Interviews

W. Maxwell Prince - "Nous pouvons raconter n’importe quel type d’histoire, n’importe quand." [INTERVIEW]

Par François Peneaud le 13 mars 2023                      Lien  
La sortie en français du premier tome de la série Ice Cream Man (chez Huggin & Munnim) nous donne l'occasion de vous proposer une interview de W. Maxwell Prince. Le scénariste de cette série atypique y aborde ses influences, surtout littéraires, et sa longue et fructueuse collaboration avec le dessinateur Martín Morazzo.

Pourriez-vous vous présenter pour le public français ?

Mon nom est W. Maxwell Prince. Je vis dans le quartier de Brooklyn, à New York, avec ma femme, ma fille et deux chats. Je suis le scénariste de Ice Cream Man[Voir notre chronique du premier album en français. NDLR.], une anthologie de comics étrange et quelque peu indescriptible, qui est publiée depuis cinq ans. Nous en sommes au trente-cinquième numéro, en comics individuels.

L’autre série que j’ai lue de vous est The Electric Sublime [1], votre première collaboration avec le dessinateur Martín Morazzo. Comment vous-êtes-vous rencontrés ?

J’ai contacté Martín pour The Electric Sublime, et nous sommes devenus amis. Je l’ai déjà dit dans de nombreuses interviews, mais nous travaillons si bien ensemble que je me suis mis à penser aux comics en « Morazzo-vision », c’est-à-dire qu’avant qu’un comic soit dessiné (et même si le dessinateur n’est pas Martín lui-même), j’ai tendance à « voir » les cases dans son style ; on pourrait dire que je rêve dans son style d’illustration.

W. Maxwell Prince - "Nous pouvons raconter n'importe quel type d'histoire, n'importe quand." [INTERVIEW]
Martín Morazzo
Photo DR

Quelles sont d’après vous les qualités de Martín Morazzo en tant qu’artiste ?

Son dessin est expressif, charmant, terrifiant, apaisant, dérangeant… Que demander de plus ? Il occupe des espaces complètement différents, ce qui pour moi caractérise un grand artiste. Ce qui se remarque particulièrement, ce sont ses expressions faciales : la façon subtile de représenter un choc ressenti par un personnage, ou la déception, l’euphorie… C’est vraiment impressionnant.

Croquis des personnages par Martín Morazzo.

Comment a été développé le projet d’Ice Cream Man ? Est-ce que Martín Morazzo a été impliqué dès le début ?

Vers la fin de The Electric Sublime, Martín et moi avions tous les deux l’impression que ça accrochait entre nous en tant que collaborateurs, et nous nous sommes promis de retravailler ensemble.

J’avais cette idée qui me tournait dans la tête – celle d’un genre de mélange de tout ce qui m’intéressait en tant qu’écrivain (les nouvelles, la franchise brutale, les drogues…), et comme par miracle, Martín a tout de suite dit « Oui » !

Croquis par Martín Morazzo.

Est-ce qu’il a été facile de trouver un éditeur pour un projet aussi inhabituel ?

Heureusement, Eric Stephenson, chez Image, a tout de suite compris ce que nous voulions faire, et nous a laissé travailler sans entrave. Image avait publié en 2016 mon album One Week in the Library[Un mélange de comics, de prose et de diagrammes qui raconte une semaine dans une librairie infinie sous la forme d’une histoire par jour. Inédit en français. NDLR], et donc je pense que l’idée de chapitres variés mais reliés n’était pas trop inhabituelle, venant de moi.

Vous reconnaissez-vous des influences dans l’idée d’écrire des nouvelles, des histoires courtes ?

Oh, bien trop pour toutes les citer. Mon premier et principal amour littéraire est la nouvelle, et donc mes adeptes favoris de ce format (Denis Johnson, George Saunders, Grace Paley, Raymond Carver, Ernest Hemingway, Isaac Babel, Robert Coover, Donald Barthelme...) me poussent, naturellement, dans cette direction. Certaines personnes sont enclines à la parcimonie – il se trouve que j’en fais partie.

Couverture du 1er comic, Martín Morazzo © les auteurs

Et dans les comics ? Il existait une tradition d’histoires courtes à chute. Est-ce que vous pensiez aux EC Comics ou aux magazines Warren en créant Ice Cream Man ?

En fait, pas vraiment. Je n’avais pas lu ces comics (mais j’en ai lu quelques-uns depuis !). Ice Cream Man vient vraiment des auteurs que j’ai mentionnés, avec un soupçon de The Twilight Zone (La Quatrième Dimension) et, pour faire bonne mesure, d’une merveilleuse série sur HBO intitulée High Maintenance.
Je devrais mentionner que, quand j’étais gamin, mes parents étaient abonnés à un service de location de VHS absolument génial. Une fois par mois, on recevait par la poste un superbe coffret de The Twilight Zone, avec 4 ou 5 épisodes par cassette. On passait le vendredi soir à les regarder.

