On savait le personnage de Spirou engagé et porteur de valeurs humanistes, l’ONU l’ayant même choisi comme symbole pour célébrer les 70 ans de la déclaration des Droits de l’Homme en octobre dernier. Un héros qui dépasse donc quelquefois le cadre de ses cases pour transmettre des messages, et qui s’attaque au Brexit dans l’hebdomadaire de cette semaine. Attaquer est d’ailleurs le mot : ce numéro ressemblant plutôt à un réquisitoire contre la sortie du Royaume-Uni du projet européen qu’à une analyse factuelle.
Pourquoi le peuple britannique a-t-il souhaité quitter l’Union Européenne ? Quelles en seront les conséquences positives et négatives ? La situation a-t-elle évolué depuis le vote de juin 2016 ? Autant de questions qui méritent d’être fouillées afin d’y apporter une réponse documentée et la plus objective possible. Ce qui n’est pas le cas ici.
Un journal pro-Brexit en ferait l’éloge et un média europhile se montrera certainement plus vindicatif... Or nous ne sommes pas ici face à un journal qui souhaiterait faire comprendre les enjeux du Brexit et ses conséquences possibles en s’adressant à un jeune public. Nos lecteurs le savent, nous ne sommes pas naïfs : nous savons que la bande dessinée est éminemment politique. Lorsque Spirou élaborait dans les années 1940 un « code d’honneur », c’était, sous couvert d’une irréprochable propagande religieuse, pour défendre les valeurs de la Résistance.
Mais quand, dans un hebdomadaire pour la jeunesse, on prend un point de vue partisan sans même prendre la peine de détailler la position de l’adversaire, quand la critique reste en surface, comme le ferait un journal satirique, c’est un échec de la pédagogie, et au-delà, de la politique.
Dans un monde de l’instantanéité où l’on semble inviter de moins en moins à la réflexion, cf. Donald Trump et ses tweets impulsifs, un monde dans lequel nos ados sont plongés, c’est précisément dans ce genre de support que l’on devrait trouver, y compris et surtout au travers de l’humour, de quoi forger sinon son opinion, au moins sa réflexion.
On ne reprochera pas au Journal de Spirou et aux auteurs d’avoir leur propre avis sur le Brexit, bien au contraire. Mais on peut par contre regretter le manque de nuance de ce numéro et le fait de n’offrir qu’un seul son de cloche, indépendamment de l’avis de chacun sur cet événement.
Certes, on y trouve quelques bonnes histoires qui esquissent un travail d’investigation, notamment lorsque la rédaction va chercher des artistes britanniques pour leur demander leur avis, comme par exemple Charlie Adlard, le dessinateur de la série culte The Walking Dead. Mais on reste à la surface du sujet, comme si ce n’était pas une chose sérieuse qui conditionne l’avenir des plus vieux et des plus jeunes lecteurs.
Cette anecdote pointe l’une des faiblesses de l’hebdomadaire au calot : celle d’être un magazine de bande dessinée sans véritable rédactionnel structurant. On peut espérer que la création d’un vrai tandem formé par le directeur de publication et le nouveau rédacteur en chef permettra une prise de conscience et réorientera le journal vers un nécessaire travail de divertissement, certes, mais aussi de pédagogie et d’information de qualité, dégagée de la dictature de l’instant, un travail qui consisterait à décrire objectivement les faits pour mieux en retenir la leçon à tirer. Émile Bravo y arrive avec son Spirou, pourquoi le reste du journal ne suivrait-il pas cet exemple ?
(par Vincent SAVI)
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Spirou, dans tous les bons kiosques.
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