvatore pas vraiment indispensable....
      Allé, attendons encore quelques années (mais pas trop) pour un grand prix à Angoulême !

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  • Sur la question du cinéma d’animation, n’oublions pas qu’avant "Les Triplettes", Chomet et De Crecy ont fait ensembles un magnifique court-métrage intitulé "La Vielle dame et les pigeons". Tous les décors et l’esthétique était du pur De Crecy. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux après coup, mais, animosité ou pas, j’ai trouvé absolument dégueulasse de la part de Chomet que l’apport plus qu’évident de De Crecy ne soit même pas remercié ou même cité dans le générique des "Triplettes". Chomet est indéfendable là dessus. Pareil pour "l’Illusionniste" d’ailleurs, les décors sont De Crecyesques et toujours pas un mot.

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    • Répondu le 17 février 2011 à  16:52 :

      Ce style n’appartient ni à l’un ni à l’autre, ils l’ont créé ensemble dès leurs années d’études, comme des Dupuy-Berberian, personne n’a plagié personne.

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  • Sur les scénarios de De Crecy, il y a quand même "Monsieur Fruit" qui est vraiment hilarant et avec une histoire assez linéaire.

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