C’est en suivant le vol d’un papillon que les lecteurs pénètrent derrière les murs d’un hôpital psychiatrique : entrée en matière poétique pour traiter d’un endroit souvent associé à la dureté, dans lequel vivent ceux qu’on appelle des "fous". Institution totale, au sens où les individus qui y sont internés sont coupés du monde extérieur et entièrement pris en charge, l’hôpital psychiatrique est aussi un lieu où une attention est portée sur des parcours cabossés, où ce qui semble incohérent fait davantage sens, et où existe une vie à part entière.
Grâce à un travail d’immersion des deux auteurs, Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer, qui ont eux-mêmes investi un hôpital psychiatrique (l’ouvrage est réalisé avec la participation du Centre hospitalier Camille Claudel, près d’Angoulême), on comprend comment fonctionne concrètement un hôpital psychiatrique, et ce à travers de nombreux points de vue : les soignants (eux-mêmes très divers), les "malades", les professionnels du travail social qui accompagnent et épaulent les patients, les anciens "malades" qui partagent leurs trajectoires et la mettent au service de l’institution, celles et ceux qui visitent un parent, un ami. Se dessine alors un lieu plein de vie, avec ses codes, ses risques (un "malade" peut-être violent ou imprévisible), ses moments d’humanité.
Se dégage de ce livre une mosaïque de personnages qui, tous, ont la volonté de ne pas exclure celles et ceux qui, pour diverses raisons, se retrouvent là. Leur volonté est de sortir les malades de l’hôpital, dont on s’aperçoit aussi qu’il n’est pas aussi fermé qu’on ne pourrait le croire sur le "monde extérieur". Le livre comprend aussi une dimension plus engagée lorsqu’il relate à quelques reprises le manque de moyens consacrés aux professionnels de santé.
Le focus mis sur la schizophrénie permet de dédramatiser cette pathologie, et surtout, à la faire comprendre. Utilisée à tort et à travers dans les médias, notamment pour en faire un élément explicatif de certains drames, elle n’en est pas moins une souffrance intense pour ceux qui la vivent. La psychiatrie permet de trouver des traitements et de rendre une autonomie.
Le livre propose d’intéressants choix graphiques : comment représenter la folie, sans faire référence à l’illustration classique d’un entonnoir sur la tête ? Dans un ensemble aux couleurs pâles (les couleurs sont de Thomas Lavaud), les "malades" sont représentés dans un marron délavé, comme des ombres.
Si l’on devait être un peu critique, on pourrait interroger la vision très "occidentalo-centrée" du traitement de la pathologie que relate le livre : par la psychiatrie, qui est une manière parmi d’autres de la cadrer et d’y répondre.
Mais il ne s’agit pas d’un traité médical, et cette bande dessinée, fort documentée par un dossier qui la complète, s’attache fort bien à restituer avec pudeur et émotion ce qui fait qu’une société est civilisée : la prise en charge de ceux qui ne sont pas "comme les autres".
(par Damien Boone)
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