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Dominique Véret (Akata) : "En France, le public manga est très inculte"

Par Aurélien Pigeat le 5 juillet 2013                      Lien  
Fondateur de Tonkam, responsable éditorial d'Akata, Dominique Véret est une référence dans le paysage du manga en France. Alors que la collaboration entre Akata et Delcourt prend fin cette année, après douze ans passés à travailler ensemble, il nous accorde un entretien exceptionnel.

Tout d’abord, pouvez-vous revenir sur les origines et la nature de la collaboration entre Akata et Delcourt concernant le manga, afin de la présenter aux lecteurs d’ActuaBD.com ?

Nous avons créé en 2001 la société Akata avec mon épouse et deux autres personnes qui nous ont quittés rapidement mais avec qui nous avons toujours de bonnes relations. Nous venions de quitter Tonkam après douze ans d’activité pionnière et militante dans le manga qui ont beaucoup participé à la reconnaissance de la culture pop japonaise en France.

Dominique Véret (Akata) : "En France, le public manga est très inculte"Nous avons proposé, la même année, nos services aux Éditions Delcourt pour deux raisons : L’éditorial de cet éditeur nous plaisait beaucoup, son catalogue comportait de bons auteurs et des beaux livres. Deuxième raison : après Tonkam, nous voulions que nos choix éditoriaux puissent toucher un public beaucoup plus important que la petite diffusion et distribution qu’on avait connue jusqu’alors.

Nous venions de nous installer en province, dans un hameau où l’on est toujours que deux familles à vivre en plus des moines du temple bouddhiste vietnamien qui occupe une très grande partie de l’endroit. Ce projet de construire un catalogue manga pour les Éditions Delcourt qui n’avaient pas une vraie expérience dans ce domaine, et à 350 km de distance, c’était très barjot... et cela a été une aventure qui fait que maintenant, on maîtrise totalement le travail à distance.

Pouvez-nous nous expliquer plus en détail les raisons de la fin de cette collaboration.

Notre contrat avec les Éditions Delcourt s’achève à la fin de l’année 2013 et il ne sera pas renouvelé pour des raisons qui appartiennent à Monsieur Guy Delcourt. Pour notre part, nous avions dans la tête de continuer à participer à ce catalogue, mais en le rendant beaucoup plus commercial comme le souhaite cet éditeur, tout en devenant éditeur nous-même pour pouvoir publier des titres de toutes origines qui nous tiendraient beaucoup plus à cœur. Cela n’a pas été possible, on va donc devenir "seulement" les Éditions Akata.

Pourquoi avez-vous choisi ce modèle un peu particulier qui s’approche de celui de "prestataire" vis-à-vis de Delcourt, plutôt que salarié, par exemple ?

Nous n’avons jamais travaillé pour un employeur et cela aurait été difficile de vivre ce genre de situation. Les Éditions Delcourt sont aussi une grosse machine alors que la BD est d’abord pour moi une façon de vivre. Akata est aussi une entreprise mais notre façon de travailler au quotidien n’est pas toujours très conformiste. On est efficace avec une façon de faire qui nous est particulière. L’idée, c’était de nous mettre au service des Éditions Delcourt en possédant un savoir-faire d’éditeur grâce à l’expérience Tonkam, et des connaissances sur les mangas qui pouvaient intéresser les lecteurs. On devait construire un catalogue qui soit valorisant pour les Éditions Delcourt et pour Akata. On peut dire qu’on a bien rempli le contrat et qu’on a même apporté des titres qui ont beaucoup de caractère à cet éditeur. Ce qui a renforcé sa crédibilité auprès des lecteurs les plus "pertinents".

Qu’entendez-vous exactement par "pas très conformiste" au quotidien ? Comment pourriez-vous définir, caractériser ou illustrer cette manière particulière de faire de la BD, de la vivre, comme vous dites ? En quoi cela diffère-t-il des grosses sociétés du secteur ?

