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Dupuis : Vers l’élaboration d’une « charte » ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 avril 2006                      Lien  
Ces dernières semaines, en marge de la crise qui s'est déroulée à Marcinelle, les auteurs tentent de garantir leurs intérêts par l'établissement d'une charte qui certes, favorisera l'autonomie de Dupuis, mais qui surtout leur autoriserait à être associés aux grandes décisions qui influeraient sur leur travail.

Que les auteurs soient inquiets, c’est bien normal. Car de deux choses l’une : Ou Dimitri Kennes avait raison, et c’est leur propre avenir qui est en cause ; ou il n’avait pas raison et ce qui s’est passé il y a un mois maintenant est le signe inquiétant que les affaires ne tournent pas ronds. Là-dessus, Claude de Saint-Vincent révèle que pour la première fois depuis douze ans, le chiffre d’affaires de la BD stagne. Qui, dans ces conditions, ne se sentirait pas concerné ?

Le scénariste Denis Lapière invite les auteurs à débattre

Aussi, entre les auteurs et Média, le dialogue autour d’une charte est-il engagé. Un trio d’auteurs a commencé un travail d’information. Ce travail est aujourd’hui achevé. « Il m’a fallu digérer le fait qu’une page a été tournée, écrit Denis Lapière à ses collègues, Dimitri, Claude, Nathalie et Anne (et maintenant Solange) ont quitté Dupuis et n’y reviendront plus [1]. Et si je regrette amèrement les causes qui les ont mené à cela, j’accepte les raisons qui ont poussé certain(e)s à faire ce choix. A tous les cinq, personnellement et sincèrement, je souhaite le meilleur. Tout comme je le souhaite, tout aussi personnellement et sincèrement, à ceux du Comité de Direction, qui ont choisi de rester.
De telles blessures cicatrisent mal et longtemps.
J’ai bien compris, cependant, qu’une possibilité très rare nous était offerte à nous, les auteurs : celle de peser sur la vie future de leur maison d’édition.
 »

Constatant cela, Denis Lapière se montre volontariste : « On nous propose de nous exprimer, on semble prêt à nous écouter. Pourquoi ne pas tenter notre chance ? Cette fameuse charte, c’est à nous de l’écrire. »

Il ajoute qu’il a réfléchi "tout seul dans son coin" à quelques solutions qu’il a testées auprès de certaines personnes concernées. « J’aimerais prochainement en discuter avec des auteurs qui seraient animés de la même conviction ; faire de sorte qu’une petite chose positive sorte de toute cette crise que nous n’avons pas voulue. » Il suggère à tous les auteurs qui le voudraient de venir en débattre à Marcinelle le Mercredi 19 avril 2006, de 12h00 à 15h00. Ce serait dans une salle mise à leur disposition, « sans ingérence de qui que ce soit » et à l’abri des regards. Une réunion perçue comme « un premier contact ».

Le lauréat du Prix de la Critique semble s’être engagé personnellement dans la résolution de cet aspect du conflit. « Je ne travaille plus depuis trois semaines » nous confiait-il à Monaco.

Histoire de contrats d’auteurs

De son côté, Jean van Hamme continue à jouer les pompiers de service. Dans une lettre à ses collègues, il donne son sentiment à propos de la fameuse charte et en précise la portée : «  La charte d’autonomie visera à assurer l’autonomie de Dupuis (et dans la foulée du Lombard et de Dargaud) par rapport à son propriétaire Media-Participations, tout en s’appuyant sur les avantages que peuvent représenter commercialement les synergies d’un grand groupe d’édition, notamment sur le marché français. Autonomie éditoriale proprement dite, bien sûr, et surtout autonomie budgétaire (qui sera le vrai nœud de la discussion avec Media). » Il prévient d’entrée qu’il ne faut pas qu’elle porte sur la discussion des contrats d’auteurs : «  Il n’a jamais été question, jusqu’à présent, d’inclure dans cette charte quoi que ce soit à propos des contrats d’auteurs. Ce n’est pas au stade actuel le but de l’opération et en outre, ce serait risquer d’arriver à l’uniformisation des contrats, ce qui est précisément un des points dont on a reproché à Media de l’avoir tenté. Un contrat doit rester une négociation entre un auteur (autonome) et un éditeur (autonome).  »

