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Pascal Colpron : « Mort et Déterré m’apparaît comme une célébration de la vie sous toutes ses formes »

Par Adrien LAURENT le 28 mars 2022                      Lien  
Depuis trois albums, le duo canadien Jocelyn Boisvert et Pascal Colpron, raconte les aventures de Yan Faucher un adolescent mort-vivant. Entre comique et tragique, cette série ne laisse pas indifférent, rencontre avec son dessinateur, Pascal Colpron.

Pourriez-vous d’abord vous présenter aux lecteurs d’ActuaBD. Comment êtes-vous arrivé à faire de la bande dessinée ?

Amateur de bande dessinée et dessinant depuis l’enfance, j’ai longtemps rêvé d’une carrière en BD, mais je ne me suis pas vraiment lancé avant la mi-trentaine. Ça m’apparaissait très difficile de percer : dans les années 1990, le milieu était beaucoup plus fermé qu’aujourd’hui. Je n’ai pas pris comme d’autres le chemin des fanzines, ni tenté l’aventure auprès des éditeurs américains ou franco-belges. Après des études un peu erratiques en graphisme, en arts visuels et en communication, je me suis orienté vers une carrière en animation 2D/3D. Mes aptitudes en dessin m’ont conduit à travailler dans une boîte d’effets spéciaux numériques à titre de storyboard’s artist et de directeur artistique pendant une décennie. En faisant du storyboard, je faisais un peu de la BD, mais dans un autre cadre d’emploi, plus stable…

En 2007, inspiré par les pionniers du blog BD, je me suis mouillé à mon tour en racontant mes expériences de nouveau papa dans un blog qui s’appelle Mon Petit Nombril, et qui s’est avéré une excellente carte de visite lorsque je me suis mis à fréquenter les festivals et événements BD. Le mot s’était passé dans le monde de la BD québécoise : on connaissait mon travail ! Martin Brault et Frédéric Gauthier, des éditions de La Pastèque, ont voulu publier une sélection de mes planches en album. Mon premier album ! Rien ne m’empêchait plus de me consacrer à la bande dessinée. De fil en aiguille, je me suis rendu jusqu’à vous.

Pascal Colpron : « Mort et Déterré m'apparaît comme une célébration de la vie sous toutes ses formes »
Couverture du premier album de la série.

Quel genre de bande dessinée lisiez-vous plus jeune ? Avez-vous un maître dont le dessin vous a particulièrement marqué ?

Il y en a tellement !… Mes premières lectures BD, comme bien d’autres, furent les Astérix, les Lucky Luke, Les Schtroumpfs et les Tintin que je pouvais lire chez mes grands-parents. J’aimais bien la douce sentimentalité des Boule et Bill, les gags de Gaston et les comics de Mickey et Donald, remplis de surprises et d’action. Mes tous premiers essais en BD mettent d’ailleurs ces derniers en scène.

Un jour, mes grands-parents m’ont offert deux recueils du journal Spirou que j’ai lus et relus et qui m’ont inspiré à faire mes propres bandes dessinées, avec mes propres personnages. J’étais encouragé par un de mes oncles et je faisais des petits gags dans mon agenda pour faire rire mes copains.

En 6e année du primaire, à la bibliothèque de mon école, qui était bien garnie en BD, j’ai découvert le génie d’auteurs comme Gotlib, Brétécher et Fred

Quand ma municipalité s’est enfin dotée de sa propre bibliothèque, j’ai dévoré tout ce qui s’y trouvait. Il y avait des reliures des premiers Spirou et Fantasio et des Lucky Luke des débuts. J’ai compris comment le trait des auteurs évoluait avec le temps. Puis ce fut l’électrochoc de la BD adulte, par l’entremise de périodiques comme Croc (ici au Québec) et (À suivre) (en France).

Adolescent, j’ai commencé à collectionner les comics de super-héros. J’étais un grand fan de Mike Mignola et de Jim Lee. Dans les bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur où j’étudiais j’ai plongé avec la plus grande des délectations (et au détriment de mes résultats scolaires) dans les reliures de Pilote, de Fluide Glacial, de Métal Hurlant, les albums de Bilal, de Jean-Claude Forest, de Gillon, de Van Hamme, de Moebius, mais aussi dans les Spirit de Will Eisner, l’œuvre de Richard Corben et les vieux EC Comics.

Bref, jusqu’à l’apparition d’Internet j’ai été un véritable rat de bibliothèque, et comme autodidacte, j’ai absorbé des tonnes d’influences autant européennes qu’américaines.

Quelles sont les séries sur lesquelles vous avez travaillé avant Mort et déterré ?

Ma série autobiographique Mon Petit Nombril, pour le blog, puis une série historique (que je poursuis toujours d’ailleurs) qui s’appelle Félix, Zoé et le Chronoscope, publiée dans les hors-série « sports » et « art » du magazine Les Débrouillards, un périodique jeunesse qui est une institution au Québec.

J’ai également assisté Delaf sur quatre tomes des Nombrils (décidément, on connectait sur cette partie de l’anatomie). Notre collaboration m’a énormément appris sur le métier. Je travaillais principalement sur les décors et les accessoires ; j’ai découvert que j’aimais beaucoup fignoler le dessin des voitures !

