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Benoît Feroumont : un dessinateur animé.

Par Morgan Di Salvia le 2 avril 2011                      Lien  
C’est l’histoire d’un garçon qui rêvait de faire de la bande dessinée, mais qui en chemin s’est piqué de cinéma d’animation. Entre les deux, son cœur balance toujours, car depuis quinze ans, Benoît Feroumont prend plaisir à alterner les disciplines. La préparation de son premier long-métrage et la publication du troisième album de sa série Le Royaume constituent son actualité la plus récente, mais aujourd’hui, il prend le temps de nous raconter son parcours de dessinateur animé. Portrait.

C’est dans la campagne de Marche-en-Famenne que Benoît Feroumont passe ses vertes années. Il nous donne un petit cours de géographie pour nous situer le décor de son enfance : « Avant que la E411 ne passe par Rochefort, c’était le lieu de passage obligé de tous les routiers de Belgique et du Luxembourg. Depuis l’arrivée de l’autoroute, c’est devenu une petite ville bourgeoise. Ce n’est pas encore l’Ardenne belge, c’est une porte d’entrée ». Dans cette petite ville, Benoît grandit avec ses trois frères et sœur. Enfant, il manifeste déjà son appétit pour le dessin. Ses bonnes dispositions avec un crayon vont pourtant lui faire vivre une grande injustice : « À l’école maternelle, on nous a demandé de dessiner notre famille : les parents, les frères et sœurs, les chats, la maison, la voiture,… Bref : tout notre entourage. C’était le genre d’exercice que j’adorais, je me suis donc appliqué ! Quand j’ai ramené mon dessin en classe, la maîtresse n’a pas voulu croire que j’avais fait ça tout seul. Elle m’a donc puni. Je ne l’ai jamais raconté à mes parents. À la fois, c’était un génial compliment et une grande injustice. Je n’ai jamais pu faire valoir mes droits ! ». Dans la famille, Benoît peut compter sur les conseils de son grand-père maternel, graveur sur bois et professeur de publicité à l’école Don Bosco de Liège. Feroumont se souvient : « Mon grand-père m’a fait comprendre que c’est grâce au croquis que l’on apprend à dessiner. Ça a été un critère déterminant au moment de choisir une école d’art ».

Benoît Feroumont : un dessinateur animé.
La couverture du troisième album du "Royaume"
© Feroumont - Dupuis

Le virus du dessin bien inoculé, Feroumont va tout d’abord se passionner pour la bande dessinée. Il raconte ses premiers émois de lecteur : « J’ai le souvenir très précis d’un album d’Astérix et Obélix. J’apprenais à lire et je ne comprenais pas une case où Obélix courait derrière un pirate sur un bateau. Il tendait le doigt en disant "Iki, iki !". Je ne comprenais pas que ça voulait dire "Ici, ici, approchez-vous que je vous colle une baffe !" ». Outre ces saines lectures, Benoît va apprendre à aimer le cinéma d’animation. À treize ans, il participe à un stage Caméra Enfants Admis, où il découvre les techniques de l’animation.

"Nausicaä de la vallée du vent"
Un film de Hayao Miyazaki

À quinze ans, un jour de grippe, Benoît tombe sur un incroyable dessin animé japonais sur une chaîne italienne : « Des personnages partaient à l’assaut d’un avion en plein ciel, une princesse défendait son village,… Il a fallu des années pour que je comprenne qu’il s’agissait d’un extrait de Nausicaä de Hayao Miyazaki. Drôles de manières, ils diffusaient le film saucissonné en petits épisodes d’un quart d’heure, jours après jours. J’en ai vu deux épisodes sans jamais savoir de quoi il s’agissait puisque le générique était caviardé. C’est lors d’une rétrospective Miyazaki au Festival Anima, sept à huit ans plus tard, que j’ai enfin découvert le titre de cette merveille… ».

Arrive le temps de choisir une école supérieure. Bien décidé à s’aguerrir en dessin, Feroumont s’inscrit à Saint-Luc, une école de Liège réputée pour son option bande dessinée et illustration. Il commente : « C’est l’école que j’ai choisie, parce que c’était un endroit qui offrait des cours de croquis. À cette époque, ils proposaient seize heures de croquis en première année. Je voulais apprendre à dessiner avant toute chose ». Et effectivement, Feroumont ressort très satisfaisait de ses années à Saint-Luc : « Oui, parce que c’était une école très classique. On nous apprenait les canons de la beauté, ce genre de choses. Il y a des gens qui détestent. Moi je trouve ça très formateur. On maniait des aquarelles, des gouaches, on apprenait à tendre des planches,… C’était vraiment l’apprentissage d’un métier, on nous donnait un socle solide. Les considérations de « devenir un auteur », ça venait après. Ce qui est plutôt sain comme enseignement… ». Sur les bancs de l’école, il côtoie des condisciples qu’il juge « tout simplement excellents ». Et de renchérir : « C’est une chance d’avoir eu des voisins de classe qui étaient très doués : ça a créé de l’émulation ».