Nos choix éditoriaux sont en grande partie en relation avec notre manière de vivre nos convictions et nos expériences. S’il y a dans le catalogue plusieurs titres concernant les arts martiaux, cela vient d’un intérêt expérimenté pour ce genre de sujet et du fait que ce sont des vrais moyens de trouver du sens et de se (re-)construire. Je serais pire que je suis déjà si je n’avais pas un peu connu cela. Pour un titre comme Coq de Combat, j’ai connu pas mal les milieux qui y sont décrits. Et pour Ki-itchi, ce qui inspire l’auteur, Hideki Arai, est un monde qui ne m’est pas inconnu. La rencontre avec ce titre, se fait quelques mois après le 11 septembre : j’ai demandé à une amie de trouver en librairie à Tokyo, l’auteur qui mettrait ça [Les attentat contre les tours de Manhattan. NDLR] d’une façon piquante dans sa BD du moment. C’était forcément un auteur pertinent, surtout au Japon.

Switch girl a été aussi tout de suite une évidence pour nous, les filles avaient besoin d’une auteure qui les soutienne pour ne pas devenir des connes. Et ma fille a pu se plonger dans la série dès que l’adolescence a commencé à se pointer. On fait attention aux jeunes autour de nous pour construire notre éditorial.

Pareil pour les œuvres de Monsieur Hirata, c’est une façon de rendre hommage à un fond moral et culturel omniprésent quand on a la chance de passer des années à travailler avec le Japon. Il y a une beauté qui touche les tripes et les répand et on veut la transmettre. Cela existe. Nos seinen comme Tajikarao ou Initiation sont païens et énergétiques comme les rocs et rochers dans notre région. On pouvait même s’y frotter. Ce qu’il y a de shintoïste dans une partie de nos titres nous parle parce qu’on touche la terre toute l’année et qu’on se plonge dans la rivière même en hiver.

On ne se préoccupe pas du marché. De toute façon, quand apparait un marché, d’une certaine manière, il est déjà fini pour ceux qui l’ont provoqué à travers une écoute. Il ne reste plus aux opportunistes ou à ceux pour qui l’argent est une fin en soi qu’à en tirer profit. Tout cela est surtout valable en ce moment.

Pour ce qui est du quotidien, nos horaires de travail ne sont pas réglés par la législation. En ce moment nous faisons beaucoup d’heures et on vit un passage intense avec Akata, car on pose beaucoup de jalons qui nous permettront de nous diriger vers un concept d’édition mettant en avant une façon de vivre.

Dans quelques années ce que nos livres exprimeront sera vérifiable là où on vit. Notre éditorial correspondra à une façon de vivre globale, comme après-guerre, quand un éditeur de gauche était en fait toute une culture et un quotidien et pareil pour un éditeur de droite.

Avant, les éditeurs exprimaient leurs convictions, celles qu’ils vivaient. Maintenant tous les grands éditeurs se ressemblent beaucoup et ils bossent en se concurrençant avec la même vision du « marché », comme ils disent. Leurs différences tendent à venir surtout de la pertinence de gestion. Leur conviction, en somme c’est la gestion.

Visuel provisoire

Ces dernières années, nous avons eu beaucoup d’expériences Lakota et Apache et les rythmes des saisons et de la nature nous parlent de plus en plus. Cela nous a amené tout naturellement vers Seediq Bale et à nous bouger les fesses pour les aborigènes de Taïwan. On sera aussi plus jardin en BD dans les mois à venir.

Pour la SF, nous ne sommes pas terribles car c’est trop facile de se cacher derrière ce genre pour ne pas oser parler cash des problèmes du moment. La SF qui demande aux lecteurs de capter ce dont elle parle en fait : du problème délicat du moment présent. C’est trop un truc de gamin qui se branle mal.

Des fois, il y en a un de nous qui a besoin de ne pas revenir de suite d’un week-end. Et il y a mon épouse qui nous prépare des super-repas. Et les comptes sont bien tenus, des plannings existent et il faut faire mieux économiquement pour nous perfectionner dans de bonnes conditions mais ce n’est pas l’usine. Comment peut-on tendre à apporter des bonnes choses aux autres en publiant des BD, dans les souffrances et les stress qu’on n’aurait pas choisis ? Il y a des limites à la fiction !

Concernant à présent la fin de collaboration avec Delcourt, comment cela s’est-il décidé ou imposé ? Pourquoi mette fin maintenant à cette collaboration ? La décision vient-elle de vous, de Delcourt, d’un commun accord ?

