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Grzegorz Rosiński : « C’est le geste qui est toujours à l’origine de la peinture. » [INTERVIEW]

Par François RISSEL le 24 août 2022                      Lien  
Au cours d’un crochet par la Suisse, nous avons eu le privilège d’être reçu par le dessinateur Grzegorz Rosiński. Il nous a accordé un entretien et nous a montré les merveilles de son atelier. Il évoque ici son rapport à l’imaginaire, la façon dont il agrémente ses univers, mais aussi la manière dont se manifeste sa pratique artistique aujourd’hui. Rencontre avec un créateur de légende avide de nouveaux défis et de transformations.

Vous vous définissez comme un créateur plutôt qu’un artiste, pour quelles raisons ?

C’est quoi un artiste ? [rires] Vous savez ça dépend du contexte. Je pense que l’on désigne trop facilement les artistes. Je suis créateur, dans la mesure ou je créé des choses mais je pense que je suis avant tout un faiseur d’images, et de toutes sortes d’images.

Comment se caractérise votre pratique créative aujourd’hui ?

Je peins, je dessine, je cherche des moyens d’expression étranges et parfois inhabituels, c’est ça qui m’intéresse. Je réalise des peintures et des images pour rien du tout, comme ça. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’imaginaire, cela ne m’intéresse pas de copier la nature, dessiner les voitures, les maisons etc. Tout ce qui existe ne m’intéresse pas. Je ne copie jamais ce qui m’entoure. Tout cela m’inspire beaucoup, mais pour créer mon propre univers. Je ne suis pas fan de voyage, de chercher des choses exotiques…Tout cela, je le cherche en moi et puis je le corrige. Je fais des erreurs, des taches, et j’adapte ce tout à ma vision.

Grzegorz Rosiński : « C'est le geste qui est toujours à l'origine de la peinture. » [INTERVIEW]
Photo © François Rissel

Et comment est ce que vous nourrissez cet imaginaire ?

Pour moi la source d’inspiration la plus importante est la littérature. Toutes mes images viennent de la littérature. Cependant je réalise des images, mais je n’écris pas. Je pense qu’il est difficile de concilier les deux, sauf des cas exceptionnels comme Victor Hugo qui était un excellent dessinateur, méconnu, en plus d’être l’écrivain brillant que nous connaissons. J’ai réalisé beaucoup de croquis plus jeune de façon similaire : dans la nature, avec de l’encre sépia et du lavis…C’était souvent des monochromes car je ne me sentais pas vraiment coloriste. Pourtant quand j’ai quelque chose dans ma tête, enfin dans mes tripes plutôt, c’est déjà en couleur.

Il me suffit d’un peu de texte, parfois très peu, des mots, des phrases, pour développer une image. Je n’ai jamais aimé les scénarios trop précis, sauf pour les dialogues qui sont indispensables, mais les suggestions visuelles, je n’en ai pas besoin. J’ai essayé d’écrire des scénarios quand j’étais petit, mais j’ai dû prendre une décision : soit je devenais écrivain, soit je devenais dessinateur. Dans le cadre d’une grande exposition qui se prépare en Pologne, j’ai retrouvé des archives avec des tentatives d’écriture.

Quand j’étais petit j’étais complètement mordu de bande dessinée, médium qui n’existait pas tellement en Pologne. Je pense d’ailleurs que c’est pour ça que ça m’a particulièrement intéressé. J’ai commencé à faire de la BD alors que personne ne savait ce que c’était dans les pays de l’Est. La première bande dessinée que j’ai vue c’était le journal de Vaillant édité par le parti communiste, dans lequel il y avait d’excellents dessinateurs. Je n’ai jamais été inspiré par Hergé, alors qu’en revanche j’ai eu un coup de foudre immédiat pour un dessinateur comme Paul Gillon, par exemple.

Photo © François Rissel

Pourriez-vous évoquer l’importance du théâtre dans votre travail ?

Le théâtre a une importance très forte dans ma vie. J’ai réalisé des études de scénographie pendant mon passage aux Beaux-arts, je connais les coulisses par cœur. J’aimais beaucoup faire des miniatures, des maquettes, pour recréer des scènes, tout ça pour mon plaisir personnel. Il y a en réalité peu de domaines artistiques que je n’ai pas explorés concernant ce monde imaginaire, avec l’idée, en permanence, de ne pas exagérer dans le fantastique pour créer un monde crédible et inventé. Ne serait-ce que pour les personnages, j’ai toujours fait attention à ne pas représenter des acteurs ou des visages connus. Les personnages sont toujours construits en fonction de leur histoire et de leur caractère et au besoin, je demande des précisions à mon scénariste. J’essaie de penser mes univers comme si j’étais témoin de ceux-ci, comme si j’étais présent dans l’action. Je suis en permanence dans la recherche.

