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"Squeak the Mouse" de Mattioli (Revival), une parodie de cartoon trash et jubilatoire

Par Frédéric HOJLO le 7 mars 2020                      Lien  
Le dessinateur italien Massimo Mattioli, décédé il y a à peine plus de six mois, a marqué l'histoire de la bande dessinée européenne de la seconde moitié du XXe siècle. Présent dans la presse des deux côtés des Alpes, auteurs de bandes dessinées pour enfants et pour adultes avertis, il a malicieusement joué avec les codes de son art. Son très cartoonesque "Squeak the Mouse" est à redécouvrir grâce aux éditions Revival.

Massimo Mattioli ne se résume pas à ses personnages de Pinky, lapin rose photo-reporter, et M le Magicien, prestidigitateur poète et philosophe. Le dessinateur italien, né en 1943 et décédé le 23 août 2019, a également participé à la fondation des revues Cannibale, écho transalpin de Métal Hurlant, puis Frigidaire, dans laquelle est apparu Squeak the Mouse, des périodiques résolument adultes qui bousculèrent la bande dessinée.

"Squeak the Mouse" de Mattioli (Revival), une parodie de cartoon trash et jubilatoire
Squeak the Mouse (1). Un début digne d’un "slasher movie". © Massimo Mattioli / Revival 2020

Ce contraste apparent entre des publications d’abord destinées à la jeunesse et d’autres beaucoup plus transgressives est à l’aune de la carrière de Mattioli. Comme le rappelle Maël Rannou dans sa préface à la nouvelle édition de Squeak the Mouse proposée par les éditions Revival, le dessinateur qui, après un bref passage à Londres au sein du magazine Myfair, a œuvré autant en Italie qu’en France, a su s’intégrer aux mouvements de son époque tout en se renouvelant et en cultivant sa singularité.

Squeak the Mouse (1). Le porno et le gore y font bon ménage. © Massimo Mattioli / Revival 2020

Mattioli débute dans la presse alors qu’il a une vingtaine d’années à peine. Il réalise ainsi plusieurs séries pour Il Vittorioso, hebdomadaire jeunesse, dont Il Gatto Califfo, mettant en scène un chat... Comme dans Squeak the Mouse vingt ans plus tard. Après le Royaume-Uni, il rejoint au printemps 1968 Paris où il propose son travail à Hara-Kiri puis Pilote. C’est finalement Vaillant, le journal de Pif - devenant peu après Pif Gadget - où il a postulé sur les conseils de René Goscinny qui l’accueille et à qui il reste fidèle jusqu’en 1990. Il y réalise notamment M le Magicien de décembre 1968 à novembre 1973 [1], chef-d’œuvre minimaliste dans la lignée du Krazy Kat de George Herriman.

La suite ne dément pas la créativité de Mattioli ni sa volonté de se réapproprier les codes de la bande dessinée. Que ce soit en Italie dans Cannibale, Frigidaire et Comic Art ou en France toujours dans Pif Gadget mais aussi L’Écho des savanes, il élabore une œuvre abordable et intelligente, s’appuyant sur la pop culture - cinéma, bande dessinée, télévision - tout en la détournant. Ses multiples références, de la science-fiction à l’horreur en passant par le policier, attestent d’une bonne connaissance des réalisations de son époque, mais aussi d’une prise de distance à la fois ironique et familière sans être condescendante.

La toute première planche de "Squeak the Mouse" (1), sur de faux airs de "Tom & Jerry". © Massimo Mattioli / Revival 2020

Tout cela se retrouve dans Squeak the Mouse. L’ouvrage publié par Revival rassemble les deux volumes édités par Albin Michel en 1984 et 1992, augmentés d’une troisième histoire jusque-là inédite en album. Nous y retrouvons les horribles et délectables affrontements d’un chat et d’une souris - toute ressemblance avec Tom & Jerry n’est évidemment pas fortuite - se déroulant à cent à l’heure sur Terre et jusque dans l’espace. Le massacre est affreusement drôle et drôlement affreux.

Squeak the Mouse (2). Une furia d’onomatopées et de couleurs. © Massimo Mattioli / Revival 2020

Le chat et la souris ne s’épargnent rien. La violence est directe, démonstrative, outrancière. Ses conséquences : des flots de sang, des cadavres à la pelle et deux protagonistes qui renaissent sans cesse de leurs cendres. C’est gore et joyeux, pas le moins du monde réaliste, et explosif. À l’horreur s’ajoute la pornographie, dans des scènes de sexe frontales et sans la moindre nuance. Après tout, le porno est lui aussi une exagération irréaliste, sorte de grossièreté caricaturant les relations humaines et destinée à faire vibrer le cerveau reptilien des lecteurs ou spectateurs. L’ensemble est assez détonnant pour qu’en 1985, aux États-Unis, l’auteur et son éditeur se soient retrouvés attaqués en justice - des exemplaires du livre avaient même été saisis - pour finalement l’emporter.

