Imaginez. Une pièce d’argent, dotée d’une volonté propre qui parcourt les siècles, de porteuse en porteur et qui ne cesse par sa puissance de provoquer des événements d’une grande violence. En se méprenant un peu, on pourrait se croire en Terre du Milieu. Cette malédiction ronde et argentée parcourt les âges de l’histoire humaine, se mouvant de la Nouvelle Angleterre puritaine aux terres ravagées et très technologiques de 2467, sans oublier une colonie de vacance pleine d’adolescentes idiotes et méchantes. Un principe simple, une ligne directrice claire et une production, tant visuelle que scénaristique, terriblement efficace.
Vous êtes au coin du feu, dans l’ambiance d’une belle soirée d’été sous un ciel étoilé et vous lisez cette anthologie à la lampe torche. Croyez-nous, vous aurez quelques sueurs froides. Surtout si vous croisez un corbeau. Qui mieux que cet animal pouvait incarner la malédiction horrifique de cet album ? Aucun. Celui-ci accompagne chaque porteur et porteuse et veille à ce que la destinée soit accomplie.
Dans ce premier tome, quelques références historiques à la sorcellerie ou encore cinématographiques (Vendredi 13, Massacre à la tronçonneuse...) sont distillées avec soin, tandis que les auteurs aiment à jouer avec les codes du genre. Ce qui ne manquera pas de plaire aux passionnés.
S’il est tout à fait possible et jouissif de lire cette anthologie avec le cerveau éteint, se délectant du sanguinolent et de son cortège de têtes volantes, il est intéressant d’avoir à l’esprit le rôle réel que joue cette pièce d’argent. En allant au-delà de l’action horrifique qu’elle suscite. Sans divulguer le contenu des nouvelles, on peut avoir à l’esprit que cet artefact joue un rôle de révélateur. Celui des pires instincts humains. De ces pulsions que le vernis de civilisation est censé dissimuler et contenir aux yeux du monde.
La pièce est diabolique. Elle contraint les porteurs et porteuses aux actes les plus violents. Dans les cinq nouvelles de ce tome inaugural, des personnages sont punis pour leurs actes, leurs obsessions, leurs envies. Une forme de Loi du Talion mise en œuvre par cette malédiction. En cela, les auteurs s’amusent avec le lecteur et ses sentiments parfois inavouables. Malgré l’horreur, la violence extrême, l’inhumanité, ces personnages ne méritent-ils pas leur châtiment ?
Cette question du châtiment, du jugement entre bien et mal renvoie, qui plus est dans une société étasunienne encore très religieuse, à toute une tradition du genre horrifique inscrit dans un univers monothéiste, judéo-chrétien notamment. La dernière nouvelle, de Michael Walsh, intitulée Pacte, revient sur la sorcellerie dans la Nouvelle Angleterre [1] et confirme cette filiation religieuse dans lequel s’inscrit le monde pensé par les auteurs.
Autre atout de l’ouvrage, celui de susciter l’intérêt pour les albums à venir. Les nouvelles font apparaître des personnages, des lieux, des informations à propos desquels on sait peu de choses, mais qui laissent entrevoir un imaginaire cohérent. Des mystères sur lesquels on peut espérer en savoir davantage dans les albums à venir, au risque de perdre un peu du charme de cet univers nimbé de sang et de plumes.
Pour conclure, nous tenons à signaler le très beau travail réalisé par Micheal Walsh qui, en plus d’avoir imaginé le projet, a fait le dessin des cinq nouvelles, les couleurs (très bel usage des couleurs pour la deuxième et cinquième nouvelle, ambiances réussies) et le scénario de l’ultime nouvelle de ce premier tome. Un succès dont nous serons appelés à vous reparler avec la sortie du second tome le 13 octobre, toujours aux éditions Huginn & Muninn. Un conseil : si jamais vous venez à trouver une pièce d’argent, ayez un doute...
(par Romain GARNIER)
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Silver Coin T.1 - de Micheal Walsh et Jeff Lemire - Ed. Huginn & Muninn
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Madman, Intégrale 1 - de Michael Allred et Laura Allred - Huginn & Muninn
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[1] colonie britannique d’Amérique