Son diplôme de BD et Illustration en poche, Feroumont n’a tout de même que vingt ans. Il ne se voit pas commencer à démarcher les éditeurs si jeune. Commentaire de l’intéressé : « J’avais déjà bu quelques bières, certes, je m’étais mis un peu de plomb dans la tête, mais j’avais encore besoin de quelque chose d’autre. Je suis donc allé à La Cambre à Bruxelles pour étudier l’animation. Je pensais y rester seulement deux ans et finalement, j’ai fait un cursus complet de cinq ans ». Dès sa deuxième année, Feroumont voit un de ses films d’étudiant (« Chapeaux ») sélectionné dans les festivals, connaître une carrière internationale et collectionner les prix ! L’apprenti animateur en est tout retourné : « Ça tombait tout cuit trop vite. J’étais à peine à la moitié de ma formation d’animateur et surtout, dans ma tête, je me voyais comme un dessinateur de bande dessinée qui faisait un peu d’animation ! D’un coup, on me parlait de réalisation, j’avais des articles dans les journaux, des gens du cinéma me félicitaient dans les festivals. Anima nous ouvrait grand ses portes, il y avait du public, des gens nous applaudissait. C’était un peu vertigineux ». C’est aussi le début d’une longue histoire d’amour avec ce festival de référence en Belgique. Feroumont confesse : « Je leur dois beaucoup ! C’était essentiel d’être à Anima autant qu’à la projection de fin d’année scolaire ! C’était être parmi les mecs cools que d’avoir un film à Anima ! Ça nous encourageait à travailler ». En parallèle à son cursus, Benoît réalise des commandes de petits courts-métrages pour le producteur Raymond Tercafs. C’est à nouveau une expérience très formatrice, car il s’agit de travailler dans des délais très courts pour faire des animations cartoon les plus efficaces possible.

Benoît Feroumont à Bruxelles
en mars 2011

À cette époque, celui qui rêvait de bande dessinée ne met-il pas son rêve entre parenthèses ? Benoît Feroumont nuance : « C’est-à-dire que je commence à me piquer d’être réalisateur. La reconnaissance en festival me monte un peu à la tête. Du coup, l’année suivante je ne travaille pas beaucoup. La claque : je ne suis pas sélectionné à Anima, parce que je n’avais pas assez travaillé et que, du coup, mon film n’était pas bon ! J’ai accusé le coup, j’étais déçu, mais mon amie animatrice Guionne Leroy  [1] m’a dit les mots justes qui ont été l’électrochoc salutaire. J’ai compris la leçon : il fallait bosser dur ».

Au milieu des années 1990, notre dessinateur animé se lance à corps perdu dans la réalisation, avec, en ligne de mire, un premier court-métrage en dehors des murs de La Cambre. Il monte une petite structure, et grâce à la bonne réputation de ses films d’étudiant, réussit à convaincre le producteur Geert Van Goethem de l’accompagner comme coproducteur. Les budgets sont étriqués. Pour gagner sa vie, Feroumont accepte un boulot publicitaire remporté par un ami. C’est dans ce contexte qu’il fait une rencontre essentielle : « La production était très compliquée et comme on était des jeunots, ils nous ont adjoint un réalisateur aguerri pour nous chapeauter un peu. Ce réalisateur, c’était Sergio Honorez. J’ai immédiatement sympathisé avec lui parce qu’on avait le même humour. Pendant cinq ans, il m’a appelé régulièrement pour faire de l’animation dans les pubs qu’il réalisait. Ça m’a permis de gagner ma vie et d’avancer sur mes projets personnels de films ».

Un extrait de "Wondertown"
© Feroumont - Vehlmann - Dupuis

Lancé professionnellement, Feroumont commence à publier ses premières planches de BD. C’est un vieux rêve qui devient réalité : « Je faisais des histoires courtes pour le plaisir dans Spirou. J’avais demandé à Thierry Tinlot, rédacteur en chef à l’époque, de pouvoir dessiner des histoires courtes, sans volonté de faire d’album. Il m’a présenté un jeune scénariste qui débutait : Fabien Vehlmann. J’étais présent de temps en temps dans le journal. Ça me faisait de l’argent de poche et j’étais très heureux de mon sort. Je passais mon temps entre publicités, courts-métrages et bandes dessinées ». La publicité, justement, devient un peu trop énergivore. Benoît s’explique : « Après trois ans, j’ai mis un frein sur la publicité, parce que je voulais absolument finir mon court-métrage. Le projet traînait depuis trop longtemps, ça devenait difficile pour les nerfs de l’équipe. Je m’étais accordé 6 mois et ça en a finalement pris 15 ! ».

"Les Triplettes de Belleville"
Un film de Sylvain Chomet

Au début de l’année 2000, « Bzz » est achevé. Sélectionné à Anima, le film décroche le Grand Prix du Festival, puis connaît un parcours international : Cannes, Cartoon d’Or, Annecy. Le plein de reconnaissance artistique est fait, cependant la production de « Bzz » a porté un coup aux finances. Benoît enchaîne alors sur un projet qui va faire date : Les Triplettes de Belleville. «  Sylvain Chomet, le réalisateur des Triplettes, cherchait un animateur pour superviser l’animation en Belgique. J’ai obtenu ce poste et j’ai formé un petit studio qui a animé certaines séquences du film. Humainement, ça a été une période superbe », se souvient-il plein d’enthousiasme. Le long-métrage sort dans les salles en 2002 et reçoit un accueil exceptionnel.

Mettant fin à une longue abstinence, Benoît opère un retour à la bande dessinée. « Après les Triplettes, je me suis remis plus activement à la BD avec Vehlmann. J’étais plus disponible. J’ai donc proposé à Fabien qu’on lance une série, mais qu’on garde le format des histoires courtes que j’affectionne. C’est ainsi que l’on a créé la série Wondertown ». Arrive également à cette époque un long chantier publicitaire pour une compagnie d’assurance, dont le design était signé Lewis Trondheim.

"Brendan et le secret de Kells"
Un film de Tomm Moore & Nora Twomey

Après ces vagues de pub, Feroumont replonge dans des projets cinématographiques : « J’ai commencé un travail d’animation sur le long-métrage Brendan et le secret de Kells et la production de mon deuxième court : Dji Vou Veu Volti. Toutes ces activités m’ont amené au surmenage complet ! Je devais refuser des collaborations sur des long-métrages, j’étais coincé. Ça n’était pas très clair dans ma tête ». C’est à ce moment qu’une vieille connaissance devient Directeur Editorial de Dupuis : Sergio Honorez. Feroumont raconte : « Sergio m’a dit très franchement, si tu veux refaire des bandes dessinées, ne fais pas ça à la concurrence, ce serait ridicule ! Frédéric Niffle m’a invité à participer au journal. C’était un bon moment pour faire une petite pause dans l’animation.

Un extrait de "Dji Vou Veu Volti"
© Feroumont - Walking The Dog - Monsieur Albert Production

J’ai décidé de me consacrer pour un certain temps à la bande dessinée. Il y avait aussi l’idée de gérer des frustrations nées du fait que j’avais des histoires personnelles à raconter et qu’en film, ça prenait des années pour se faire ou même ne pas se faire ! Puis, ça me permettait de travailler beaucoup plus à la maison et ainsi de voir mes enfants ». C’est ainsi que débute la série Le Royaume, inspirée par les décors médiévaux et toscans, imaginés pour Dji Vou Veu Volti. Après trois albums, le dessinateur confesse que ses personnages continuent de le surprendre : «  Oui, tout à fait. D’autant que j’envisage cette série sur la durée. Les personnages évoluent dans un univers joyeux. Je parle de notre époque, mais je déguise mes acteurs en roi, chevaliers ou en princesses ».

Un extrait du "Royaume"
© Feroumont - Dupuis

L’œil pétillant, Benoît Feroumont nous glisse quelques mots sur ses prochains projets : « Il y en a deux. Le premier projet sera un long-métrage animé en 3D. Les Kerascoët ont assuré la conception graphique. Vehlmann écrit le scénario. Je me charge de la réalisation, sans doute en relief. Ça parlera d’une petite majorette qui devient une abominable vieille sorcière ! Ce sera un conte de fée moderne. Le second projet est une bande dessinée érotico-comique que je viens d’achever. C’est un gabarit roman graphique qui paraîtra chez Dupuis. Moi qui pensais faire un brûlot érotique absolument torride, à chaque fois que je le fais lire, on me dit que c’est une comédie romantique avec des scènes explicites ! ». Vraisemblablement, le talent de faire rire déteint sur tout ce que Feroumont touche.

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

« Le Prétendant », troisième album du Royaume, en librairie le 1er avril.

En médaillon : autoportrait © Feroumont

Photo © M. Di Salvia

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A propos de Benoît Feroumont, sur ActuaBD :

> "La couleur est la musique de la bande dessinée" (entretien en novembre 2009)

> Le Royaume T1, T2

[1Réalisatrice et animatrice de films d’animations. Elle a notamment travaillé comme animatrice sur Toy Story, James et la Pêche Géante, Chicken Run, Max & Co et Coraline.

 
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3 Messages :
  • Benoît Feroumont : un dessinateur animé.
    2 avril 2011 14:29, par Frenchoïd

    Vous pourriez peut-être proposer un lien vers le blog fort vivant de Feroumont (http://bferoumont.blogspot.com/) ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par ptitdej’ le 2 avril 2011 à  19:33 :

      Benoît FEROUMONT est à découvrir absolument.
      Son humour, sa passion de la création est à explorer sur son blog de toute urgence.
      Je suis accroc à ces p’tits zosiaux commères ... et à ces p’tites vidéos sur les secrets de fabrication ...

      Beaucoup de succès, je lui souhaite.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Frenchoid le 2 avril 2011 à  22:28 :

        Absolument d’accord avec ça : il faut lire Le Royaume pour découvrir une série très atypique sous une apparence un peu anodine, d’un humour très assuré voire parfois dérangeant, servi par un dessin qui cache assez bien sous une allure classique une authentique maestria ; la fusion des deux produit un univers vraiment singulier et extrêmement attachant...

        Répondre à ce message

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