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Havana Connection : l’âge d’or de la mafia à Cuba vu par un Canadien

Par Jorge Sanchez le 5 mars 2024                      Lien  
Habana, 1956. Fuyant les embrouilles entre les grands capos de la côte est, Lucien Rivard débarque dans la perle des Caraïbes pour faire fortune en attendant que les choses se calment dans son Québec natal. Avec lui, il apporte une petite fortune, un projet de casino et ses précieux contacts avec la mafia corse, qui lui fournissent de l'héroïne de première qualité. D'un autre côté, la nation antillaise croule sous la dictature de Batista, et la révolution armée commence à s'organiser… Sorti chez Glénat, ce polar de Michel Viau et Djibril Morissette-Phan reconstruit avec précision les événements précédant la révolution cubaine de 1959.

Arborant une esthétique vintage, à la manière des comic-books des années 40/50 aux tons sépia, cet album raconte l’histoire d’un mafieux québécois qui cherche à faire ses premiers pas dans la haute société havanaise. En ces temps-là, le dictateur du pays antillais agit en véritable satrape des mafieux venus du monde entier pour faire fortune dans l’industrie des jeux, du tourisme et, bien évidemment, dans la drogue.

Sous la protection des États-Unis, la dictature gouverne le pays d’un bras de fer impitoyable, mais cela semble ne pas avoir d’importance au vu des bénéfices que les grands consortiums américains tirent de l’or blanc du pays, le sucre. La misère et la colère grondent au loin dans les provinces pauvres de l’est de l’île, tandis qu’à la capitale, l’argent coule à flot.

Havana Connection : l'âge d'or de la mafia à Cuba vu par un Canadien
Havana Connection. Éd Glénat

En quête de fortune, notre héros cherche à creuser son trou dans la mafia : il rencontre Meyer Lansky, le comptable de la mafia, qui est chargé de superviser toutes les opérations du pays, Santo Trafficante (fils), qui à cette époque prospérait dans la drogue et les jeux, et bien sûr, le président Batista, qui, hiérarchie du crime oblige, perçoit sa dîme auprès de toutes les start-ups mafieuses de la ville.

Le scénario est bien rodé et structuré autour d’une progression : Lucien Rivard passe du rôle de spectateur interloqué à celui d’acteur du monde de la drogue. Les fans d’intrigues politiques et de polars trouveront sans doute leur bonheur en suivant les tribulations de ce mafiosi au cœur d’or.

Havana Connection. Éd Glénat

On saluera l’effort de reconstitution de la société cubaine des années 1950, avec ses tensions et ses conflits. Les auteurs parlent de héros de la révolution peu connus en France, tels Camilo Cienfuegos et José Antonio Echeverría. Il est aussi appréciable que l’album aborde l’un des épisodes les plus épineux du début de la révolution cubaine : les fusillades de la Cabaña. Loin des simplifications réactionnaires, on comprend comment, sous la supervision du Che, les révolutionnaires ont conduit les procès contre les anciens tortionnaires de la dictature.

Evitant l’écueil consistant à promouvoir l’image caricaturale d’un Che assoiffé de sang, les auteurs ont pris soin de consulter les sources historiographiques afin de montrer la réalité des inculpés : des criminels connus de tous, allant des collaborateurs et des mafieux aux bourreaux du peuple, qui n’avaient pas pu prendre la fuite vers Miami.

Havana Connection. Éd Glénat

La Havane semble directement tirée des photos des revues de tourisme de l’époque, avec un véritable soin porté dans la reconstitution des immeubles visités par le héros. L’Hôtel National et sa vue sur le Malecón habanero sont représentés avec beaucoup de fidélité, tout comme la Villa Rivard, toujours en place à l’intersection des rues 92 et 5e A de Miramar. La décoration des casinos, le mobilier, et même les tableaux des artistes cubains esquissés au fond d’une galerie (curieusement entretenue par une femme ressemblant grandement à la célèbre galeriste Lolo Soldevilla) sont d’un grand réalisme. Cependant, on remarque trois points qui nuisent à ce souci du détail : l’utilisation par les personnages cubains d’expressions typiques de l’espagnol ibérique mais absentes au sein du vocabulaire cubain et même latino-américain. On relèvera aussi l’emploi, par les rebelles - Fidel Castro en particulier - d’armes soviétiques, notamment des fusils AKM, qui étaient complètement absents à cette époque dans l’hémisphère occidental (rideau de fer oblige).

