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Chroniquer la bande dessinée en Europe

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 janvier 2021                      Lien  
On connaît le paysage francophone : entre « Les Cahiers de la bande dessinée », « dBD » « Casemate » et le gratuit « Zoo », la chronique de la BD est plutôt bien assurée en francophonie, sans compter les occurrences en ligne comme ActuaBD.com qui assouvissent quotidiennement les amateurs d’information sur le 9e art. Qu’en est-il ailleurs en Europe ? Quelles sont les BD qui émergent dans ces pays-là, et dans quelles proportions ? L’exemple de la Hollande et de l’Allemagne où la tradition de la BD est implantée depuis longtemps.

Nos lecteurs le savent : si la BD est une passion pour la plupart d’entre nous, c’est souvent parce que l’on a été amenés à la rencontrer grâce à des « évangélisateurs », très souvent bénévoles, qui l’animent au travers de festivals, de conférences, d’animations en bibliothèque, et qui accompagnent un réseau de libraires ou des communautés de lecteurs-collectionneurs.

Cette « évangélisation » se fait depuis des années plus facilement grâce à la toile, en particulier ces dernières années grâce aux réseaux sociaux. Mais s’il est un endroit où la « culture BD » se construit avec plus de cohérence, c’est dans la presse spécialisée héritée des fanzines, ces « prozines » qui tiennent parfois depuis plusieurs décennies sur une poignée de passionnés.

Le plus vieux fanzine d’Europe

L’exemple de la Hollande est sans doute le plus marquant car elle entretient, depuis février 1968, la plus ancienne revue de bande dessinée d’Europe : Stripschrift. Elle fête cette année ses 53 ans et nous n’avions pas manqué de célébrer sur ActuaBD son 50e anniversaire..

Le dernier numéro (N°464, décembre 2020) porte sur une thématique très présente dans la bande dessinée de ces dernières années : la guerre, et en particulier la Seconde Guerre mondiale. Avec un sujet très hollandais puisqu’il fait la couverture sur les Dossiers Kennedy lors de la Guerre du Pacifique des Hollandais Mick Peet (Scénario) et Erik Varekamp (Dessin), dont deux albums ont été publiés en France par Dargaud. Les mêmes avaient raconté précédemment les exploits de guerre du prince Bernhard des Pays-Bas, le père de l’actuelle reine de Hollande Béatrix, dans cette même Ligne claire qui a tant prospéré en Hollande.

Dans la foulée de cette cover, le spécialiste de la BD Kees Ribbens revient sur les journaux de propagande nazis destinés à la jeunesse en Allemagne comme en Hollande, d’une incontestable qualité graphique autant que d’un antisémitisme nauséabond, objets d’une exposition à l’Onderwijsmuseum de Doordrecht.

Un article est consacré au projet allemand Valentin, usine-bunker de construction de sous-marins située du côté de Brême en Allemagne, un roman graphique de Jens Genehr basé sur le Journal du STO Raymond Portefaix.

Un autre revient sur le formidable diptyque d’Erik de Graaf, Éclats et Cicatrices (Champaka/Dupuis) qui chronique lui-aussi dans une élégante Ligne claire les années sombres de la guerre. La rubrique De Boventoen recense la plupart des BD récentes parues dans cette période et notamment De Bom (La Bombe, Glénat) d’Alcante, Bolée & Rodier, dans sa version néerlandophone.

Chroniquer la bande dessinée en Europe
Un numéro consacré à la guerre.
Photo DR

En Allemagne…

Outre-Rhin, c’est un autre vénérable ancêtre du fandom qui illustre l’actualité avec Comixene, un fanzine apparu en novembre 1974, dont les éditeurs étaient de jeunes lycéens fans de BD : René Lehner, Thilo Rex et Andreas C. Knigge. Il est très vite devenu la référence de la BD en Allemagne et plus d’un de ses rédacteurs ont fini comme éditeurs auprès des grandes maisons allemandes d’édition de BD.

Son évolution, parfois chaotique, l’a amené à ouvrir ses centres d’intérêt à l’animation en plus de la bande dessinée. Mais cela n’empêche pas la revue de faire la couverture avec le grand dessinateur réaliste allemand Matthias Schulteiss et d’animer son sommaire aussi bien avec les comics de DC que le [Little Nemo de Frank Pé]->art26410], les chroniques des nouveautés (très diversifiées où albums franco-belges, romans graphiques, comics et mangas occupent une part égale, sur le numérique qui s’est emparé des festivals de BD « empêchés » cette année, non sans conclure sur un article constatant la multiplication d’ouvrages consacrant la « transidentité » qui est celle de personnes transgenres affichant une identité de genre différente du sexe qui leur a été assigné à leur naissance. Une approche transversale bien différente des productions françaises…

Der Comicreporter

Enfin, il y a Alfonz, que je connais bien puisque j’y officie comme éditorialiste depuis sa fondation en 2013. Le « Comicreporter » fait la Une sur les adaptations en BD de Dune, le mythique roman de Frank Herbert, dont un nouvel avatar signé Kevin J. Anderson, Raul Allen & Patricia Martin vient de sortir chez Huginn & Muninn en novembre dernier.

En ouvrant le magazine, on y trouve la critique du dernier Lucky Luke (Un Cow boy dans le coton) sous le titre : Black Stories Matter (les histoires de Noirs comptent) puis sont évoqués, dans un rubriquage structuré par éditeurs, toutes les chroniques où les Franco-Belges ont une place importante : Bruno Brazil, Valentin, le Slowburn de Franquin, Luc Orient, la BD alternative d’Avant-Verlag, de même qu’un bilan de 2020 avec un top établi par a rédaction. En tête du top, une BD allemande, Vatermich Band de l’autrice d’Hector Humbra (Akileos), Uli Oesterle, devant Le Château des animaux de Dorison & Delep et Le Dernier Pharaon de Schuiten, c’est dire l’éclectisme.

La légende du comics, Will Eisner est à nouveau mise à l’honneur grâce à une exposition au Musée d’art et d’histoire culturelle (MKK) de Dortmund avec l’interview de son commissaire d’expo Alexander Braun.

Caroline Baldwin d’André Taymans publiée en Allemagne chez Schreiber & Leser a droit à une belle double page, comme Tunnel de Rutu Modan publié par Carlsen (pas encore publiée en France).

On s’intéresse à la carrière en BD de la romancière... Patricia Highsmith dans Exciting Comics, Real Life Comics ou Air Boy, à l’expo Picasso et la bande dessinée de Paris, aux successeurs des mangas de Tezuka, au phénomène Sapiens de Yuval Noah Harari, David Vandermeulen & Daniel Casanave, à la figure de Dracula dans la BD, etc.

Suit une succession d’éditorialistes (dont votre serviteur) fermant le ban avec la chronique des nouveautés du moment en comics, mangas et BD franco-belges. Un joli travail.

Cette petite ballade dans les magazines hollandais et allemands montre qu’en dépit de la pandémie qui frappe l’Europe, la bande dessinée tient encore son rang.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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