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Charles Masson : « Le style, c’est celui que j’avais quand j’avais 20 ans. »

Par François Boudet le 3 novembre 2011                      Lien  
Après des récits politiques pour adultes, Charles Masson nous revient avec une bande dessinée muette pour les enfants ; les aventures de Lilou et son chat Touchatou. Premier tome : {"Folia & Folio"}.

Nous vous connaissions au travers d’œuvres plus adultes et engagées (« Soupe froide », « Droit du sol » chez Casterman, etc.) ; pourquoi cette petite bande dessinée jeunesse aujourd’hui ? D’autant que, commercialement, la BD jeunesse est plus difficile… N’avez-vous pas peur également de déstabiliser vos aficionados habituels ?

J’ai commencé à lire et à faire de la BD quand d’autres apprennent à lire « les vrais livres » et je me souviens encore de l’émotion ressentie quand je commençais une BD de « franco-belge », des frissons un peu partout ; et je ne suis pas sûr que les livres que je produisais jusqu’à présent déclenchent ces impressions chez mes lecteurs. Je voulais revenir à cette émotion liée à l’aventure, aux voyages.
En fait, cette BD est celle que j’aurais voulu réaliser avant mon adolescence. Un retour à la Belgique de mon enfance que je ne connaissais que par mes lectures.

Charles Masson : « Le style, c'est celui que j'avais quand j'avais 20 ans. »C’est François Walthéry qui a bercé ma jeunesse et quand je vois les enfants relire les Natacha ou des Peyo, je les vois vibrer comme moi. L’envie de refaire de la BD jeunesse m’est d’ailleurs revenue en lisant la biographie de Peyo d’Hugues Dayez. Initialement ce livre devait être une série d’illustrations avec textes, genre littérature jeunesse, et je m’y suis engagé pour en faire une vraie BD.

Je ne crois pas une seconde que la BD jeunesse soit plus difficile. C’est un problème de visibilité et de prestige. La BD a encore une réputation de genre secondaire, appauvrissant, surtout chez les consommateurs de littérature jeunesse. Or, ce ne sont pas les enfants qui achètent ces livres mais bien leurs parents… « On ne va quand même pas acheter une BD »… Le snobisme de ceux qui n’achètent que des romans graphiques pour ne pas voir à acheter de « vraies BD ».

Pour ma part, je lis toutes les BD et n’ai pas peur du possible analphabétisme de ma progéniture.

Folia & Folio, la séparation !
(c) Des ronds dans l’O

Je ne crois pas avoir d’aficionados. Et s’il en est, ils savent que je conçois des livres quand je les sens. Il était question de faire une suite à Droit du Sol. Sur un plan commercial, cela aurait pu être intéressant mais je ne me sentais pas motivé.

Je ne pourrais faire un bouquin sur un thème qui ne me captive pas ; mes livres s’imposent à moi. Quand je me mets devant une feuille, le livre défile sous mon stylo, je n’ai même pas à y penser. Cette fois, j’ai été inspiré par un bouquin pour les minots de 5 à 6 ans. J’en côtoie tous les jours en consultation et souvent ils m’intéressent plus que leurs parents…

Tiens, je redeviens cynique. Ça plaira aux aficionados...

Vous dédiez le livre à votre petite fille, Lise… À l’évidence, cela n’est pas sans relation. À quel public destinez vous cette série ? Y pensez-vous quand vous la réalisez ?

C’est surtout le premier livre que je pouvais lui dédier. Depuis des années, je voulais qu’elle puisse lire une de mes BD, et aucune n’était lisible pour un enfant. C’est fait.

Maintenant, elle est aussi la star de la cour de notre immeuble parce que son papa a fait une BD « pour nous, les petits ». C’est pas mal comme statut . Je me contente de peu, d’autant que je déménage dans une semaine. J’aurai eu un CDD de star pour 4 ou 5 gamins, à demi malgaches.

Cette BD s’adresse aux enfant qui ne savent pas encore lire, avant le deuxième semestre du CP. C’est une population qui vit encore dans la magie du Père Noël, qui s’accroche à des histoires de Petite souris quand ils perdent leurs dents...
Plutôt que leur enlever les végétations ou leur mettre des diabolos, cette fois je leur fais un livre. (Signalons-le pour ceux qui ne le savent pas que je suis médecin ORL.)