Comment avez-vous choisi les quatre histoires du premier album ? Vouliez-vous rapidement montrer différents types d’histoires ?

Ce choix ne suit aucun plan, aucune stratégie. La raison d’être de Ice Cream Man est justement que nous pouvons raconter n’importe quel type d’histoire, n’importe quand. J’avais déjà pensé à ces quatre premières histoires quand nous avons commencé – il se trouve simplement qu’elles sont complètement différentes l’une de l’autre.

Est-ce que Martín a proposé des idées d’histoires ou a eu envie de dessiner des choses que vous avez ensuite intégrées à vos scénarios ?

Les histoires – du moins dans leur forme la plus embryonnaire – viennent de moi. Des idées d’histoires me viennent à l’esprit en écoutant des chansons, en lisant des articles, par exemple (la troisième est inspirée de cet incroyable article du Texas Monthly à propos de la fin de la vie du rocker Bill Haley[Bill Haley a interprété la célèbre chanson Rock Around the Clock.NDLR]. Je me suis dit que l’idée de quelqu’un dans un restau en train de siffloter sa propre chanson dans l’espoir d’être reconnu était l’une des choses les plus tristes que j’ai jamais entendues).

Mais Martín enjolive les pages par des détails, des décors, leur donne vie d’une façon qui dépasse tout simplement mon imagination – je pense que c’est une des raisons pour lesquelles notre collaboration est aussi fructueuse. Il a carte blanche pour raconter visuellement l’histoire comme il l’entend.

Couverture du 3e numéro

Nous n’avons lu que les quatre premières histoires, mais nous avons beaucoup apprécié la façon dont vous combinez personnages réalistes et éléments fantastiques. Est-ce quelque chose que vous avez spécifiquement recherché, ou est-ce que c’est apparu lors du développement des histoires ?

Pour être honnête, je ne sais pas vraiment comment ce mélange se produit en moi. J’ai d’abord envie d’écrire des histoires à propos de problèmes humains bien réels – frustration, vieillissement, divorce, regret, remords… – et ensuite, à un certain moment de mon processus d’écriture, ces histoires de banlieusards se compliquent et cette autre dimension de folie, de magie, d’horreur, etc. se fraie un chemin.

Ice Cream Man chez Huggin & Munnim en France.

En lisant les quatre premières histoires, il est clair que vous plantez les germes d’une mythologie spécifique. Avez-vous des indices à donner à ce sujet aux nouveaux lecteurs ?

Il existe bien une très vague mythologie en périphérie de la série, et nous zoomons parfois dessus, au gré de nos humeurs. Ce que je peux dire, c’est que le plus important pour nous, en tant qu’auteurs, ce sont les histoires individuelles elles-mêmes – les courts récits à propos des souffrances des gens, de la façon dont ils y font face (ou pas).

Avez-vous un plan d’ensemble de la série, ou est-ce que utilisez les idées qui vous viennent au fur et à mesure ? Et avez-vous prévu une certaine durée pour la série ?

Nous avons, et nous n’avons pas, de plan d’ensemble. Ça ne fait pas très sérieux comme réponse, mais dans notre cas, c’est la vérité : la raison d’être de Ice Cream Man est d’offrir une liberté totale, nous voulons pouvoir changer de direction à notre gré, n’importe quand.

Cela dit, je sais quelle est la dernière histoire. Mais quant à savoir à quel moment nous la raconterons… cela dépendra de l’état du marché américain, des ventes de la série (et cinq ans après le lancement, la série continue à bien se porter !).

Quoi d’autre ?

Ce n’est peut-être pas l’information la plus importante, mais la série peut être découverte depuis n’importe quel point de vue : c’est-à-dire que vous pouvez commencer avec n’importe quelle histoire, n’importe quel volume, et vous obtiendrez une histoire complète.

Quels sont vos projets ?

J’ai une nouvelle série qui sortira bientôt, à propos de choses qui se terminent. Elle devrait être annoncée en avril. L’artiste du premier numéro devrait emballer les fans d’horreur.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782364809017

[1Publiée en 2016 par IDW, cette mini-série met en scène une enquête aux accents fantastiques dans le monde de l’art. Elle est republiée en ce moment chez Image sous le titre Art Brut, mais reste pour l’instant inédite en français.

Ice Cream Man ✍ W. Maxwell Prince ✏️ Martín Morazzo Fantastique
 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR François Peneaud  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD