La venue de Jean-Christophe Menu était pressentie depuis longtemps au SoBD puisque ce dernier est né initialement du désir de mettre en exergue les livres d’exégèse sur le neuvième art.
Hormis ses qualités d’artiste, à rayures, les aptitudes du fondateur de l’Association pour théoriser ou commenter la bande dessinée vont trouver à s’exprimer aux côtés de celle avec qui il partagera l’affiche du salon.
Il s’agit de Dominique Goblet, son invitée d’honneur cette année et lauréate récente du Grand Prix Töpffer 2020. Son parcours ayant été accompli en grande partie avec le Frémok, il sera question de cet éditeur et de l’édition alternative aussi, ce qui correspond à une autre des vocations du SoBD.
Si, au prix d’une simple inscription préalable, la plupart de ses activités sont gratuites, seul sera payant l’accès à deux masterclasses avec chacun des deux auteurs, prenant place le vendredi, en guise de préambule.
Par ailleurs, le SoBD offrira l’occasion, rare, de faire mieux connaissance avec la bande dessinée polonaise, l’une des plus vieilles d’Europe. Puisque son commencement intervint en 1859, entre les créations du Suisse Rodolphe Töppfer, dans les années 1830, et Max und Moritz (1865) de Wilhelm Busch.
Histoire du fils unique en 32 images précède donc la plus célèbre bande dessinée d’une Allemagne certes grand pays de ce médium en ses débuts. Mais elle fut aussi l’un des trois dominateurs, avec la Russie tsariste et l’Empire austro-hongrois, d’une Pologne à l’illustre passé, mais partagée en trois et rayée de la carte au XIXe siècle, avant de renaître après la Première Guerre mondiale.
Notez que le SoBD vient de contribuer à la publication d’un ouvrage de référence sur la bande dessinée polonaise, bien plus que centenaire donc. Il est édité dans le cadre de la collection Mémoire vive des Éditions PLG de Philippe Morin, l’un des membres fondateurs du Comité de Pilotage du salon.
Ce livre est coordonné par Renaud Chavanne à la tête de son organisation, dont nous vous proposons également un entretien-bilan, après presque dix ans de l’existence de la manifestation au cœur de Paris.
Il se révèle passionnant et sans langue de bois, rédigé par des spécialistes et auteurs polonais — certains intervenants lors des tables rondes du salon. Ceux-ci y recevront le renfort de confrères de renom chez eux et/ou en France comme Tadeusz Baranowski, Berenika Kołomycka, Przemysław Truściński ou Marzena Sowa, autrice de Marzi (avec Sylvain Savoia).
La présentation chronologique et s’appuyant sur l’Histoire du pays pourrait paraître conventionnelle. Pourtant, il n’en est rien, tant elle permet de bien comprendre combien le neuvième art polonais y est lié. Et le didactisme de l’ouvrage se trouve renforcé par un préambule historique de Dariusz Kaczynski, qui rend son abord plus facile pour le lecteur qui serait peu familiarisé avec tout cela.
Ainsi, malgré une apparition tôt, ces « films comiques », puis komiks, sont longtemps demeurés contraints par la tradition de présenter sous l’image le texte, composé souvent en vers. Même s’ils ne furent pas toujours de mirliton. En effet, des écrivains locaux reconnus s’y sont essayés, acceptant de pratiquer une bande dessinée animalière prisée des enfants, tel Kornel Makuszyński avec (le pas si) Bébette le Bouc.
Le maintien de cette tradition un peu désuète constituait apparemment un paradoxal point commun entre les pédagogues aux idées étroites tant du régime d’entre-deux-guerres que de ceux acquis à ses opposants communistes après 1945.
Il aurait donc rallié à lui à la fois l’assentiment des partisans du maréchal Piłsudski, le héros national aux tendances autoritaires qui avait arrêté les Bolcheviks en 1921, et les envahisseurs soviétiques d’après 1945 et leurs soutiens polonais, installés par eux au pouvoir.
De plus, les uns comme les autres rendirent difficile la diffusion de la bulle de dialogue comme procédé dans la bande dessinée locale, car ils identifiaient dans le phylactère le symbole de l’influence étrangère.
Ceci entendait celle de pays proches comme le Danemark ou la Suède, ou plus éloignés de l’Europe occidentale francophone, ainsi que des États-Unis (via George McManus, Harold Foster, etc.). Au passage, on apprend l’existence d’une version "entièrement" polonaise de Tarzan par Jerzy Nowicki (1937)...
Le recours à la bulle ne put finalement être contenu et se répandit, y compris sous la période communiste, et notamment par sa diffusion au moyen d’adaptations des bandes dessinées des éditions françaises Vaillant et du magazine Pif Gadget, de même obédience politique.
D’un autre côté, comme pour contrebalancer la tendance nationale au repli sur soi, a toujours existé une importante diaspora. Cette Pologne de l’extérieur, en Amérique du Nord entre autres (Canada et États-Unis), a joué un rôle important dans la création d’expression polonaise, voire dans d’autres domaines.
Elle ne fut pas en reste pendant la Seconde Guerre mondiale, contribuant au moral de troupes qui continuaient à combattre le nazisme après 1939 et l’invasion de la mère-patrie, dont l’armée du général Anders, luttant avec les Britanniques en Italie.
Une autre des fortes caractéristiques à noter du neuvième art polonais consiste en le grand intérêt manifesté par ses auteurs et leur public pour les bandes dessinées de genre, comme la science-fiction ou la Fantasy. Cette tendance se retrouve aussi chez d’autre Slaves, les Russes, car les possibilités d’évasion ou de critique politique masquée qu’elles permettaient à l’époque du communisme ont contribué à susciter l’engouement à leur endroit.
Celui-ci s’est maintenu depuis, si l’on en juge par la postérité de la licence du Sorceleur (The Witcher) d’après Andrzej Sapkowski et ses diverses déclinaisons. De la littérature au jeu vidéo qui a rendu le personnage célèbre, on en est passé par les séries de bandes dessinées en Pologne ou pour les comics par Piotr Kowalski, voire de télévision maintenant.
De son côté, un Grzegorz Rosinski, avec Thorgal ou Hans, continué avec Kas (Zbigniew Kasprzak), s’inscrit pleinement dans ce mouvement et a fait plus qu’école, à la fois dans son pays d’origine et à l’extérieur.
Afin de prendre la mesure de ce que peut receler la bande dessinée polonaise, à travers son Histoire et sa séduisante diversité, nous vous incitons à venir assister aux rencontres du SoBD à ce sujet.
En complément, visitez l’exposition patrimoniale encore visible à la Bibliothèque polonaise de Paris (BPP), dans l’île Saint-Louis, non loin des Blancs-Manteaux, lieu du salon. À ne surtout pas manquer parmi toutes celles qui sont organisées dans son sillage, pendant et après l’événement !
(par Florian Rubis)
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En médaillon : affiche du salon/© 2019 Dominique Goblet & SoBD.
SoBD Paris, du 6 au 8 décembre à la Halle des Blancs Manteaux.
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Le SoBD met en place un système de rémunération des auteurs en signature dès son édition 2019 (Voir entretien avec Renaud Chavanne).
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