Folia & Folio, adieu Folio...
(c) Des ronds dans l’O

Ce qui m’a amusé pour la réalisation, c’est que, cette fois, chaque image devait être parfaite. Comme disait Franquin : « On doit pouvoir faire un tableau avec chaque case ». Alors je me suis appliqué, vraiment appliqué, en imaginant que les mômes s’arrêteront sur certaines images pour regarder les détails. C’est bien.

Le style, c’est celui que j’avais à 20 ans. J’étais très ligne claire. Ça a été jubilatoire d’y revenir.

Les couleurs de Bruno Waro sont très belles… Guy Raives a, quant à lui, réalisé les couleurs de la couverture. Pourquoi ne pas avoir colorisé vous-mêmes et qu’apportent les couleurs par rapport à vos travaux en noir et blanc ?

Je suis daltonien. Sans commentaire, je ne peux pas faire de couleurs. Un handicap majeur.

Alors, vous me demandez ce qu’apportent les couleurs… Posez à un aveugle la question de ce qu’apporte la vision et à un sourd de ce qu’apportent les sons : la vie tout simplement ! Le noir et blanc c’est triste, pour les daltoniens aussi.Mais c’est moins cher pour les éditeurs...

C’est le deuxième livre que vous publiez chez Des ronds dans l’O, après une histoire courte dans l’album collectif « En chemin elle rencontre… ». Pourquoi ce choix d’un « petit » éditeur alors que vous êtes édité par ailleurs chez Casterman ou Futuropolis ?

Parce qu’il n’y a que Marie Moinard qui ait accepté de publier mon projet et que c’est quelqu’un que j’admire. Dans « En chemin elle rencontre… » avec Guy Raives, on avait travaillé sans avance car on trouvait que le combat féministe en valait la chandelle. Avant, j’avais fait des planches pour Greenpeace et ATD quart Monde. Je trouve que ça vaut le coup.
Pour Folia et Folio, elle a fait un livre splendide, tout en gentillesse. C’est merveilleux.

Et puis, elle répond au téléphone quand on l’appelle, et ça c’est bien. Quand je réalise un livre, j’ai souvent des moments de doute pendant lesquels, j’ai impérativement besoin que mon éditeur me dise qu’il m’aime, qu’il a confiance en moi. Marie, elle, me le dit. En ce moment je fais un livre chez Casterman, et j’attends une parole de tendresse et d’amour depuis environ sept jours… J’attends. « Guillaume, dis moi que tu aimes ce que je fais ! Oui, tu l’as déjà dit, mais dis-le moi encore ! »

Charles Masson dans l’ouvrage collectif "En chemin elle rencontre..." volume 1
(c) Des ronds dans l’O

Quels sont vos projets ?

Je suis à la moitié d’un livre pour Écriture chez Casterman, un petit livre de 200 pages, l’abécédaire d’un séducteur un peu minable qui négocie mal la crise de la cinquantaine. Ça va être vraiment bien, je m’y amuse énormément. Beaucoup de sexe, d’amour et un peu de drogue. Pas de politique cette fois. Ça sortira pour l’anniversaire des 10 ans de la collection en 2012, en même temps qu’une édition spéciale de Droit du Sol, une édition de luxe…

Ensuite je ferai le tome 2 des aventures de Lilou, il devrait se passer au Cambodge avec un tigre câlin, un python albinos et un gamin gardien de buffle d’eau qui va chercher son grand-père dans les temples khmers. Ce sera joli, d’autant qu’il faut que je retourne au Cambodge pour me perdre dans le bouddhisme khmer.

Sinon, après 10 ans à la Réunion, je reviens vivre à Lyon, y ouvrir un cabinet. Tout ça, c’est du sérieux.

Accessoirement, il faut que je me renseigne pour traiter mon daltonisme par thérapie génique. Il semble que des scientifiques aient essayé sur des chimpanzés daltoniens (??) et ça marcherait… Je vous donnerai des nouvelles.

Ha ! Et puis surtout, je vais m’occuper d’un petit Adrien qui est né le 4 septembre de cette année. Je crois qu’il va avoir besoin de son papa pour les 20 prochaines années. Vaste programme.

(par François Boudet)

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