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Killadelphia T. 1 & T. 2 - Par R. Barnes, J. S. Alexander & L. Nct - Ed. Huginn & Muninn

Par Romain GARNIER le 28 octobre 2023                      Lien  
Afin de se mettre dans l’ambiance et célébrer Halloween, les éditions Huginn & Muninn ont publié le vendredi 13 octobre trois bandes dessinées matinées d’horreur, de folklore fantastique et d’épouvante. Pour ce deuxième article, après Silver Coin, nous revenons sur la série horrifique Killadelphia dont le premier tome est sorti en avril. Un univers marqué par la figure mythique du vampire porteuse d'une critique sociale d'une brutale actualité. Un récit policier, fantastique et gore réussi signé R. Barnes (Star Wars...) et J.S. Alexander (Spawn, Marvels Zombies, Hellboy, Abe Sapiens...).

La famille Sangster face aux vampires

Philadelphie. Nord-est des États-Unis. De nos jours. Jimmy Sangster, venu de Baltimore, enterre son père assassiné. Un détective reconnu avec lequel les relations n’ont pas toujours été heureuses, pour ne pas dire exécrables. Il le détestait. Revenir dans la maison de son enfance s’apparente à arpenter une scène de crime. La douleur est là. Un indice aussi. Il tombe sur un livre de notes de son père. Ses pensées. Sa dernière enquête. Une enquête à laquelle Jimmy peine à croire. Il y est question d’un vieux complot mêlant corruption, meurtres, disparitions et…vampires.

Sur les traces de son paternel, Jimmy Sangster s’égare. Afin de survivre dans les méandres de Philadelphie, Jimmy trouve dans la médecin légiste, Jose Padilla, partenaire de son père, une alliée précieuse pour affronter une menace inattendue venue de la fondation des États-Unis.

Killadelphia T. 1 & T. 2 - Par R. Barnes, J. S. Alexander & L. Nct - Ed. Huginn & Muninn
Couverture du tome 2 de "Killadelphia"
© Huginn & Muninn

Une fable d’horreur fantastique et gore…

Halloween approchant, la série Killadelphia est absolument idéale pour ceux qui aiment le gore, la thématique du vampire intelligemment revisitée et l’horrifique. Le dessin de Jason Shawn Alexander, empreint d’un certain réalisme, notamment en ce qui concerne les visages, parvient à créer des ambiances très angoissantes, poisseuses et terrifiantes. Le tout renforcé par l’excellent travail du coloriste Luis Nct. L’aspect gore, traité au premier degré, assure aux lecteurs intéressés leurs hectolitres de sang et un peu de sordide.

Pour notre part, nous n’avons pas été très touché par ce style de dessin, ce qui nous a empêché, dans un premier temps, de rentrer dans l’histoire. Néanmoins, l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître à Jason Shawn Alexander un talent indéniable, tant dans l’exécution que dans l’efficacité de son dessin. Nous vous invitons par conséquent à vous faire votre propre avis sur la question. La lecture du tome 2 fut d’ailleurs bien plus fluide, le graphisme n’étant désormais plus un obstacle.

© Huginn & Muninn

….aux propos contestataires

La grande force de cette série, au-delà de son dessin pour ceux qui sauront l’apprécier, est son traitement de la figure mythique du vampire. Le genre de l’horreur, au contraire de la science-fiction, est moins réputé pour ses discours contestataires. Ne nous faites cependant pas dire ce que nous n’avons pas dit. Le genre de l’horreur a aussi recourt à l’usage de figures horrifiques comme avatars d’une critique sociale.

Il suffit de penser au zombi de George A. Romero qui incarne une critique du capitalisme et de sa société de consommation. Au cinéma, le film Get Out de Jordan Peele – qui pense le plus grand bien de cette nouvelle série de comics – recourt à l’horreur pour exprimer sa critique du racisme structurel que connaît la société étasunienne. Dans un genre proche du vampire, l’excellente série de comics Bitter Root a pour cœur la question du racisme, pensée comme une maladie au même titre que la peste, aux conséquences dévastatrices, tant pour les noirs que pour les blancs.

© Huginn & Muninn

La fondation des États-Unis : le péché originel du système esclavagiste

Dans Killadelphia, il est difficile d’évoquer la nature du propos sans divulgâcher certains éléments du scénario. Que ceux qui souhaitent découvrir par eux-mêmes les légions de vampires de Killadelphia passent leur chemin et courent chez le libraire le plus proche.

Pour les autres, le tenant du complot n’est ni plus ni moins que John Adams, père fondateur et deuxième président des États-Unis, qui s’est vu octroyer l’immortalité du vampire lors d’un voyage en Afrique. Ces dernières années, plusieurs pères fondateurs ont été visés par le mouvement « black lives matter » du fait qu’ils aient possédé en leur temps jusqu’à plusieurs centaines d’esclaves. Des références historiques qui ne sont plus acceptées comme telles par une partie de la population étasunienne qui les jugent comme allant contre les valeurs contemporaines.

