Il fallait tenir compte des variations subtiles de cette honte, la zone grise qui sépare l’érotisme de la pornographie. Une frange très codifiée qui requiert un avis -quasiment juridique- de spécialiste. Et là, il nous dit quoi le spécialiste qui nous écrit une introduction garantie « sans vases grecs », c’est-à-dire sans justification historique oiseuse : qu’il aurait été dommage, tant qu’à œuvrer dans l’illicite, dans « l’outrage aux bonnes mœurs » que l’on continue à dissimuler les organes génitaux sous une feuille de vigne. Donc que, « bande dessinée érotique clandestine », ça veut dire porno.
L’aventure commence évidemment par l’image « érotique non clandestine », « artistique » qui s’inspire de la peinture de genre mettant en scène les scènes intimes domestiques (« le Coucher de la mariée »), les effeuillages mythologiques, et autres « modèles ». Au tournant du XIXe et du XXe siècle, ces publications avaient des noms guillerets : Parisiana, Fantasio, Le Sourire… illustrées par les grands noms de la BD d’alors comme René Giffey ou Étienne Le Rallic.
Mais de l’autre côté de l’Atlantique, où l’on sait ce qu’est l’hypocrisie -comme ce bas nylon qui respecte la règlementation biblique de couvrir les jambes des femmes, tout en les révélant- les Dirty Comics ne se contentent pas d’enfiler, si vous nous permettez l’expression, les scènes obscènes avec plus ou moins de talent : ils mettent en situation, toute flamberge dehors, des héros de bande dessinée plébiscités par l’enfance : Mickey, Popeye, Dick Tracy, Flash Gordon vivent leurs exploits au-dessous de la ceinture, avec Betty Boop en cheffe de file pigeonnante.
Autre interdit transgressé : la politique. Dès 1941, des BD pornographiques italiennes mettent en scène « La vie intime du Condottiere » tandis que, vers 1944, une suite de cartes postales est publiée en trois langues où le Duce et le Führer sacrifient leur virilité face à des fusiliers marocains. Plus tard, ce seront Margareth Thatcher et Giscard d’Estaing, mais aussi, plus tard, Ségolène Royal et Martine Aubry entre elles, alias Marie Segouline et Martine Debris, qui vivront de joyeux ébats, ces derniers réservés sans doute à une audience de fachos au rire gras.
Bernard Joubert publie de nombreuses pages de ces bandes dessinées « du second rayon » dont certaines images feraient passer Bastien Vivès pour un prude séminariste. Un Panorama pas forcément « bandant » mais qui décrit parfaitement une époque peut-être révolue. À lire avant que Dame Anastasie, toujours présente, ne ressorte son sécateur.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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