Dans un futur pas si éloigné, le jeu vidéo ne se pratique plus qu’en VR [1], casque vissé sur la tête des joueurs pour une immersion totale ! Et comme de tout temps, les bons jeux sont là mais les grosses bouses pullulent. Sunraku, le héros, est justement un chasseur de bouse. Il se fait fort de dénicher les pires jeux et de les terminer, aussi buggés et ratés soient-ils.
Jusqu’à ce qu’il se confronte à Shangri-La Frontier, MMORPG [2] réputé pour être au contraire le meilleur jeu du moment. 30 millions de joueurs, une compétition des plus ardue pour être au top du classement, des graphismes époustouflants : c’est tout l’inverse d’une bouse. Mais Sunraku a tout de même de quoi être exalté, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il se retrouve addict !
S’enchaînent alors pour lui les quêtes, combats contre les mobs et rencontres avec des PNJ farfelus, de quoi stimuler sa passion pour le gaming et mettre à l’épreuve les talents développés sur d’innombrables bouses. Mais Shangri-La Frontier semble receler un secret. S’agit-il seulement d’un jeu particulièrement réussi ? Et qui est ce mystérieux chevalier high-level qui semble traquer Sunraku depuis son entrée dans le jeu ?
Quand la passion parle
Sous ses allures de Matrix couplé à World of Warcraft, Shangri-La Frontier fait appel à la mythologie complexe et ultra-référencée du jeu vidéo. Et il le fait bien : contrairement à la plupart des titres ratés s’attaquant au genre, on sent que les auteurs maîtrisent leur sujet. On le devine dans leur usage de l’argot : les acronymes, expressions, et le lexique technique du jeu vidéo sont employés d’une façon très convaincante sans que le lecteur ait l’impression de lire une parodie. Quiconque est un peu familier du "parler gamer" aura en fait l’impression de lire des dialogues qu’on pourrait croiser en stream sur Twitch ou dans un débat animé sur un forum spécialisé.
Et ce détail (qui n’en est bien sûr pas un) suffit à démontrer l’intérêt de la démarche. On ne s’improvise pas "bilingue du jeu vidéo", et les auteurs manifestent une maîtrise de ce langage qui ne peut s’acquérir que par une pratique longue et assidue. De là, on devine que la série est animée par une vraie passion et pas par une quête pécuniaire. Le travail des traducteurs français est également à souligner, tant il aurait été facile de ruiner les efforts des auteurs en sous-estimant la difficulté de la tâche. Chapeau !
Au niveau du dessin ensuite, on est dans le haut de gamme du shonen traditionnel. Les moments de bravoure pendant les bastons sont très beaux, les décors style RPG médiéval tout droit sortis d’Azeroth sont convaincants, et les styles des personnages comme des monstres sont originaux tout en restant familiers pour les amateurs de RPG.
Quant à l’intrigue, le premier tome (peut-être un poil court pour bien poser son univers) ne nous dévoile que les contours flous d’une intrigue qui a le potentiel d’être captivante. Et qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’arc Greed Island d’Hunter x Hunter, autre occurrence rare d’une série de bande dessinée s’appropriant avec brio les codes du jeu vidéo.
On comprend pourquoi Glénat a autant martelé sa communication autour du titre ces derniers mois. Il est réussi et saura parler aux fans du 10e art, qui pour une fois ne sont ni moqués ni pris de haut mais qui découvrent un authentique hommage à leur culture, mélangée à la sauce shonen. Toutefois, un public étranger au gaming aura sans doute un peu de mal à comprendre toutes les subtilités, notamment des dialogues, même si la série reste appréciable pour un newbie. À voir comment l’univers se déploiera dans la suite, en tout cas pour l’heure on est conquis.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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