C’est certainement les lecteurs qui auront tiré le meilleur profit de la collaboration entre les Éditions Delcourt et Akata. C’est Guy Delcourt qui a manifesté qu’il ne voulait pas renouveler le contrat. Nous, on avait besoin de pouvoir publier des titres sous le nom Akata pour continuer à prendre un grand plaisir à notre travail. Il y a beaucoup de choses en filigrane dans cette séparation. Les grands éditeurs ne peuvent plus éviter d’accompagner une espèce de décadence car c’est aussi un marché et il devient important. Et il y a des personnes comme nous qui pensent qu’il faut encore élever le lecteur, alors que ce n’est pas très vendeur...

À Akata, on ne regarde plus la télé depuis très longtemps. Je ne paye pas la redevance depuis plus de quinze ans car on a vraiment éteint le poste. On choisit les films qu’on regarde seuls ou en famille comme on choisit nos livres. Pour les infos c’est Internet. Akata c’est en pleine campagne et avec les voyages qu’on a fait, des années à Paris ou dans des grandes villes, on sait utiliser pertinemment Internet pour être au parfum comme les urbains, avec un recul plus oxygéné. On observe que dans le jardin, c’est difficile de bien produire des légumes d’année en année, le climat se barre vraiment en couille. Les chênes meurent de plus en plus. La campagne c’est de la nature salement amochée à léguer.

Pour les consommateurs qui ne captent rien du tout, on pourrait continuer à satisfaire encore un catalogue Delcourt manga plus commercial et shojo parce que c’est quand même très facile de brosser le public dans le sens du poil quand on a du métier. Mais on ne dégage pas suffisamment le minimum de croyance au marché ainsi que toute la culture qui va avec pour ne pas être quand même dérangeant, même en se taisant. Pour Guy Delcourt cela va être plus facile et mieux pour lui de travailler avec des personnes qui vont être plus proches de ses convictions et qui adhérent à cette culture qu’on trouve dans le milieu de l’édition à Paris.

Cette fin de collaboration n’est pas conflictuelle. Guy Delcourt et nous, on est différents et pourquoi pas ? Surtout si notre séparation est honnête pour les deux parties.

Le bruit courrait depuis plusieurs mois déjà : qu’est-ce qui a été décisif, selon vous, dans le choix d’arrêter cette collaboration de la part de Guy Delcourt ? Est-ce lié aux différents labels manga que le groupe possède déjà ?

Je ne peux pas me permettre de commenter les raisons du choix de Monsieur Delcourt. Je ne les connais pas toutes et c’est plutôt à lui de répondre à cette question. Les Éditions Delcourt sont son entreprise et il est libre de la gérer comme il l’entend. Pour nous, vu le travail qu’on a pu faire pour le manga avec Tonkam et Delcourt, et le chiffre d’affaire que ce marché représente maintenant, compte tenu aussi de l’impact de cette culture en France, heureusement qu’on a du caractère et qu’on sait se relever tout seul car on va quand même recommencer presque à la base. Où sont les bushis [1] vivant leurs valeurs ?

Que deviennent les licences acquises ? Êtes-vous en discussion pour en récupérer certaines ?

Toutes les licences sont aux Éditions Delcourt. On ne s’en occupe pas. Dès qu’on le pourra, on fera des demandes pour des titres qui nous intéressent. Mais on ne sera plus 100% manga. Le Japon c’est 24 ans dans ma vie...

Du coup, si ce n’est pas 100% manga, vers où allez-vous diriger vos recherches, vos prospections éditoriales ?

Nous envisageons de publier en majorité des mangas, car le Japon dit toujours plein de choses qui sont bonnes à lire du regard. Les circonstances contractuelles de la fin de notre relation avec les Éditions Delcourt font qu’il ne nous était pas possible d’en publier dès le mois de janvier 2014. Les perspectives, c’était d’être bloqués et dans l’impossibilité de faire paraître du manga jusqu’au minimum juillet 2014. Sympa, car très risqué pour notre survie. Comme quoi, on n’est pas grand-chose.

Nous devions donc trouver des solutions et elles sont venues par Taïwan et la Corée. Notre travail avec le Japon est connu dans les milieux BD en Asie et des personnes de ces deux pays nous font confiance et nous soutiennent en ce moment d’une façon très chaleureuse. Cela nous a redonné un moral en béton et on a donc envie de continuer à nous pencher sur les BD de Taïwan et de la Corée qui pourront bien fonctionner avec le futur catalogue de BD de l’éditeur totalement campagnard que veut devenir Akata. On va approfondir les relations avec les Taïwanais et les Coréens, et faire tous les efforts pour bien réaliser les versions françaises qui nous seront confiées.

