Que n’a-t-on pas dit sur les « suite de… », les séries « par… », et autres « saga » multi-auteurs. Surtout quand il s’agit de faire survivre des marques-propriétaires comme Astérix, Blake et Mortimer, Lucky Luke, Spirou et autres super-héros étasuniens. Ils sont susceptibles de mépris car on demande souvent au repreneur une certaine servilité, histoire de ne pas égratigner une icône qui s’imprime avec application, comme une planche à billets.
Ce mépris n’a pas lieu d’être : la bande dessinée, depuis ses origines, a connu ce genre de variations (Les Katzenjammer Kids, Mickey, Spirou, etc.) à quelques exceptions près, comme Tintin, les Peanuts ou Calvin & Hobbes. Pourtant, comme pour une partition de musique, tout repose sur le talent de l’interprète.
Rien n’est plus vanhammien que ce récit de Thorgal, Adieu Aaricia. L’argument n’est pas nouveau, Van Hamme l’avait déjà utilisé au début de la saga, dans Cycle des maîtres de Brek Zarith, où Thorgal explore les enfers, « au-delà des ombres ». Et Van Hamme lui-même puisait auprès d’autres facteurs de mythes, d’Homère à Ovide, de Dante à Goethe et son pacte faustien.
Mais comme dans la musique, dans toute variation, le talent réside dans l’interprétation. Un même morceau, selon l’interprète, peut être génial ou poussif. Scénaristiquement, Robin Recht joue dans le registre du paradoxe temporel. Classique mais efficace, et approprié : ce mélange de mythologie et de SF, Van Hamme le pratique depuis Epoxy, son premier scénario et son premier chef d’œuvre signé par le génial Paul Cuvelier. Il creuse cependant les personnages avec une jolie subtilité : la relation entre Thorgal et Aaricia enfants mêlée au regard de Thorgal adulte, les colères de Gandalf-le-fou, le roi des vikings du Nord et père d’Aaricia, touchant dans son rôle de paternel soucieux du sort de ses enfants, et surtout le colosse Srkaeling, une ancienne esclave devenue reine dans un beau grand rôle tragique.
C’est en particulier dans le dessin que Robin Recht assure le spectacle. Compositions au cordeau, camera en légère contreplongée qui assure que les personnages surplombent le lecteur et lui en imposent, et un dessin sommes toutes classique à l’encrage sobre mais qui s’illustre dans des scènes grandioses.
Bien que les prochains albums de Thorgal Saga soient assurés par d’autres duos (Corentin Rouge associé à Fred Duval, le duo plus attendu Yann et Roman Surzhenko, ou encore Mohamed Aouamri, des auteurs excellents), il semble que l’éditeur soit sous le charme de cette variation et ait accepté d’en reprendre. Ça tombe bien, nous aussi on en redemande.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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