Interviewé par le journaliste Francis Van de Woestyne, Nick Rodwell accusait les petits-enfants Casterman de ne pas être les propriétaires du dessin d’Hergé qu’ils s’apprêtaient à mettre en vente, un projet original non retenu comme couverture finale du Lotus Bleu. Un enjeu d’« honneur » et de « vérité » qui attendait une réponse circonstanciée de la part des enfants de Jean-Paul Casterman, l’un des héritiers de la famille qui a fondé la maison Casterman, il y a plus de 200 ans, et qu’il ne faut pas confondre avec les éditions du même nom qui appartiennent aujourd’hui au groupe Gallimard avec lesquelles, semble-t-il, les relations avec M. Rodwell se sont apaisées.
Selon les membres de la famille, la fameuse couverture du cinquième tome de Tintin, apparue dans Le Petit Vingtième pour la première fois en 1934, a toujours été la propriété de leur père. Il l’aurait reçue de la main même d’Hergé en 1936 lors d’un repas familial. Il s’agirait d’un cadeau offert au petit Jean-Paul alors âgé de sept ans que l’enfant l’aurait alors soigneusement rangée dans un tiroir, en la pliant en six.
Le dessinateur avait 29 ans et Le Lotus bleu était le deuxième album qu’il publiait dans la maison tournaisienne. « Nous avons toujours connu ce dessin, accroché au mur de la maison » affirment ses enfants.
Bien plus tard, en 1981, Tchang Tchong-jen [1] et une délégation menée par Alain Baran, secrétaire particulier d’Hergé, car celui-ci est malade, reçoivent à Tournai une lithographie tirée de cette couverture, dont une cinquantaine seront ultérieurement signés par Hergé et Tchang.
Mieux, selon les Casterman : « En 1988, notre père prêtera le dessin à la Fondation Hergé pour l’exposition "Hergé dessinateur, 60 ans d’aventures de Tintin" au musée d’Ixelles. La Fondation restituera le dessin à notre père avec ses remerciements pour avoir prêté son original de sa collection privée. Bien connu désormais des tintinophiles, le dessin sera également mentionné comme "collection particulière" dans plusieurs ouvrages de référence publiés aux Éditions Moulinsart, dont la magistrale "Chronologie d’une œuvre" de Philippe Goddin. Il sera également reproduit avec la mention "collection particulière" dans le catalogue de l’exposition à Beaubourg en 2006 – exposition dont Nick Rodwell était le co-commissaire. »
La mythique couverture à la gouache aurait dû être selon plusieurs "hergéologues" rendue à l’auteur de Tintin qui la réclamait. Selon le spécialiste Philippe Goddin, elle a été redécouverte par hasard en 1979 par l’animateur TV belge Stéphane Steeman, qui l’aurait trouvée pliée en six dans une correspondance d’Hergé en visitant les archives de l’éditeur, à l’occasion des 50 ans du reporter à la houppe.
Les Casterman leur répondent que l’éditeur Charles Lesne, alors responsable des auteurs de la maison, aurait répondu à Hergé dès 1936 qu’il lui renvoyait le dessin, que le don aurait donc été postérieur à cet envoi. Ils ajoutent que Steeman n’aurait jamais mentionné cette affaire plus tard dans ses écrits, et que la lettre se trouvait dans d’autres archives. De plus, les Casterman insistent sur le fait qu’Hergé ne pliait jamais ses travaux à envoyer, rendant improbable sa découverte dans cet état. Et quand bien même Hergé n’aurait pas récupéré la couverture en 1936, il pouvait toujours réitérer la demande, ce qui n’a jamais été fait…
« Nous avons rétabli ici la vérité historique et matérielle des faits tels qu’ils se sont déroulés », concluent-ils, « et qui sont confirmés par de nombreux témoignages. Nous défendrons l’honneur de notre famille mais aussi nos droits si d’aucuns estimaient devoir persévérer dans l’opprobre et le dénigrement. »
Directement visé, nous avons demandé à M. Rodwell de réagir (« Trust but Verify »…). Constatant que ces membres de la famille Casterman ont mis plus de trois mois à lui répondre, il reste sur sa position : « Il serait plus correct de dire que Jean-Paul Casterman a oublié de rendre cette œuvre à Hergé ! »
Vendue finalement à 2,6 millions d’euros hors frais (plus de 3,175 M€ avec les frais), battant le précédent record pour une pièce de bande dessinée, détenu par les pages de gardes d’Hergé en 2014, M. Rodwell n’a pas pu récupérer cette œuvre qui doit trôner aujourd’hui dans le salon de quelque riche collectionneur.
Voir en ligne : Lisez la tribune de la famille Casterman sur lalibre.be
(par Auxence DELION)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Artiste et sculpteur chinois (1907-1998), ami d’Hergé qui l’a aidé à se documenter sur la Chine de l’époque et l’a inspiré pour le personnage de Tchang dans Le Lotus bleu.
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