Squeak the Mouse (2). Wes Craven n’est pas loin... © Massimo Mattioli / Revival 2020

Squeak the Mouse est un condensé de l’œuvre, du talent et du travail de Mattioli. Nous y retrouvons, dans son trait souple et ses couleurs franches, son savoir-faire né de la maîtrise de la bande dessinée jeunesse. Son art du découpage et de la composition donnent à ses planches un rythme proprement hallucinant, où l’illusion du mouvement est telle qu’il n’est pas exagéré de comparer Squeak the Mouse à un dessin animé : Matt Groening n’avait plus tellement grand chose à ajouter pour inventer The Itchy & Scratchy Show. Les jeux et astuces graphiques, subtilement placés, montrent que le dessinateur n’est pas dupe de son travail et qu’il souhaite faire du lecteur son complice. Les références, enfin, sont disséminées tout au long du duel, à la fois comme clins d’œil au lecteur et ressorts de l’intrigue.

Entièrement dédié à l’action, Squeak the Mouse est vierge (!) de tout dialogue. La parodie n’en est que plus visible et réussie. Tout doit passer dans le comique de situation, dans l’absurdité des rebondissements et la provocation désinhibée. S’adressant à des lecteurs adultes, contrairement à ce qu’il avait l’habitude de faire avec l’indéboulonnable Pinky [2], personnage ayant survécu à des milliers de planches entre 1973 et 2014, Mattioli ne se donne dans les revues Cannibale [3] et surtout Frigidaire [4] aucune limite. Joe Galaxy, Frisk the Frog et Superwest [5] portent ainsi en germe la folie destructrice et fornicatrice de Squeak the Mouse.

Cartoon sous acide, hommage à la culture pop et bande dessinée ultra-dynamique : Squeak the Mouse est tout cela à la fois. À n’en pas douter, Mattioli devait bien s’amuser à dessiner cette comédie slapstick et trash !

La première planche de "Squeak the Mouse" (3), jusque-là inédite en album. © Massimo Mattioli / Revival 2020

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791096119295

Squeak the Mouse - Par Massimo Mattioli - Revival - préface de Maël Rannou - édition originale : Coconino Press, 2019 - 21 x 28 cm - 128 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 22 janvier 2020.

Consulter le site officiel dédié à Massimo Mattioli & lire une biographie sur le site Lambiek Comiclopedia (en anglais)

Sur Massimo Mattioli, lire également :
- « Massimo Mattioli, Mad in Italy », Jade, n° 12, novembre 1997, p. 53-56.
- Alexandre Balcaen, « Massimo Mattioli », DMPP, n° 8, janvier 2012, p. 62-75.
- Thierry Groensteen, « Le chaînon manquant de Mattioli », neuvième art 2.0, 14 octobre 2010.
- Aurélien Leif, « Les yeux à fond de trou, à propos du travail de Massimo Mattioli », Pré Carré, n° 4, septembre 2014, p. 25-30 & Pré Carré, n° 5, février 2015, p. 41-48.
- Samuel Minne, « La première case e(s)t la dernière : les deux bouts de la planche dans M le magicien… de Massimo Mattioli », Fabula / Les colloques, Le début et la fin. Roman, théâtre, BD, cinéma, décembre 2007.
- Maël Rannou, « Un cartoon gore et porno », Les Cahiers de la bande dessinée, n° 10,‎ janvier-mars 2020, p. 132-138.

Lire également sur ActuaBD :
- M. LE MAGICIEN de Mattioli enfin édité en album
- Mort d’un agitateur : le dessinateur italien Massimo Mattioli

[1M le Magicien a depuis été édité par L’Association en 2003, de même que Awop-Bop-Aloobop en 1999, Vermetto Sigh en 2006 et B Stories en 2008.

[2Le personnage a d’ailleurs droit à une apparition dans Squeak the Mouse (3).

[3Fondée avec Tanino Liberatore, Stefano Tamburini, Andrea Pazienza et Filippo Scòzzari en 1977.

[4Fondée par les mêmes en 1980.

[5Superwest a été édité par L’Écho des savanes / Albin Michel en 1986 et Joe Galaxy par Aedena en 1987.

 
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