La sortie de Yan de son cercueil dans le premier tome.

Comment êtes-vous venu à collaborer avec le scénariste Jocelyn Boisvert ?

Tout simplement, j’ai illustré des couvertures de quelques uns de ses romans, puis Delaf, qui est un de ses amis d’enfance, nous a proposé de soumettre ensemble un projet de série à Benoit Fripiat [Éditeur chez Dupuis. NDLR].

Comment se déroule la collaboration avec le scénariste et la répartition des rôles ? Avez-vous votre mot à dire sur l’histoire ?

Un peu… mais c’est Jocelyn qui est aux commandes de l’histoire, comme moi je suis aux commandes du dessin. Jocelyn me surprend avec un scénario divisé en cases et dialogué, et après avoir pris le temps d’en faire une lecture annotée, je m’attable sur un découpage sur papier et en petit format. Quand c’est terminé, je scanne ce découpage, j’ajoute le lettrage et je l’envoie à Jocelyn afin que nous puissions discuter du résultat ensemble, en visioconférence, puisqu’il habite très loin de Montréal, aux Îles-de-la-Madeleine. À la suite de nos discussions, même pendant, parfois, je modifie ou j’affine certaines séquences que Jocelyn visualisait autrement, mais mon expérience en storyboard aide beaucoup à transmettre des idées visuelles sur papier, alors ça se fait assez rapidement et harmonieusement.

Une fois que nous sommes au diapason sur le découpage, j’enclenche la longue étape de la mise au propre des planches, à partir du découpage. S’il y a de nouvelles idées qui surgissent à ce moment-là, et qui modifieraient le scénario ou bien une réplique, j’en fais part à Jocelyn pour avoir son accord. Sinon le travail se fait principalement seul et c’est une fois qu’elles sont terminées que je surprends à mon tour Jocelyn avec les planches au propre.

La couverture du deuxième album de la série.

Votre série aborde le thème de la mort, n’est pas trop difficile de travailler au quotidien sur ce thème ?

Pas vraiment, non. On parle de la mort, certes, mais Mort et Déterré m’apparaît une célébration de la vie, sous toutes ses formes, ainsi que de la résilience, de l’amitié et de la valeur de la famille. Ça émeut, mais ça ne déprime jamais, bien au contraire !

Comment vous êtes-vous retrouvé dans Spirou ?

Tout naturellement ! Mis à part les couvertures que j’avais faites pour les publications de nos tomes découpés en épisodes, j’ai commencé à collaborer au journal lorsque Adrien Vinay, de la rédaction, m’a contacté pour me demander si je voulais participer à la série La Leçon de BD, proposition que j’ai acceptée avec grande joie ! J’ai eu l’idée de me dédoubler en versions acerbe et gentille pour faire une critique équilibrée et divertissante des planches soumises par les lecteurs. Puisque je me mets en scène, c’est en quelque sorte dans la lignée de mon blog…

Ensuite, on m’a demandé si je voulais faire un jeu spécial pour Halloween en représentant les personnages-vedettes du journal, ça tombait bien, car je suis un fan de jeux de société ! J’en ai fait d’autres depuis, en plus de petites animations, et récemment, des gags et des planches hommage. C’est une collaboration qui m’apporte beaucoup de plaisir, encore plus quand je pense aux recueils qui m’ont tant diverti, tout petit !

Combien d’albums de Mort et déterré auront nous la chance de lire ?

Le plus possible, j’espère ! Bien qu’il soit présenté comme une grande finale, le tome trois n’est que la fin d’un cycle, vous pourrez le constater en le lisant, la porte est grande ouverte pour une suite ! Jocelyn et moi entrevoyons bien des aventures rocambolesques pour notre pauvre Yan, et nous comptons bien donner des réponses aux mystères qui ont été semés dans le premier cycle !

Lorsque le dessinateur se met en scène face à sa propre créature.

Quelle est votre méthode de dessin ?

Je travaille en numérique, sur iPad pro, avec Procreate qui est une appli formidable. Après avoir dessiné avec Photoshop et Clip Studio, j’ai vraiment trouvé mon environnement de travail préféré là-dessus, c’est épuré, fluide, flexible. Je commence souvent avec une esquisse papier pour dégrossir le concept, l’angle, la pose, pour ensuite passer au dessin sur tablette, qui est pour moi un véritable canevas magique, avec ses « undo », ses outils pour redimensionner, ses calques, et la faculté de zoomer pour travailler les détails !

Pouvez-vous terminer en nous parlant de vos futurs projets ?

Outre un éventuel deuxième cycle pour Mort et déterré, j’en ai plusieurs qui se chevauchent, à différentes étapes de développement ! J’ai fait tout récemment un grand jeu pour le spécial science fiction du journal Spirou (le n° 4377 du 2 mars 2022), avec un Zorglub version cyborg qui a conquis la Terre et qui vise désormais la conquête commerciale des étoiles. Les jalons de l’univers ont été posés dans ce jeu ainsi que deux gags dans Spirou, est-ce qu’on en verra plus un jour ? L’avenir nous le dira. Sinon ma tête est remplie de mondes et de personnages qui n’attendent qu’un feu vert pour rencontrer les lecteurs…

(par Adrien LAURENT)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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