On connaît bien l’imaginaire contemporain des rebelles armés de kalachnikovs, mais dans ce cas précis, sa représentation dessert le réalisme historique. Une simple recherche sur Wikipédia aurait suffi pour voir que l’arme de Fidel Castro était le fusil Winchester M70, une arme de sniper pour un leader qui se bat en cachette. En dernier lieu, le dirigeant de la guérilla est constamment désigné par son nom, Castro, alors qu’il est bien connu que les Cubains l’appellent toujours par son prénom, Fidel, ou encore « le docteur » ou « Alejandro », son nom de guerre. Il ne s’agit bien évidemment que de détails, mais ces petites ratures finissent par nuire au récit.

Havana Connection. Éd Glénat

Au bout du compte, Havana Connection est sans doute destiné à occuper une place spéciale dans le panthéon des amateurs de BD alliant thriller et histoire. Sans recourir à trop de fabulations, le récit imaginé par Lucien Rivard durant ses années cubaines est un incontournable pour les connaisseurs ainsi qu’une excellente porte d’entrée à la période révolutionnaire de l’histoire de Cuba.

Voir en ligne : Lucien Rivard

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782924997451

à partir de 17 ans Mafia, gangsters Policier, Thriller Histoire
 
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8 Messages :
  • Merci pour cet avis éclairé, loin de la propagande américaine. Les clichés propagés par les capitalistes (surtout les américains) de massacres aveugles commis par les révolutionnaires ont encore la vie dure, eux qui sont terrifiés à l’idée même qu’on ne puisse plus surexploiter jusqu’à la mort son prochain. Chaque fois que la vérité historique peut être rappelée, elle met en lumière qui sont les vrais monstres.

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    • Répondu le 5 mars à  13:45 :

      Les monstres ça n’existe pas. Il n’y a que des êtres humains. Et des êtres humains qui ont commis des monstruosités, il y en a dans tous les camps et de tous les bords.

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      • Répondu par Lady Slexique le 5 mars à  20:45 :

        Exact, ce qui est sûr, avant la révolution cubaine, Cuba était le tripot et le bordel des USA. Et maintenant, privée de l’aide du grand-frère soviétique, c’est un des pays les plus pauvres du monde !!
        Triste bilan, digne de celui de la Corée du Nord !
        Au delà de la photo romantique du Che, misère et désespoir ! Une misère digne de celle d’Haiti !

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        • Répondu par Seb le 11 mars à  13:36 :

          Alors je ne sais pas d’où vous sortez des inepties pareilles mais clairement renseignez-vous un peu : ils ne sont certes pas inondés par la société de consommation (blocus américain oblige) mais ils ont un des systèmes de santé et d’éducation les plus performants au monde. La population n’y meurt plus de faim, et elle est entièrement alphabétisée. Rien à voir donc avec la Corée du Nord, d’autant que ce n’est pas le manque d’aide soviétique qui pose problème, mais clairement le blocus US qui entrave son développement.

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          • Répondu le 11 mars à  21:06 :

            Mais oui c’est un vrai petit paradis. Et il n’y a pas de prisonniers politiques bien entendu…

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            • Répondu par Seb le 12 mars à  13:17 :

              On en parle de Julian Assange ? Des bastonnades permanentes dès que le peuple est pas d’accord avec la régression sociale ? L’île vit depuis 50 ans sous un blocus indigne, et donc en état de siège permanent pour que le pouvoir tombe et qu’elle puisse redevenir le paradis de l’exploitation et du saccage néolibéral : dans ce contexte vous conviendrez qu’il font un peu attention aux déstabilisations ennemies, je vous rappelle que les US ont renversé au moins une fois ces cent dernières années tous les gouvernements au sud de chez eux parce que leur politique leur convenait pas. Et accessoirement, c’est pas nos soi-disant "démocraties" qui empêchent nos gouvernants d’enfermer tout le monde quand ça leur chante, donc pour la défense des libertés, vous repasserez...

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              • Répondu le 13 mars à  21:24 :

                Le rapport entre Assange et Cuba ? Je préférerais toujours une démocratie très imparfaite à une dictature.

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  • Camilo Cienfuegos peu connu ? sans blague ? Ne prenez pas votre méconnaissance du sujet comme étalon universel ! Même wikipedia - avare de compliments - nous dit qu’il est célèbre !

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