Tintin au Congo est-il un livre raciste et son auteur, Hergé, l’était-il ? La question risque de resurgir dans les jours qui viennent avec l’annonce d’une nouvelle édition recolorisée de cet album de 1931. Le Sud-Africain Anton Kannemeyer, qui signe également Joe Dog, ne se pose pas la question : il fait simplement le constat que le racisme était et reste un fléau pour le continent africain et au-delà.
Comme le montre Pappa in Afrika, édité par La Cinquième Couche fin 2018, Tintin au Congo est une véritable matrice graphique et intellectuelle pour Anton Kannemeyer. Il ne s’agit pas de plagiat ni même d’inspiration, mais de la reprise, par le détournement, de toute une iconographie et d’un système de pensée, afin de les dénoncer en pointant, grâce au grotesque, leur violence et leur iniquité.
Dans une enfance troublée, marquée par la séparation de ses parents et la présence terrorisante de son père, la bande dessinée et en particulier Les Aventures de Tintin ont servi de refuge à Anton Kannemeyer. Plus tard, devenu jeune adulte, le dessin lui permet de se libérer du joug familial et social. Il questionne l’Afrique du Sud, découvrant peu à peu le racisme institutionnel, et provoque brutalement, aussi bien par son trait que par ses sujets, notamment au sein de la revue Bitterkomix.
L’anthologie Pappa in Afrika permet de reconstituer ce parcours mais aussi de découvrir des œuvres récentes du dessinateur. Toutes ne sont pas inédites, puisque L’Association (Bitterkomix, 2009), Le Monde diplomatique (hors-série, 2010) et La Revue Dessinée (numéro 8, 2015) en avaient déjà publié une partie. Mais nombre de nouveautés sont présentées par La Cinquième Couche, y compris par rapport aux versions en anglais, finnois et allemand de l’ouvrage. Ce sont donc plusieurs dizaines de dessins, peintures et bandes dessinées en noir et blanc et en couleurs qui sont regroupées dans Pappa in Afrika.
Cet ensemble en apparence disparate provoque un profond malaise. Il met en effet en exergue un racisme que nous occultons encore beaucoup, surtout depuis la fin de l’apartheid en 1991 et la fondation de la « nation arc-en-ciel ». Mais si le racisme n’est plus officiel en Afrique du Sud, il y demeure fortement présent. Une quarantaine d’années d’un régime fondé sur la discrimination raciale ne s’efface pas en un clin d’œil. Les mentalités, les habitudes ou la géographie urbaine restent marquées par ce système politique et social.
Anton Kannemeyer a donc choisi l’art pour dénoncer cet état de fait. Son Pappa, avatar chauve et malsain de Tintin, lui permet de choquer pour mieux éveiller les consciences. Au-delà de la parodie, il convoque le sang et le sexe pour créer un électrochoc où le rire et le dégoût se mélangent. L’hypocrisie et la lâcheté d’une partie des Sud-Africains sont ciblées, mais aussi les contradictions du régime post-apartheid et de ses dirigeants.
L’Afrique du Sud est au cœur de l’œuvre du dessinateur, mais il réserve également quelques-unes de ses flèches au reste du continent africain, soulignant l’exploitation dont il fait l’objet autant par ses despotes que par les Occidentaux. Il montre ainsi que le post-colonialisme est une réalité encore d’actualité et que les problème de l’Afrique ne sont pas seulement ceux des Africains, mais de tous. Pappa in Afrika, ouvrage foisonnant où la « ligne claire » n’est qu’une partie de la palette d’Anton Kannemeyer, vaut ne serait-ce que pour ce rappel indispensable.
(par Frédéric HOJLO)
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Pappa in Afrika - Par Anton Kannemeyer - La Cinquième Couche - traduction de William Henne - 20,5 x 28 cm - 160 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 6 décembre 2018.
Lire une biographie de l’auteur (en anglais) & un entretien sur le site du9.org (par Xavier Guilbert, octobre 2011).
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