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Enki Bilal : « J’ai l’impression que l’humanité est en train de retenir son souffle… »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 décembre 2022                      Lien  
Il fallait bien un écrivain de talent comme Christophe Ono-Dit-Biot pour interroger l’un des auteurs de bande dessinée les plus significatifs de notre époque. Arrivé dans le métier au moment où la technique autorisait la couleur directe, en même temps qu’émergeait le « mauvais genre » de la science-fiction, Bilal y déploya un graphisme original et un univers immédiatement identifiables. Son talent, comme ses créations, sont hybrides. Artistiquement, il est de ceux qui ont aboli les frontières entre la bande dessinée et les autres arts ; il est aussi un créateur marchant sur les traces des prophètes du chaos, de Jérémie à Nietzsche, jusqu’à Lovecraft, un « voyant » scrutant l’horizon de l’apocalypse, ses signes avant-coureurs. Une sorte de Nostradamus qui aurait lu le rapport du GIEC… C’est le portrait qui ressort des conversations reprises dans ce livre. Cet ouvrage, est ponctué, on s’en doute, de belles images. Un très beau choix qui vient parfaitement prolonger le propos.

Lui qui est né dans un pays « façon puzzle », suivant la belle image de son intervieweur, un pays qui qui n’existe plus : la Yougoslavie, il sait le sort funeste que réservent aux crédules les nationalismes, les religions et les cratophiles de tout bord.

Dans cette conversation, lettrée, brillante, Enki Bilal se confie comme jamais. Il parle de son enfance, notamment de son père qui disparaît « en voyage d’affaires » à Paris pendant plusieurs années, laissant sa mère seule avec sa progéniture, sans doute en raison de la peur que lui inspire le régime de Tito dont il est pourtant un compagnon d’armes et… son maître-tailleur ! Cette figure paternelle restera un mystère pour le jeune Enes (Enki est le diminutif de son prénom) même quand il viendra le rejoindre à Paris quelques années plus tard.

Enki Bilal : « J'ai l'impression que l'humanité est en train de retenir son souffle… »

Dans cet ouvrage, Bilal raconte ses obsessions, son goût pour le dessin comme pour le foot, sa rencontre, à l’âge de 15 ans, avec René Goscinny et Jean-Michel Charlier en 1966 dans les locaux de Pilote. Ils lui conseillent de passer le bac tout en l’encourageant. Cinq ans plus tard, à la suite d’un concours, il revient dans « le journal qui s’amuse à réfléchir  » par la grande porte.

Une première histoire, Le Bol maudit, puis quelques autres récits courts et c’est la rencontre avec Pierre Christin. On connaît la suite : Phalanges de l’ordre noir, Partie de Chasse…, joyaux de la collection Légendes d’aujourd’hui qui écrivent, à eux seuls, la légende de l’un de plus grands dessinateurs de l’époque.

Vient ensuite l’envol en solo : la trilogie Nikopol (nom d’une ville d’Ukraine), Jill Bioskop, «  la Femme-piège  », qui pleure des larmes bleues, et ses autres bandes dessinées. On y apprend sa détestation de la représentation des femmes charnues rubéniennes, l’influence de Lovecraft sur sa gamme chromatique, son goût pour le dessin des matières, souvenir du mur lépreux d’une forteresse où il jouait enfant…


La chute du Mur de Berlin, la guerre de Yougoslavie, la tragédie de Sarajevo « brûlant comme de l’encens », la lâcheté des Européens dans ce conflit à nos portes, font rejaillir des souvenirs qu’il avait refoulés, ravivant son inquiétude latente, suscitant des intuitions géopolitiques fulgurantes, comme lorsqu’il efface dans un film, Immortel, six mois avant leur disparition, les tours jumelles de Manhattan.

Le cinéma, justement : Bunker Palace Hôtel, Tykho Moon, Immortel ad vitam… dont l’esthétique bouleverse l’histoire du film français sans pour autant conquérir un public large. Trop étrange…

Enfin l’art. Cet art contemporain dont il est un des acteurs marquants qui a fait que l’on regarde aujourd’hui la bande dessinée autrement. Il voit ses cotes s’envoler en salles de vente. Il s’en fiche car, pas dupe, Bilal se contente de considérer que son parcours n’a pu se faire que parce qu’il a rencontré « les bonnes personnes ». Sans aucun doute. Nous qui le lisons, nous espérons en faire partie.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782203237766

Enki Bilal : sublime chaos – Conversations avec Christophe Ono-Dit-Biot – Ed . Casterman

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