Avec trois pays asiatiques, on va pouvoir surprendre sainement, autant qu’un éditeur parisien pourrait le faire. Et on va investir dans une manière de vivre qui se passera un maximum de la vie urbaine hors-sol qui est en train de tous nous abrutir et de tous nous faire dégénérer. La culture urbaine la plus branchée ne peut plus nous rendre humain et drôle.

Nous envisageons aussi de publier toute BD de quelque origine qu’elle soit qui nous toucherait. On est également en train de travailler sur un projet de création avec un jeune auteur. C’est un challenge très risqué mais on y croit à fond. Nous sommes dans ces directions en ce moment, tout en étant attentif à l’actualité pas drôle qui s’installe partout et au temps pourri qui rend très difficile l’avantage d’avoir beaucoup de légumes dans le jardin. Donc on sera prêt pour les BD de survie, il faudra juste trouver le bon prix de vente pour assurer l’ordinaire.

Et on continue à assurer pour le catalogue Delcourt manga, car on continue à l’apprécier.

Vingt-quatre ans de votre vie ! On sent que cela pèse. Éprouvez-vous une forme de nostalgie ?

Pas de la nostalgie, trop d’éloignement. Continuer à travailler avec une culture, des gens qu’on voit de moins en moins, il faut être barré. On peut beaucoup moins voyager en ce moment. On recommence. On débute à nouveau.

Dominique Véret
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Dès lors, quel catalogue entendez-vous développer avec Akata à présent ? Quelle continuité et quelles différences déjà pressenties avec ce qui était fait pour Delcourt ?

Les autorités américaines et européennes font le forcing pour continuer à mener le monde comme l’Occident le fait depuis le début qu’il colonise. Mais cela se casse de plus en plus la gueule, et de tous les côtés. On n’est pas les seuls à avoir tout compris. C’est nécessaire et incontournable si on veut un demain optimiste, nouveau et lumineux sur les décombres de l’ancien monde, de se préparer à publier des œuvres qui vont vraiment faire chier les gens de ma génération (j’ai 58 ans). C’est comme cela qu’on aura des chances de se faire essuyer le cul avec attention par la nouvelle génération, quand on sera bien bouffés par nos excès et l’âge. On veut participer en BD aux transformations qui vont bien faire mal et même en faisant rire. Nous avons appris beaucoup de choses avec les Éditions Delcourt et des très bonnes personnes y travaillent. Mais les temps vont beaucoup changer pour nous tous.

Pouvez-vous nous parler un peu plus précisément de ce projet de création ? Le ou les auteurs sont-ils français ou japonais ? Reste-t-on dans un style manga ?

Notre projet de création sera annoncé vers octobre ou novembre. On veut promouvoir des jeunes qui auront grandi avec la BD et le manga. La nouvelle génération. On va commencer sans aucune prétention car on a beaucoup à apprendre. Ce qui nous intéresse c’est de nous investir avec des personnes qui prendront le temps de préparer leur projet avec nous en séjournant dans notre QG au village. On aménage des ateliers. Pour le premier projet c’est d’abord un coup de cœur pour son auteur, sa personnalité et son travail nous fait marrer. Il est du Sud de la France.

Le fait de se lancer dans un projet de création, est-ce pour vous juste une occasion particulière ou bien sentez-vous là une véritable devoir de développement éditorial autour du manga ?

Nous avons envie de lire des BD qui raconteraient des choses qu’on ne lit pas vraiment en ce moment. De revenir à des histoires plus engagées par rapport à des problématiques qui ne sont plus acceptables. Il va falloir trouver des auteurs à contre-courant de la bien-pensance qui saoule tous les gens sensés. Cela existe dans le manga avec des titres comme Ki-itchi et les seinen qui ont caractère. Il y a au Japon, beaucoup plus d’auteurs engagés qui touchent des lectorats qui ne sont pas confidentiels qu’en France. L’autocensure doit y être moins forte. Et la censure par culpabilisation de la part des médias moins installée.

