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George Pratt (Le Baron Rouge, Batman, Wolverine) : « J’ai surtout appris à dessiner et peindre en allant dans les musées »

Par Nicolas Anspach le 31 décembre 2010               Le Baron Rouge, Batman, Wolverine) : « J’ai surtout appris à dessiner et peindre en allant dans les musées »" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Une exposition bruxelloise propose les planches du {Baron Rouge} ({Enemy Ace}) et les peintures de {{George Pratt}}, centrées sur le thème de la guerre. L’auteur a apporté une vision plus intime au personnage du Baron Rouge par rapport aux créateurs du personnage, {{Robert Kanigher}} et {{Joe Kubert}}. Il confronte l’aviateur de la première guerre mondiale à un vétéran de la guerre du Vietnam. Pratt fut parmi les auteurs américains qui ont donné une nouvelle dimension, plus picturale au « graphic novel ».

George Pratt (<i>Le Baron Rouge</i>, <i>Batman</i>, <i>Wolverine</i>) : « J'ai surtout appris à dessiner et peindre en allant dans les musées »Pourquoi avez-vous lié l’expérience d’un ancien vétéran de la première guerre mondiale à celle du Vietnam ?

Ma jeunesse a été marquée par la guerre. Plusieurs membres de ma famille avaient participé aux grands conflits du 20e siècle en Europe. Mon père lui-même a combattu durant la seconde guerre mondiale. Plusieurs de ses amis sont morts sur les champs de bataille, et cela l’avait marqué profondément. J’ai donc grandi en ayant conscience des répercussions que pouvait avoir un conflit sur un être humain. Plus tard, je me suis fortement intéressé à la bande dessinée de guerre que cela soit Enemy Ace (traduit sous le titre du Baron rouge) ou Sergent Rock, tous deux créés par Robert Kanigher & Joe Kubert. Ces deux comics m’ont permis de découvrir le développement de cette thématique.
Lorsque j’ai commencé à réfléchir à une histoire qui aborderait la guerre du Vietnam, j’ai repensé au personnage de Enemy Ace (Le Baron rouge), qui mettait en scène un aviateur chevronné de l’armée allemande durant la première guerre. Cette envie d’organiser une rencontre entre un vétéran américain du Vietnam et le Baron rouge a émergé de plus en plus clairement.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le personnage du Baron rouge ?

Les auteurs avaient créé un vrai personnage de bande dessinée, loin d’une glorification. Mais le Baron rouge restait tout de même une machine à tuer, sans trop de sensibilité. J’ai essayé de lui apporter une humanité afin de le rendre plus crédible ! C’est l’un des points qui me démarque de l’approche de Kubert. J’ai également apporté une très grande importance à la documentation. Il me semblait opportun d’ancrer le récit dans une réalité pour mieux faire passer les émotions auprès du lecteur.

Extrait de Enemy Ace (Le Baron rouge)
© G. Pratt & DC Comics.

Comment avez-vous fait pour vous imprégner du ressenti éprouvé par ces deux vétérans et de leur comportement psychologique ?

J’ai toujours été impressionné par la guerre du Vietnam. Né en 1960, j’ai eu une frousse bleue d’être mobilisé durant ma jeunesse et de devoir participer à ce conflit. Cela ne s’est pas passé, heureusement. J’ai lu énormément de livre sur ce sujet. Puis, j’ai rencontré de nombreux vétérans, entre autres un ami du père de Kent Williams avec lequel j’ai beaucoup conversé. Les vétérans parlent facilement. J’ai eu la chance de croiser également la route d’un vétéran de la première guerre mondiale. Il s’occupait d’une mitrailleuse dans une tranchée. C’était l’un des jobs les plus difficiles. L’espérance de vie n’était que d’une semaine pour ceux qui exerçait cette fonction, mais il s’en est sorti. Être confronté à cela, cela marque forcément !

Vous utilisez des photographies pour travailler. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Cela m’aide à mieux percevoir les ambiances, les atmosphères et pour sélectionner les couleurs ou les jeux de lumières. Je prends beaucoup de clichés, et je les regarde pour m’inspirer. Le Baron rouge est peint à l’aquarelle. C’est un sujet assez noir, pour lequel j’ai surtout joué sur les contrastes. Lorsque les vétérans discutent ensemble dans une chambre et parlent de leurs expériences de la guerre, j’ai délibérément opté pour des couleurs sombres. Par contre, la fin de l’album est plus lumineuse. L’histoire l’exigait !

Extrait de "Enemy Ace" (Le Baron rouge)
© G. Pratt & DC Comics.

Votre adaptation du Baron rouge marque-t-elle un nouveau genre dans le « graphic novel » ?

