Romans Graphiques

À l’Oreille des politiques – Par Aurore Gorius, Vincent Sorel et Vincent Mahé – Lesjours.fr / La Revue dessinée

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 février 2022                      Lien  
Communicants, lobbyistes, conseillers à l’ombre du pouvoir… tel est l’objet de cette enquête de 140 pages mêlant textes et dessins faisant le point sur ces gens pour qui l’on ne vote pas mais dont « le pouvoir et colossal ». Dans l’ombre, disent les auteurs, ils œuvrent pour des acteurs puissants : armement, nucléaire, pesticides, banques… Ils sont diplômés de plus grandes écoles : HEC, Sciences Po, Polytechnique, l’ENA… Un petit ouvrage rudement intéressant, facile à lire mais aux relents… comment dire ?...

Qu’est-ce qu’ActuaBD.com ? Un site de bénévoles fans de BD aux qualités assez disparates. Il y a dans notre équipe des vrais spécialistes et une cohorte de chroniqueurs fans de BD qui sont journalistes, profs, étudiants, libraires, ou autres. Pas de spécialistes de la politique, des affaires ou de la finance. Mais pas pour autant déconnectés de la vie de tous les jours, et donc un peu au fait de l’actualité quand même. Il y a, je crois, toutes les opinions dans notre rédaction et pour tout vous dire, c’est une question qui ne se pose pas entre nous. Seul notre intérêt pour la BD nous motive, sinon nous ne reviendrions pas tous les jours. Évidemment, nous ne sommes pas hors sol. ActuaBD.com coûte de l’argent (l’hébergement informatique, le bureau, la comptabilité, la prospection commerciale…) et, pour le moment, nous vivons de la publicité, agent corrupteur s’il en est. Nous ne sommes pas des spécialistes, alors on explore, on découvre, on teste… Nous restons des amateurs, au bon sens du terme : on aime.

Alors quand on reçoit un volume comme celui-ci, notre premier réflexe est de savoir : « Qui parle ? » Ici, c’est Aurore Gorius, journaliste au site Lesjours.fr. Lesjours.fr ? L’info est sur leur site, c’est un média : « …indépendant et sans publicité qui raconte l’actualité à la manière de séries, avec des épisodes, des personnages, des lieux… Nous défendons un journalisme au long cours, tenace, singulier et obsessionnel. Les Jours ont été fondés en 2016 par d’anciens journalistes de Libération (qui, heureusement, ne sont plus tout seuls aujourd’hui).  » Une sorte de Médiapart, quoi.

À l'Oreille des politiques – Par Aurore Gorius, Vincent Sorel et Vincent Mahé – Lesjours.fr / La Revue dessinée

C’est un média plus vertueux que nous, gogos vendus au capital : pas de pub, vivant de l’abonnement, une « maison de verre » dont les actionnaires sont Les neuf cofondateurs : Olivier Bertrand, Nicolas Cori, Sophian Fanen, Raphaël Garrigos, Alice Géraud, Antoine Guiral, Augustin Naepels, Isabelle Roberts et Charlotte Rotman – contrôlent aujourd’hui 69,14 % du capital et quelques actionnaires minoritaires aux noms connus : le patron de Free Xavier Niel  : 4,79 %, le financier Matthieu Pigasse : 2,97 %. Des gens biens…

Et qui est Aurore Gorius ? Selon sa fiche Wikipedia, les Diderot et d’Alembert du XXIe siècle, c’est une journaliste née en 1978, issue de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et de l’Institut français de presse (université Paris 2 Panthéon-Assas). Elle collabore à France-Soir, Le Figaro, Le Point, L’Obs, La Revue Dessinée et Les Jours depuis 2017. Elle est aussi enseignante dans différentes écoles de journalisme et de communication (Emi-CFD, IEJ...). Elle travaille depuis plus de dix ans sur les manipulations économiques et politiques. Elle a écrit plusieurs ouvrages dont Les Gourous de la com’ : trente ans de manipulation économique et politique (en collaboration avec Michaël Moreau, La Découverte, 2011). Elle a notamment reçu le Prix « éthique » de l’ association anticorruption française Anticor 2020. Mazette !

Passons brièvement sur les deux dessinateurs de l’admirable Revue Dessinée que nous connaissons bien, Vincent Sorel et Vincent Mahé : leur travail est efficace et probe, dans un exercice qui relève plus de l’illustration que de la figuration narrative.

L’album

Il ne trompe pas sur la marchandise. Faisant un bref résumé des gourous de l’image depuis un siècle, il passe à ceux d’aujourd’hui au cœur de la République : les agences Publicis, Havas, Image Sept, DGM Conseil… Il montre les liens entre les politiques, les entreprises et leur communicants, dans des positions parfois interchangeables.

Il y a une curieuse historisation : celle qui consiste à expliquer comment le patronat français (le CNPF) a créé une véritable « machine de guerre » contre l‘esprit de Mai 68 et contre le Programme commun de la Gauche, une espèce de source originelle de toutes les dérives de la politique et de la communication d’aujourd’hui. Et d’égrener une longue liste d’hommes de l’ombre, de journalistes complices.

Il y a enfin les lobbyistes. Ils sont très organisés, ils viennent de partout et surtout, comme disait Maurras, ils sont partout : les pesticides, les armes à feu, les pharmaciens, les banquiers, les pétroliers et les nucléaires, les bétonneurs, les experts-comptables, les juristes… En novlangue, cela s’appelle des conseillers, des groupes d’étude… Ah, ils sont puissants, ils vont jusqu’à tenir la plume du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État, les fourbes !

Sur le fond, rien de nouveau : il y a là matière à une comédie humaine comme celle de Balzac dans Les Illusions perdues ou celle de Zola dans L’Argent. Rien de nouveau sous le soleil depuis l’Affaire de Panama, celle des Médailles ou celle des Fiches : « on ne gouverne pas innocemment  » disait un célèbre coupeur de têtes.

Le mécanisme du pouvoir et son influence sur la sphère culturelle est décrypté largement depuis Machiavel, Marx, Gramsci, Schumpeter ou Adorno. On apprend plein de choses dans ce livre, le parcours et les liens des uns et des autres, leurs appartenances politiques, mais encore ?

Quelle est son intention au-delà de cette synthèse et de son name dropping ? Que la politique est pourrie ? Que toutes les élites, tous les élus sont corrompus ? Deux éléments l’indiquent.

D’abord l’introduction qui nous dit en gros que «  la vérité est ailleurs  ». « Eux » (c’est leur terme, guillemets compris) influencent les élus, amendent les textes de loi, orientent les discours et façonnent l’action politique : « Le tout dans l’ombre, toujours dans l’ombre. » Complotiste ? « Ben voyons  » dirait un célèbre polémiste-candidat.

Enfin le chapitre conclusif de l’album qui s’intéresse à la « garde rapprochée » d’Emmanuel Macron : ses proches collaborateurs, assimilés aux Dalton, ses conseillers, forcément pléthoriques, et leurs pantouflages, leurs réseaux,… Et puis Benalla, la Banque Rothschild, la Start Up Nation… Un exemple parmi d’autres bien sûr, un cas d’école sans doute, dans l’actualité, puisqu’Emmanuel Macron est (pas encore) candidat à sa succession.

Sauf que tout cela n’invite pas spécialement à aller voter et renvoie de la politique une image déplorable. Est-ce une bonne chose en ces temps républicains ? Nos lecteurs et peut-être électeurs en jugeront.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782382640074

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