D’ailleurs, en termes de métier, être éditeur sur une création est totalement différent du fait d’être éditeur sur une traduction d’œuvre existante : est-ce cela aussi qui vous intéresse ?

La création nous intéresse pour laisser parler des réalités de notre pays par des auteurs qui y vivent. Et si possible autrement, car notre expérience éditoriale, c’est le manga, et la BD japonaise a plus de caractère que la BD française. Comme on va continuer à travailler avec les Japonais et d’autres pays asiatiques en même temps, on ne se consacrera pas à des trucs de Bisounours attardés, les réalités pour les générations futures sont trop graves. On va peut-être participer à l’apparition d’une nouvelle BD franco-belge, avec d’autres. Éditer de la création, ce n’est plus de l’achat de droit et on va se retrouver encerclés par les risques. On ne va pas foncer comme des idiots et on ne veut rien prouver.

Vous évoquez rapidement l’état du marché dans une optique globale, sociétale en quelque sorte. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l’état du marché du manga et de la BD actuellement, sur son évolution ces 15 dernières années ?

La BD s’est installée partout et couvre tous les genres maintenant. Elle se substitue aux livres dans pas mal de cas. Le Salon du Livre ne peut plus s’en passer. Le marché pour un éditeur c’est d’être très prudent, mais il faut aussi oser. Il y a des très bonnes BD qui mériteraient beaucoup plus de succès et quand même, aussi, un paquet de BD inutiles à classer dans les mêmes problématiques que l’obésité, la junk food et tout le graillon qui s’installe dans notre société. Tout le monde peut lire mais moins de lecteurs comprennent.

Et pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail en quoi cela s’inscrit dans un contexte politique, sociétal, global, et comment la BD peut en rendre compte selon vous ? Peut-on y lire aussi une future ligne éditoriale ?

Ben oui, il faut ouvrir les yeux, tout chute dans notre pays, le niveau côté cerveau baisse gravement et cela va être de pire en pire tant qu’on considérera que la connerie est un marché et qu’il faut donc répondre à sa demande. Il y a des changements en cours partout et un paquet de monde en a marre de la médiocrité et de la starification des ringards et ringardes.

Heureusement avec le changement climatique qui se manifeste de plus en plus ainsi que la montée en puissance d’autres espaces culturels et économiques, cela ne va plus durer des années. Un grand ménage va se produire... Il va forcément avoir des grandes transformations sur le plan éditorial car les nouvelles générations sont promises à l’absence de boulot, à l’absence de rêve à réaliser et à la perspective de s’accoupler avec n’importe quel mammifère.

Il va falloir revenir sur terre et à des fondamentaux, en vivant des problèmes énergétique, de santé et la fin de la consommation facile. On va devoir bosser pour provoquer des BD qui donnent envie de s’éclater ensemble vers un monde plus lumineux et organisé différemment. Et toutes ces mentalités de droite ou de gauche sont déjà totalement has been.

Pour nous, le fait de vouloir éditer en étant plus proche de la nature, c’est pour pouvoir inventer en BD un monde qui fonctionnera avec d’autres sources d’énergie, se passera de bouffe et de médicaments chimiques et profitera d’une électricité et d’un chauffage autres que nucléaires et éoliens industriels. Cela fait longtemps qu’on a envie de bosser pour des BD issues d’efforts de vivre réellement autrement. Pas de discours, on veut faire du vrai...

Puisque que vous en venez aussi à l’aspect économique, comment cela va-t-il se passer pour Akata et ses salariés ? SI j’ai bien compris, il s’agit d’une société, qui se trouve avec du personnel jusqu’à la fin de l’année. Mais après, certains des membres de votre personnel seront-ils engagés par Delcourt directement ? S’ils restent avec Akata, quels sont vos impératifs pour que la société demeure pérenne dans les premiers mois de 2014 ? Allez-vous tout simplement pouvoir conserver tous ceux avec qui vous travaillez et souhaitez travailler ?

Akata c’est trois personnes et une par semaine pour faire le point. Les traducteurs, adaptateurs, lettreurs sont des free-lances qui facturent leur travail à chaque volume. En principe, ils devraient pouvoir continuer à travailler pour la collection manga Delcourt et de toute façon, on continuera à leur donner du travail au fur et à mesure de notre développement.

