Cher Joann,
Malgré toute mon amitié et mon respect pour ton travail, qui parfois m’irrite et parfois m’enchante, je dois te dire que tu as merdé. Plus grave que tu n’affectes de le voir.
Tu as le droit d’attaquer la SGDL comme d’autres organisations, bien entendu. Après tout, la SGDL (dont je ne suis pas membre) n’est pas l’organisation la plus radicale dans la défense des auteurs (on se souvient de l’affaire Relire, où elle n’avait pas été à la hauteur pour défendre le droit moral que politiques et éditeurs voulaient amputer). Nous avons tous des critiques vis-à-vis de cette institution vénérable, mais, sur le point où tu l’attaques, tu avais tout faux.
Si, dans le passé, des sociétés d’auteurs ont utilisé l’argent des auteurs à mauvais escient, cela n’a jamais été le cas de la SGDL qui, je te le rappelle, n’est pas une société de perception de droits comme la SOFIA, la SACEM, la SACD, l’ADAGP ou la SAIF. Elles sont toutes aujourd’hui surveillées de bien plus près que les députés et ministres. Ce genre d’accusation est pourtant récurrent, mais ce sont des élus d’extrême-droite qui s’y livrent et aucun n’est jamais allé jusqu’à la plainte judiciaire, et pour cause.
Plusieurs personnes t’ont répondu et tu as dû dans ton communiqué en convenir : cette accusation, grave, était absurde.
Mais dans ta diatribe, tu assimiles aussi l’ensemble des organisations représentatives, en gros la vingtaine qui compose le Conseil Permanent des Écrivains, illustrateurs et auteurs de l’écrit et du livre (sa véritable appellation). Un nombre qui démentit ton affirmation stupide : « On n’est pas représentés ». Tu dis « On a le privilège d’être la seule profession qui n’élit pas ses représentants... » Mais dans TOUTES les organisations, ils sont élus, souvent avec des contraintes ultra-démocratiques (mandats non-renouvelables dans le temps, direction plurielle, parité...) Tu as le droit de penser qu’elles « nous représentent bien mal », mais que n’es-tu venu le dire en interne, en te battant à leurs côtés, ou mieux, dans leurs instances.
Crois-moi, quand ces instances, syndicats ou associations que tu méprises et sur qui tu craches ici, ont obtenu après des années de bagarre, les premiers accords (Codes des usages) avec un SNE alors simple relais du CNPF (le MEDEF de l’époque), la Sécurité sociale (que nous avons obtenue APRÈS les ecclésiastiques et les prostituées), une retraite complémentaire, une formation professionnelle, l’Exception culturelle au Parlement européen, le droit de prêt, celui sur la copie privée numérique, et plein d’autres avancées.
Dans ces luttes que nous avons gagnées, nous aurions beaucoup aimé avoir pour « président d’honneur » quelques grandes figures de l’édition qui nous auraient boostés. Mais ces avancées ont été obtenues par des sans grade de l’édition (ceux qui la font marcher pourtant), qui vendent modestement, à qui on propose parfois moins de 1 000 € pour un roman ou un album qui leur a pris des mois et des années, un pourcentage ridicule, à qui on n’envoie pas de relevés de compte, pour qui on ne fait pas de promotion dans le métro - et qui sont bénévoles. Tu leur donnes des leçons, mais où étais-tu pendant ces combats ? Il ne te « représentent » peut-être pas, mais toi tu nous représentes bien mal.
Si je te faisais lire les réactions furieuses qui me sont parvenues, pas seulement dans le syndicat que je préside, de la part d’auteurs qui pourtant étaient tes lecteurs, tu comprendrais à quel point tes réflexions à l’emporte-pièce, sans vérification élémentaire, ont été pris par les militants syndicaux et associatifs comme une gifle. Car, quotidiennement, ce sont eux qui TE défendent, qui TE permettent de toucher régulièrement des droits bien plus élevés que les leurs pour le prêt en bibliothèque, les photocopies, la copie privée numérique, et plus tard ta retraite.
Alors que toi, dont la notoriété pourrait leur être utile, tu viens leur tirer dessus.
Ta polémique survient dans un des moments les plus tragiques pour la culture. Un moment où se serrer les coudes, tous, radicaux et modérés, est indispensable, tu tapes sur des copains. Mais que ne tapes-tu avec cette énergie sur ceux qui nous mis dans cette merde ? Sur le ministre qui s’écrase dès que Bercy aboie ? Sur le gouvernement qui a mis le rapport Racine direct au panier ? Sur le SNE ? Sur les éditeurs qui bafouent la loi et les codes des usages ? Sur ceux qui ne reversent pas la part auteur du droit de prêt ? Sur ceux qui se gardent bien d’envoyer les comptes annuels ? Sur ceux qui ne réintègrent jamais les provisions sur retour ? Sur ceux qui nous spolient VRAIMENT (Google, Amazon, et les pillards du Net qui mettent nos œuvres en ligne sans accord ni rémunération) ? T’emportes-tu contre la fermeture des librairies, la suppression des festivals et des salons ? Contre la disparition du dessin d’actualité dans la presse ? Contre la faillite de Presstalis et la fermeture des kiosques qui ruinent nos journaux et revues ? Non, Joann Sfar tape sur les organisations d’auteurs créées et animées bénévolement par les auteurs qui font ce boulot chaque jour ! Merde, Joann, jamais je n’aurai - nous n’aurions - cru ça de toi !
Mal renseigné par des gens qui sans doute ne te/nous veulent pas du bien, tu t’es énervé à côté de la plaque. L’ennui est que ta notoriété a donné à cette bourde une ampleur qui ne profite qu’aux ennemis des auteurs. Et que la réaction de la SGDL, aussi épidermique que la tienne, en rajoute une couche. Dans certains ministères et certaines maisons d’édition, ton coup de sang est béni : il montre une faille dans l’unanimité des créateurs, si facile à exploiter. « Les auteurs se déchirent » : un titre qui va en faire jouir dans l’édition ! Comme d’habitude, on les jouera les uns contre les autres. Cela a marché pendant des décennies. Quand je présidais le Conseil permanent, j’ai consacré mon mandat à faire revenir les organisations qui en étaient parties, à faire venir celles qui refusaient d’en être. Nous avons doublé les effectifs, et alors, d’un coup, nous avons été bien mieux écoutés. Nos désaccords ont toujours existé, mais ils s’exprimaient en amont, en interne, et ni les éditeurs, ni les gouvernements ne pouvaient les utiliser en jouant les uns contre les autres. Je n’ai aucune envie de revenir 30 ans en arrière, j’ai donné.
Alors, STP, reprends-toi. L’auteur du Chat du rabbin vaut mieux que l’image qu’il vient de montrer. Et surtout, notre métier, nos métiers, écrire ou dessiner, valent mieux que l’image que nous venons de projeter et qui, en ce temps noirci de virus, nous desservira alors que nous sommes en pleine bagarre. Ne te trompes pas de camp : ta place est aux côtés des auteurs qui luttent. Concrètement. Quotidiennement. En réfléchissant, pas en gueulant sans réfléchir. On t’attend.
Yves Frémion
(par Yves FREMION)
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