L’idée même d’un « syndicat » d’auteurs de bande dessinée le révulse : «  ...si, comme le suggèrent certains à demi-mots, nous envisagions de former un syndicat d’auteurs qui imposerait ses contrats types aux éditeurs, nous tomberions dans la dérive américaine où un scénariste de cinéma ou de télé n’a pas le droit d’écrire une seule ligne s’il n’est pas membre de la writers’guild. Si on en arrive à ce stade, je change de métier. »

Au passage, il répond aux propositions formulées par Yvan Delporte dans sa lettre : « Vous voulez un contrat intuitu personae  ? Négociez ça avec votre éditeur. En sachant que c’est une arme à double tranchant. Vous signez avec un éditeur parce que vous avez une relation de confiance personnelle avec le directeur éditorial ou un directeur de collection ? C’est normal, c’est ce que nous faisons tous. Vous demandez donc que ce contrat soit intuitu personae. Si l’éditeur l’accepte, c’est très bien. Que la personne que vous aimez soit virée ou décide de quitter librement l’entreprise parce qu’on lui propose un job plus intéressant ailleurs (pas nécessairement dans l’édition), votre problème est le même. Votre contrat est caduc. Vous êtes libre d’aller (vous faire) voir ailleurs. Pour un auteur important, pas de problème (quoi que...). Mais pour un petit ?  »

Jean Van Hamme : "rien n’est simple"

Quant au contrat « intuitu firmae » proposé par Yvan Delporte, il est tout aussi catégorique : «  Si votre éditeur change de mains, vous êtes libre de vous en aller. Le problème, c’est qu’il sera extrêmement difficile de faire accepter ça par un éditeur, car ce serait lui enlever toute valeur marchande (nous en revenons au bétail de la ferme). Et d’ailleurs, ce n’est pas si simple. Je ne pense pas que Media-Participations vende un jour Dupuis. C’est un groupe français uniquement voué à l’édition et Dupuis en est son plus beau fleuron. Par contre, rien ne nous garantit, à l’heure des grandes concentrations internationales, que Media lui-même ne soit pas un jour racheté par plus gros que lui. Un groupe anglais, par exemple. Ou espagnol. Ou, plus probablement, japonais. Voyez ce qui s’est passé avec Casterman, racheté par Flammarion, lui-même racheté quelques mois plus tard par Rizzoli, le deuxième plus gros groupe d’édition d’Italie après Mondadori. Et alors, qu’est-ce qu’on fait ? Votre contrat intuitu firmae ne sert à rien puisque ce n’est pas avec Media que vous l’aurez signé. Raison de plus pour que la charte d’autonomie de Dupuis soit coulée dans le bronze. Mais si ce genre de perspectives vous fait peur malgré tout, tout ce que je peux vous conseiller de faire, c’est de signer des contrats de courte durée. Avec le risque que cela comporte pour vous, à savoir qu’un éditeur investira peu sur un auteur qu’il n’est pas sûr de garder un certain temps. Quand je vous disais que rien n’est simple.  »

Comme le dit si bien Jean Van Hamme, à la suite de Sempé : "rien n’est simple", et la matière, pour le néophyte, est en tout cas bien technique. La réalisation d’une charte aura certes l’avantage d’apaiser un climat qui s’est quelque peu détérioré depuis quelques semaines, ce n’est pas peu de le dire. Ce serait même l’occasion, pour Média, de produire un « contrat de confiance » qui, pour le coup, lui donnerait un avantage appréciable sur ses concurrents. Mais cette affaire de charte risque aussi de faire apparaître entre les auteurs des clivages d’opinion qu’il était jusqu’ici plutôt confortable d’ignorer.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Denis Lapière. Photo : D. Pasamonik.

[1Dimitri Kennes, Claude Gendrot, Nathalie Claes, Anne Delchevalerie, tous membres du Comité de Direction. Solange Yates était l’attachée de presse des éditions Dupuis à Paris. Son départ ne concernerait pas l’affaire de Marcinelle. NDLR.

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