Vous nous annoncez une orientation du catalogue vers la production de Taïwan, qu’on connaît peu. Pouvez-vous nous en dire quelques mots, nous présenter son histoire, ses auteurs majeurs, ou les particularités de sa structure éditoriale s’il y en a ?

Notre projet Seediq Bale est un coup de cœur éditorial. Nous avons remarqué d’autres œuvres intéressantes et surtout des auteurs. L’histoire de la BD de Taïwan, c’est une influence importante du manga. À plusieurs niveaux :L’originalité de cette BD, de la fraicheur. C’est à découvrir et Taïwan est un endroit plein de promesses.

Quels sont les titres que vous êtes le plus fier d’avoir édité pour Delcourt chez Akata ? Et Pourquoi ?

On ne renie aucun titre même s’il nous est arrivé d’être moins pertinent dans le choix de certains. Tous ont une raison d’être dans le catalogue, même ceux qui sont beaucoup plus légers. Ils nous renvoient à certains moments dans la collaboration avec les Éditions Delcourt... Comme, il y en a tellement dont on peut être fiers, tout va bien. Nous avons réalisé un catalogue au goût naturel, le masculin et le féminin y sont respectivement affirmés et il y a même des titres qui donnent des informations pour vivre en harmonie avec soi-même et avec les autres. Nous avons présenté un état d’esprit correspondant plus à la culture japonaise profonde qu’à la culture japonaise de supermarché. Pas mal d’auteurs, hommes et femmes que nous avons publiés, expriment avec talent, force et conviction des valeurs universelles, emballées dans des intrigues pleines d’humanité et de générosité, ou en forme de baffes radicales.

La BD française fait quand même, en moyenne, un peu pâlotte et trop tournée vers l’imaginaire et la fiction par rapport aux œuvres que l’on a fait publier. Cela manque beaucoup d’énergie et de caractère dans le franco-belge en ce moment... Cet aspect des choses doit faire peur.

Les titres que j’aime beaucoup, au hasard : Mon Vieux, Une sSacrée Mamie, tous les Hirata, Ki-itchi, Onmyoji, Nana, Fruits Basket, Switch Girl, Amours félines. Il y en a plein d’autres...

Quelles ont été les déceptions en termes de réception (séries n’ayant pas trouvé leur public), et pour quelles raisons selon vous ?

Le josei : nous étions prêts à foncer, à explorer le genre, mais la nullité de la presse manga sur ce sujet a fait que la BD pour les filles plus matures n’a pas décollé. Kaori Onozucca, par exemple, le bide des bides. Les filles en France de la génération shojo ne sont pas assez des femmes avec des vraies personnalités pour apprécier les auteures pertinentes du shojo. Se dire féministe ou femen, c’est juste de la com’, cela ne suffit pas pour être une femme pouvant être captée par des sujets féminins subtils et profonds. Beaucoup de josei pourraient apporter beaucoup de bonnes choses à leurs lectrices... Mais avec moins de 1000 exemplaires de vente au titre, c’est difficile à prouver. On doit donc se contenter du Yaoï en pile chez certains libraires, dans l’immédiat...

C’est pareil pour les garçons : c’est frustrant de publier des seinen s’adressant à des mecs qui auraient un cerveau et des couilles quand on a en face des lecteurs n’ayant pas encore bien appréhendé leur genre. Le lecteur masculin moyen de mangas ne mérite que le young seinen fantastique ou de science-fiction, c’est sans risque pour lui et il n’est pas du genre à vouloir sortir de l’enfance. Même très longtemps après ses dix-huit ans. Dès qu’on pointe la vie en publiant du seinen qui regarde tout cela dans les yeux, il n’y a plus grand monde...

La grosse déception, c’est que, plus le temps passe et plus il y a des nuages à l’horizon, plus il faut distraire avec de la série B. Ce que je veux dire par là, c’est que c’est fatigant de passer beaucoup de temps sur des titres qui ont de la personnalité et du cœur et de constater que c’est surtout les produits manga formatés qui se vendent bien.

