Arborant une esthétique vintage, à la manière des comic-books des années 40/50 aux tons sépia, cet album raconte l’histoire d’un mafieux québécois qui cherche à faire ses premiers pas dans la haute société havanaise. En ces temps-là, le dictateur du pays antillais agit en véritable satrape des mafieux venus du monde entier pour faire fortune dans l’industrie des jeux, du tourisme et, bien évidemment, dans la drogue.
Sous la protection des États-Unis, la dictature gouverne le pays d’un bras de fer impitoyable, mais cela semble ne pas avoir d’importance au vu des bénéfices que les grands consortiums américains tirent de l’or blanc du pays, le sucre. La misère et la colère grondent au loin dans les provinces pauvres de l’est de l’île, tandis qu’à la capitale, l’argent coule à flot.
En quête de fortune, notre héros cherche à creuser son trou dans la mafia : il rencontre Meyer Lansky, le comptable de la mafia, qui est chargé de superviser toutes les opérations du pays, Santo Trafficante (fils), qui à cette époque prospérait dans la drogue et les jeux, et bien sûr, le président Batista, qui, hiérarchie du crime oblige, perçoit sa dîme auprès de toutes les start-ups mafieuses de la ville.
Le scénario est bien rodé et structuré autour d’une progression : Lucien Rivard passe du rôle de spectateur interloqué à celui d’acteur du monde de la drogue. Les fans d’intrigues politiques et de polars trouveront sans doute leur bonheur en suivant les tribulations de ce mafiosi au cœur d’or.
On saluera l’effort de reconstitution de la société cubaine des années 1950, avec ses tensions et ses conflits. Les auteurs parlent de héros de la révolution peu connus en France, tels Camilo Cienfuegos et José Antonio Echeverría. Il est aussi appréciable que l’album aborde l’un des épisodes les plus épineux du début de la révolution cubaine : les fusillades de la Cabaña. Loin des simplifications réactionnaires, on comprend comment, sous la supervision du Che, les révolutionnaires ont conduit les procès contre les anciens tortionnaires de la dictature.
Evitant l’écueil consistant à promouvoir l’image caricaturale d’un Che assoiffé de sang, les auteurs ont pris soin de consulter les sources historiographiques afin de montrer la réalité des inculpés : des criminels connus de tous, allant des collaborateurs et des mafieux aux bourreaux du peuple, qui n’avaient pas pu prendre la fuite vers Miami.
La Havane semble directement tirée des photos des revues de tourisme de l’époque, avec un véritable soin porté dans la reconstitution des immeubles visités par le héros. L’Hôtel National et sa vue sur le Malecón habanero sont représentés avec beaucoup de fidélité, tout comme la Villa Rivard, toujours en place à l’intersection des rues 92 et 5e A de Miramar. La décoration des casinos, le mobilier, et même les tableaux des artistes cubains esquissés au fond d’une galerie (curieusement entretenue par une femme ressemblant grandement à la célèbre galeriste Lolo Soldevilla) sont d’un grand réalisme. Cependant, on remarque trois points qui nuisent à ce souci du détail : l’utilisation par les personnages cubains d’expressions typiques de l’espagnol ibérique mais absentes au sein du vocabulaire cubain et même latino-américain. On relèvera aussi l’emploi, par les rebelles - Fidel Castro en particulier - d’armes soviétiques, notamment des fusils AKM, qui étaient complètement absents à cette époque dans l’hémisphère occidental (rideau de fer oblige).
On connaît bien l’imaginaire contemporain des rebelles armés de kalachnikovs, mais dans ce cas précis, sa représentation dessert le réalisme historique. Une simple recherche sur Wikipédia aurait suffi pour voir que l’arme de Fidel Castro était le fusil Winchester M70, une arme de sniper pour un leader qui se bat en cachette. En dernier lieu, le dirigeant de la guérilla est constamment désigné par son nom, Castro, alors qu’il est bien connu que les Cubains l’appellent toujours par son prénom, Fidel, ou encore « le docteur » ou « Alejandro », son nom de guerre. Il ne s’agit bien évidemment que de détails, mais ces petites ratures finissent par nuire au récit.
Au bout du compte, Havana Connection est sans doute destiné à occuper une place spéciale dans le panthéon des amateurs de BD alliant thriller et histoire. Sans recourir à trop de fabulations, le récit imaginé par Lucien Rivard durant ses années cubaines est un incontournable pour les connaisseurs ainsi qu’une excellente porte d’entrée à la période révolutionnaire de l’histoire de Cuba.
Voir en ligne : Lucien Rivard
(par Jorge Sanchez)
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Havana Connection - Par Michel Viau et Djibril Morissette-Phan. Éditions Glénat. 248 pages - 27€ 50.
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