Impossible d’y aller sans une invitation personnelle : nous sommes dans les appartements privés de l’ambassadeur du Royaume de Belgique, Son Excellence M. Vincent Mertens de Wilmars qui vous reçoit personnellement en présence de son épouse. Il y a des photographes, quelques journalistes triés sur le volet, le baron François Schuiten et bien entendu tout le staff de Casterman, le doigt sur la couture du pantalon, Charlotte Gallimard, la Directrice Générale, et Benoît Mouchart, son directeur éditorial, de même que tout l’entourage de la maison Moulinsart : les commissaires de l’exposition Hergé qui triomphe au Grand Palais, et les hergéologues les plus patentés comme Philippe Goddin, Bernard Tordeur ou Dominique Maricq.
Dans la conversation, le succès de l’expo Hergé mais aussi la parution prochaine du Soviet colorisé. « Trois-cents mille exemplaires de l’édition courante seront mis en place, annonce Benoit Mouchart, plus cinquante mille de l’édition de luxe qui comprend une planche inédite à part. » La maison Gallimard ayant remporté le Goncourt cette semaine, la saison s’annonce bonne...
Arrivent Fanny et Nick Rodwell en même temps que le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders. La rencontre est chaleureuse et c’est donc en toute décontraction que le ministre remet la médaille « au nom du roi ». La récipiendaire est radieuse, soulignant qu’en ce qui la concerne, « elle n’a rien fait ». Trop modeste, la seconde épouse d’Hergé omet le travail de fond qu’elle anime depuis le décès de son époux en 1983, avec ce magnifique Musée Hergé de Louvain-la-Neuve financé en grande partie sur sa propre cassette.
Elle se prête volontiers aux injonctions des photographes (Fanny ! Fanny !...), obligeant son époux Nick à venir à ses côtés. Une femme remarquable et toujours ravissante qui reçoit là une décoration bien méritée. Rappelons que la rédaction d’ActuaBD l’avait élue "Personnalité de l’année" en 2011.
DIDIER REYNDERS : « FANNY EST QUELQU’UN QUI, DEPUIS DES ANNÉES MAINTENANT, A EU L’OCCASION DE FAIRE RAYONNER NOTRE PAYS UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE. »
Le Ministre belge des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et des Affaires européennes, Didier Reynders, soutient depuis longtemps la bande dessinée en Belgique. Comme ministre des finances, le Centre Belge de la Bande Dessinée lui a du l’effacement de sa dette en 2005. Il réclamait il y a peu un « Beaubourg de la bande dessinée » en Belgique. Récemment encore, il honorait la Fête de la BD à Bruxelles de sa présence. Rencontre.
La bande dessinée, c’est important pour vous ?
C’est important parce que c’est un art qui a beaucoup été développé en Belgique et l’on ne sait pas toujours qu’un certain nombre de personnages sont liés à la Belgique. Ce n’est évidemment pas le cas de Tintin : tout le monde sait qu’il est issu de notre pays. Mais c’est le cas d’autres personnages : en 2018, on va fêter les 60 ans des Schtroumpfs, par exemple. Beaucoup de personnes à travers le monde les connaissent sans savoir qu’ils sont belges. Je souhaite régulièrement recréer ce lien, ce contact.
Je trouve que dans le cas d’Hergé, c’était important de pouvoir marquer le moment d’une exposition exceptionnelle au Grand Palais qui n’est pas seulement sur Tintin, mais sur Hergé, ses différents talents : de peintre, de créateur publicitaire, dans ses différentes bandes dessinées en dehors de Tintin qui est évidemment l’œuvre emblématique. Nous voulions saluer à cette occasion le travail de Fanny Rodwell qui a continué à développer non seulement le souvenir d’Hergé mais aussi la capacité de relier son œuvre à la Belgique. Avec le Musée Hergé à Louvain-la-neuve, à travers les magasins dont le dernier a été ouvert à Bruxelles au Sablon, à travers les expositions, les publications, je crois qu’il était utile de le célébrer. J’étais un lecteur de bande dessinée enfant, puis à l’adolescence et à l’âge adulte. Je continue à lire des bandes dessinées, mais Tintin et Hergé restent des références.
Est-ce que la bande dessinée belge est une espèce de « soft power » » comme le seraient les mangas pour les Japonais ?
Oui. On les utilise à mes yeux trop peu. Je regrette que dans le cadre des différents ministères de la culture dans les communautés en Belgique, on ne développe pas assez ce lien avec la bande dessinée. Je me souviens que la poste belge avait publié des petits albums avec un dossier sur un personnage ou un dessinateur…
C’était une collection animée par Michel Vandenbergh au Centre Belge de la BD, mais elle a été abandonnée…
Oui. J’ai repris l’idée à la Monnaie royale avec un certain nombre de dessinateurs ou d’auteurs. On a fait des commémorations, déjà pour Hergé, mais aussi pour Jacques Martin... Je trouve que l’on ne fait pas suffisamment en faveur de ce lien entre la bande dessinée et la Belgique. Nous avons eu l’occasion à l’ambassade de Belgique à Pékin de célébrer Tintin, avec Tchang à l’époque, et c’est vrai que cela a eu une répercussion importante partout en Chine. Je crois d’à côté du théâtre, du cinéma qui se porte bien : j’avais eu l’occasion de développer l’aide au cinéma au travers des Tax Shelters qui marchent très bien et que l’on va étendre aux arts de la scène, on doit être très attentifs aux créateurs de bande dessinée, d’autant que la vie des auteurs et des jeunes auteurs de BD n’est pas facile. Il y a énormément de publications, une grande difficulté d’être rémunéré sur la base de son travail et donc on doit y être plus attentifs.
Éclairez-nous : cela veut dire quoi, Chevalier de l’Ordre de Léopold ?
La première qualité pour recevoir cette décoration, qui est également décernée à des étrangers, c’est d’assurer, à travers son talent ou des activités qui peuvent être très diverses, soit le rayonnement de la Belgique à l’étranger, soit à faire venir vibrer quelque chose en Belgique quand on vient de l’étranger. Avec Fanny ici, c’est vraiment l’occasion de célébrer quelqu’un qui, depuis des années maintenant, a eu l’occasion de faire rayonner notre pays un peu partout dans le monde.
Pourquoi remettez-vous cette décoration à l’ambassade de Belgique en France, et pas dans votre pays ?
Nous pouvions le faire, mais la visite de l’exposition Hergé au Grand Palais a été l’occasion de remettre la médaille dans cette ambassade qui est finalement un petit coin de terre belge sur le sol français puisqu’il y a cette tradition de considérer les ambassades comme faisant partie du territoire national. Je remets très souvent des décorations à Bruxelles, au Palais d’Egmont, mais aussi dans des ambassades un peu partout à travers le monde.
Est-ce qu’il faut dire, dans le cas de Fanny, Chevalier ou Chevalière ?
En général le mot Chevalier reste le terme utilisé mais on peut toujours faire évoluer la situation. C’est le débat infini sur la féminisation des noms. L’Ordre prévoit un titre particulier et dans la formule officielle que j’ai prononcée tout à l’heure et qui est sanctionnée par la signature royale, cette formule confère le titre de Chevalier.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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