Où est la culture vivante ? Quand participe-t-elle concrètement à la vie en société dans cette époque qui nous annonce une crise plus que surprenante ? Les consommateurs de mangas et les médias qui fonctionnent avec tout cela correspondent bien à une société de trouillards qui est en train de s’effondrer. Il se dégage beaucoup de combativité et de maturité dans les productions BD et cinéma en Asie, et on peut constater qu’économiquement, cela va quand même beaucoup mieux que pour nous sur ce continent. Mais c’est difficile de faire passer ce genre de constat chez-nous pour en valoriser le positif.

Onmiyoji est un gros bide, un échec qui met en avant que le public manga est très inculte et très peu intéressé par la vraie culture japonaise. C’était nettement moins comme cela il y a une trentaine d’année quand peu de gens s’intéressaient à ce pays. Les pionniers, amateurs de littérature et de cinéma japonais, étaient plus connaisseurs et curieux de la richesse de ce pays. La majorité des amateurs de mangas sont surtout des consommateurs formatés de produits culturels japonais traités industriellement et c’est handicapant pour faire vivre un catalogue manga plus pertinent chez un grand éditeur. Surtout, si on manque de best-sellers...

Nous allons beaucoup mieux vivre de notre sensibilité éditoriale en quittant les Éditions Delcourt pour des raisons de marge bénéficiaire et on aura moins besoin des consommateurs de mangas. La crise qui commence à tout envahir surtout dans sa dimension écologique, va tous nous obliger à regarder les choses en face pour des raisons de changement de façon de vivre, et peut-être même de survivre. Cela va nous être favorable... En tous cas, on pourra mieux s’accomplir dans notre travail.

Avez-vous des regrets concernant une série ou un auteur que vous n’avez pas pu éditer ces dernières années, qui a été soit récupéré par un autre éditeur, soit impossible à éditer en France pour telle ou telle raison) ?

Finalement non, car il y a tellement de titres intéressants à traduire qu’on devient philosophe. Le seul regret c’est de lire un manga qu’on aurait aimé publier et qu’il soit mal traduit et adapté. Là, c’est rageant.

Comme quoi par exemple ?

De mémoire, Sabu et Ichi d’Ishinomori, traduction d’une grande platitude [2]. La sensibilité et la finesse de la série ont disparu. Golgo 13 de Takao Saitô, quel gâchis.! Il y en a beaucoup comme ça. Quand je vois apparaître un éditeur qui publie du Tezuka comme premier manga et première expérience, je me gratte la tête. C’est vrai que tout s’achète maintenant.

Quels auteurs vous ont marqué durant ces années d’édition via le Japon, et avec lesquels en particulier aimeriez-vous continuer à travailler.

Monsieur Hiroshi Hirata en premier car c’est le sensei, le grand père qu’on écoute et qui est capable de déconner comme un ado. Et il communique une sacrée énergie... J’apprécierais de revenir vers Reiko Okano d’Onmiyoji. C’est une personne que j’aimerais bien rencontrer. J’aimerais aussi revoir au Japon Shin-Ichi Sakamoto, l’évolution de son travail est impressionnante et c’est une personne très intéressante. J’aimerais bien faire la connaissance de Moriyama Tsuru de Mon vieux : je connais ses autres titres et ses descriptions des milieux populaires japonais donnent envie de le rencontrer pour boire du saké au bar du coin. Je n’ai pas parlé des dames du shojo mais toutes celles que l’on publie et qui sont venues en France, nous ont laissés des très bons souvenirs. Par exemple, Natsumi Aida, on ne peut pas l’oublier. Elle est trop drôle et modeste. Les auteurs que nous avons publiés nous sont très proches. Et vivement que je puisse faire connaissance de Monsieur Akio Tanaka, auteur de Coq de Combat. Il est très important pour moi.

Concernant le patrimonial dans le manga : est-ce un horizon éditorial auquel vous avez déjà songé pour Akata Delcourt, ou auquel vous songeriez pour "Akata tout court" ?

Dans l’immédiat, on va se diriger pour la partie manga vers des œuvres ayant de la personnalité et récente pour bien enraciner économiquement Akata. De cette façon, on pourra s’intéresser confortablement aux grands anciens dont les propos traversent le temps. OK pour les jeunes et les anciens qui nous permettront de ne pas gâcher du papier inutilement.

Enfin, quelle est votre impression sur la nomination de Pierre Valls chez Delcourt ?