Est ce que vous pourriez redessiner un album de bande dessinée ? Refaire des planches ?

Non…Je suis à la retraite maintenant. Je profite de la liberté créative que j’ai désormais. Ce que j’aime, c’est réaliser des grandes peintures comme au dix-neuvième siècle. Là, j’adore, ça me plaît. Je pense que je suis peut-être né à la mauvaise époque [rires]. J’aime beaucoup la peinture historique. Je créé des mondes pour que les gens se disent « C’est impossible que le type n’y ait pas été ».

C’est le geste qui est toujours à l’origine de la peinture. J’apprécie de chercher des concepts, des idées, de faire des petits croquis…Je ne suis pas du tout intéressé par la copie, vous l’aurez compris.

L’objet-livre est-il important pour vous ?

J’ai toujours été très intéressé par les techniques d’impression. J’ai passé beaucoup de temps dans les imprimeries. La fabrication des livres est très importantes pour moi, même si je trouve que l’on exagère de nos jours. [rires] On réalise des choses trop luxueuses, trop excellentes, pour moi la bande dessinée, on doit la lire et la jeter à la poubelle pour la recycler.

Esquisse préparatoire
Photo © François Rissel

Quels sont les prochains projets autour de votre œuvre ?

Il y a plein de projets, dans des domaines très différents mais la finalité est souvent la même : un manque de finance, de volonté…Mais tous les mois, il y a de nouveaux projets, notamment dans le domaine du cinéma, des jeux vidéo…J’ai par exemple réalisé une série de grands tableaux autour de l’univers de « The Witcher  » afin d’inspirer les concepteurs du prochain opus. Il y aussi des choses en route dans le domaine du cinéma, cela fait 30 ans que l’option d’adaptation de Thorgal est rachetée par la même société. Il n’y a toujours pas de résultat, mais je ne suis pas pressé du tout ! Ça ne m’intéresse pas vraiment, je préfère les images fixes !

Concernant les séries dérivées de l’univers de Thorgal, je pense que les personnages que j’ai dessinés m’ont intéressé pendant la réalisation des différents albums, mais maintenant je préfère les laisser aux autres. Je ne souhaite pas tourner en rond. Certains copains qui sont partis depuis longtemps, ont crevé sur les mêmes planches qu’il y a 50 ans…Je n’aspire pas à ça. Chaque nouveau défi est une aventure, une opportunité pour chercher des moyens d’expression inédits et de nouvelles méthodes pour créer des images.

Une ébauche qui n’est pas sans rappeler la couverture du tome 9 de la série Thorgal : "Les Archers"
Photo © François Rissel
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Grzegorz Rosiński s’est récemment remit à travailler à la plume, une technique qu’il avait délaissée depuis de nombreuses années.
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Peut-être la couverture du prochain tome de Thorgal ?
Photo © François Rissel
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(par François RISSEL)

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Code EAN :

La Jeunesse de Thorgal Thorgal Le Lombard ✍ Jean Van Hamme ✏️ Grzegorz Rosinski tout public Fantastique Science-fiction
 
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1 Message :
  • Grzegorz Rosiński : l’humilité du faiseur.
    24 août 2022 14:32, par Alex Lecler

    "C’est quoi un artiste ? [rires] Vous savez ça dépend du contexte. Je pense que l’on désigne trop facilement les artistes. Je suis créateur, dans la mesure ou je créé des choses mais je pense que je suis avant tout un faiseur d’images, et de toutes sortes d’images. […] J’essaie de penser mes univers comme si j’étais témoin de ceux-ci, comme si j’étais présent dans l’action. Je suis en permanence dans la recherche." Ces phrases résument bien ce que devraient méditer pas mal d’auteurs actuels -qui même débutant- se targuent du qualificatif ’artiste’. Avec toute son expérience, Rosiński se situe plutôt du côté du faiseur, de l’artisan qui explore. Et c’est tout à son honneur. J’abonde aussi à sa remarque sur les éditions actuelles, pour beaucoup trop luxueuses, avec des effets d’imprimerie, et lorsqu’on ouvre la BD, le contenu est décevant, mais le prix la place dans la gamme luxe, ce qui est je pense en décalage par rapport à ce médium qui devrait être accessible à un large public.

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