© Huginn & Muninn

Dans le premier tome, John Adams dit voir, grâce au recul conféré par son grand âge et sa vie de vampire, ce que les pères fondateurs n’auraient pas vu. Il perçoit que la société étasunienne a été fondée pour apporter liberté, prospérité et bonheur aux hommes comme lui, c’est-à-dire blancs. La révolte qu’il souhaite mener avec son armée de vampire, à qui il a donné pouvoir et immortalité, consisterait à mettre à bas cette société contemporaine où règnent les inégalités installées lors du fondement de la nation.

La figure du vampire incarne donc ici la figure de l’opprimé et de celui qui conteste l’ordre établi. Dans le tome 2, est notamment mise en scène Abigail, la femme de John Adams, elle aussi transformée en vampire, qui souhaite à son tour mettre à feu et à sang la ville de Philadelphie pour d’autres raisons que son mari, définitivement défunt.

© Huginn & Muninn

La relation entre un père et un fils au milieu du chaos

Dans cette série, si les questions raciales sont parties prenantes, et que de nombreux héros, dont la famille Sangster, sont noirs, celles de la pauvreté, de la violence sexuelle ou du système patriarcal sont également abordées. De même, dans le premier tome, le personnage de Tevin Thompkins remet en cause le discours de John Adams et décrit sa vie de vampire comme une servitude et non une liberté. Quant à Abigail, elle conteste ce que l’on comprend être une soumission à son mari de son vivant liée à la société de son temps, pour trouver dans sa vie de mort-vivante une liberté de femme indépendante.

D’une autre manière, la trame scénaristique du personnage de Jupiter, ancien esclave rentré au service d’Abigail, exprime la vengeance et toute la souffrance de l’humain martyrisé et soumis dans une violence quotidienne et systématique. Enfin, Abigail, devenue dirigeante des vampires, remet en cause le discours de son mari favorable à une démocratie pour tous, jugeant l’entreprise naïve. Les questions abordées sont donc traitées avec beaucoup de subtilité grâce à des personnages complexes où personne ne détient la bonne et irréprochable parole.

© Huginn & Muninn

Est également complexe la relation entre Jimmy Sangster et son père. Attention on divulgâche ! Jimmy Sangster père est devenu un vampire suite à son assassinat. Le rejet initial du fils est contraint à l’évolution. Le père et sa progéniture mènent l’enquête et affrontent les vampires, côte à côte. Les reproches fusent, les critiques ne sont pas toujours constructives.

Cette relation conflictuelle faite d’amour et de haine poursuit sa mutation dans le tome 2. Le père, de retour dans sa tombe vogue aux côtés de Charon aux enfers dans l’espoir de retrouver sa femme. Brusquement, il se retrouve ramené dans le monde des vivants. Son fils le déterre, une deuxième fois. Il a besoin de lui. Le père est hors de lui. Quand son fils apprendra-t-il à se débrouiller seul ?

Philadelphie : la ville de la révolution

Choisir Philadelphie comme ville afin d’interroger les relations socio-raciales et imaginer une révolte de vampires désœuvrés n’est pas un choix innocent. Historiquement, la ville de Philadelphie a été la capitale des États-Unis, un haut lieu des Lumières étasuniennes incarnées par Benjamin Franklin (autre père fondateur), a accueilli le congrès continental qui initia la révolution américaine, a entre ses murs une « cloche de la liberté », a longtemps été la ville la plus peuplée d’Amérique du nord, a été fondée dans un esprit de très grande tolérance religieuse, prônant la non-violence et l’égalité. Une ville dont le nom a des racines grecques signifiant approximativement « amitié fraternelle ».

Couverture alternative étasunienne pour la série "Killadelphia"
© Image Comics

Pour le scénariste Rodney Barnes, la ville de Philadelphie était donc une évidence, elle qui est désormais présentée comme corrompue, abandonnée à la pauvreté et la criminalité, ce qui est un fait proche de la réalité. Elle a détruit cette fraternité du genre humain comme l’indique le nom du comics « Killadelphia ». Un lieu idéal, donc, pour initier une nouvelle révolution qui viendrait renverser l’ordre structurellement discriminatoire de la nation étasunienne.

Vous l’aurez compris, Killadelphia est un univers riche, mêlant horreur, policier et critique sociale, et use avec une grande habileté de la figure mythique du vampire. Une excellente série aux éditions Huginn & Muninn dont il nous tarde de connaître la suite quand on connaît l’événement inattendu de la fin du deuxième tome…

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782364809048

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