Je suis très peu en relation avec ce qui se passe à Paris dans le milieu de l’édition. Pierre Valls a travaillé longtemps dans le manga et après une période d’absence, il y revient. J’en suis content pour lui d’autant que ce n’est pas évident de trouver du travail même dans un domaine qu’on connaît. Guy Delcourt sait ce qu’il fait en proposant le poste de directeur de sa collection manga à Pierre Valls. Je leur souhaite de réussir le projet qu’ils envisagent ensemble. D’ici trois, quatre ans, il restera peut-être des traces d’Akata dans le catalogue manga des Éditions Delcourt. On ne fait que passer...

(par Aurélien Pigeat)

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D’autres ressources autour de Dominique Véret sur Actua BD :
- une présentation de son parcours
- sa vision du marché après l’arrivée de Viz Media en France
- ou encore une ancienne polémique l’impliquant

[1"Bushi" est un terme japonais désignant les guerriers gentilshommes, souvent confondu avec samouraï bien que les deux mots renvoient à des époques et des réalités différentes

[2Sabu et Ichi a été édité par Kana et traduit par Pascal Simon. NDLR.

 
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8 Messages :
  • je crois que je n’ai jamais lus autant de connerie à la suite

    Répondre à ce message

    • Répondu par Yaneck Chareyre le 5 juillet 2013 à  11:32 :

      Un homme totalement horripilant, c’est vrai, mais pas un con, je ne suis pas d’accord. C’est un homme avec des idées, un point de vue, qui devraient vous amener à réfléchir.
      Bon, j’avoue, même moi qui doit être proche de ses valeurs, il est venu m’agresser avec sa façon de dire les choses.

      Mais dans notre monde formaté et terriblement ouaté, quelqu’un qui rue dans les brancards en vous incitant à penser différemment, c’est quelqu’un de vraiment intéressant.

      Du coup, merci pour cette interview, elle me donne envie de m’intéresser au futur catalogue Akata.

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    • Répondu par Pic le 5 juillet 2013 à  19:13 :

      Deux fautes d’orthographe en une demi-ligne, un jugement torché sans majuscule ni ponctuation, aussi bref et méprisant concernant un travail d’éditeur de plus de 24 années de production dont on ne peut qu’admirer la variété et la constance, aux origines même d’une vague qui a envahi le monde de la BD, quand Glénat cherchait un public pour ses mangas traduits et cartonnés à 90 Frs le volume alors que les teenagers faisaient foule devant la petite boutique TONKAM rue Keller à s’acheter les V.O. pour 6,50 Frs, je ne sais pas qui vous insultez le plus, "Brocoli" :

      Tonkam, Akata, son équipe, les auteurs qu’il a découverts et fait découvrir, Delcourt qui lui a fait confiance, le Manga, vous-même, ou le modérateur de ce site qui n’a pas voulu écarter votre pet de l’esprit.

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  • La question est "le public manga est-il aussi inculte que Dominique Véret ?". Je ne crois, à inculte, inculte et demi.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Yaneck Chareyre le 6 juillet 2013 à  09:17 :

      "C’est celui qui dit qui est !"
      Whaou, le niveau de l’argumentation...

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      • Répondu le 10 juillet 2013 à  09:37 :

        C’est une connerie en ce sens qu’ aucun public ne peut être résumé en un anathème définitif et un brin méprisant. les avis tranchés c’est bien, ça bouge notre monde ouaté, c’est vrai, mais c’est aussi le terreau des donneurs de leçons et autres pseudo gourous surs de leur fait. La base de l’intelligence ça reste le doute. ca arrive des fois en France qu’on vous dise des choses positives ? Ou vous êtes tellement ancrés dans l’auto-flagellation que vous remerciez encore et toujours le moindre crétin qui vous insulte d’un effet de manche ?

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  • "C’est trop un truc de gamin qui se branle mal."
    élégant comme formule, c’est pas parce qu’on parle de BD qu’il faut s’exprimer comme un charretier.
    Et en plus j’aimerais savoir ce que ça veut dire ?

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  • "horripilant", "agresser" et "méprisant", 3 termes tirés des commentaires qui résument bien l’impression que m’a laissé cet entretien. J’ajouterai "désagréable" et "rebutant", pour ma part.

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PAR Aurélien Pigeat  
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