Oui et non. Beaucoup d’artistes ont réalisé des livres illustrés qui sont très proches du « graphic govel », mais qui n’ont pas reçu une grande attention du public ou des médias. Des auteurs comme Kent Williams, Scott Hampton ou moi-même avons apporté une approche différente aux comics : nous étions inspirés par de grands illustrateurs ou peintres, et nous avons essayé d’introduire cette dimension dans le comics. A l’époque, c’était novateur car les dessinateurs de comics ne s’intéressaient pas à la peinture. Nos œuvres, dont mon album du « Baron rouge », ont été remarquées car nous avions une approche différente. Il a fallu que nous nous battions pour arriver à imposer notre démarche artistique. Les comics étaient très structurés à l’époque. Il fallait respecter un certain type de narration ou un certain type de thématiques. Dès que nous sortions de cette manière de créer pour innover, c’était considéré comme une sorte de sacrilège.

Peinture de G. Pratt - "Lost"
© G. Pratt.

D’où est venue votre volonté de briser les habitudes ?

Je suis issu d’une ville du Texas, et j’achetais régulièrement les magazines qui étaient publiés. Les meilleurs illustrateurs du moment réalisaient à l’époque des couvertures et des illustrations pour ces revues. Leurs travaux m’attiraient, et j’ai eu envie de me diriger vers l’illustration. Un groupement d’artistes qui s’appelait The Studio sortait de l’ordinaire. Le groupe était composé de Jeff Jones, Bernie Wrightson, Barry Windsor-Smith et enfin Michael William Kaluta. The Studio avait publié un livre d’art, lié aux Comics, qui était avant-gardiste pour l’époque. Ce fut une véritable bible dans laquelle je me plongeais régulièrement afin de voir ce qu’il y avait moyen de faire en dehors de la BD classique.

Est-ce ce livre qui vous a donné envie de vous inscrire à la Pratt Institute à New York ?

Oui, bien sûr ! Suivre ces cours était surtout un prétexte pour présenter mon travail aux grands dessinateurs new-yorkais. Je me souviens encore avoir passé de longs moments à consulter l’annuaire téléphonique à la recherche de leurs noms. J’ai été voir Jeff Jones et Kaluta, qui m’ont conseillé. J’avais surtout eu la possibilité d’étudier les techniques d’encrage traditionnelle avant de suivre des cours à la Pratt Institute. J’ai opté pour l’option « Fine Art », et j’ai senti le changement. Ces cours étaient nettement plus artistiques. Mais ce n’était pas parce que l’on suivait ces cours que l’on savait dessiner. En fait, j’ai surtout appris à dessiner et peindre en allant dans les musées et en observant pendant des heures les œuvres d’art. Puis, j’ai essayé de reproduire les techniques de ces peintres, ou les thématiques qui les ont inspirés, à ma manière. C’est ainsi que j’ai peu à peu créé mon propre style !

Lorsque les « Scorpions du Désert » d’Hugo Pratt inspirent George Pratt.
(c) G. Pratt

Vous avez mis en scène Batman et Wolverine. Pourquoi avez-vous illustré ces personnages ?

Batman m’a donné envie de faire de la bande dessinée. Quand j’étais jeune, j’ai vu les épisodes de Batman à la télévision, et cela m’a amené à lire les comic books. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce personnage, mon éditeur chez DC Comics m’a incité à réaliser une histoire dans la veine du Baron Rouge. Mais je ne le pouvais pas car les ambiances sont différentes. Batman est un personnage fictif, tandis que le Baron Rouge est plus réel. Par contre, chez Marvel, on m’a laissé libre de faire ce que je désirais, même s’ils auraient préféré que j’utilise les X-Men dans mon histoire de Wolverine. Cela aurait été plus commercial.

Vous êtes exposé ces jours-ci à la galerie « Les Petits Papiers » à Bruxelles. Est-ce que cela a une signification particulière pour vous ?

Oh, oui ! Aux Etats-Unis, le comics n’est pas encore considéré comme un art ! … Du moins pas au même point qu’en France ou en Belgique. Les américains n’ont malheureusement aucune éducation artistique, contrairement aux européens. Ici, à Bruxelles, il y a de nombreux témoignages qui reflètent l’intérêt pour la bande dessinée. On est dans le centre-ville, à Bruxelles, et c’est fabuleux de voir que des rues portent le nom de personnages de bande dessinée.

Lisez-vous des BD européennes ?

Très peu ! Je regarde surtout les dessins et les planches. J’ai des livres, mais malheureusement je ne comprends pas le français. J’apprécie le travail de Hugo Pratt, José Muñoz, Alberto Breccia, Gipi, Mattotti, Battaglia, etc.

(par Nicolas Anspach)

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Lien vers le site de George Pratt
Lien vers le site des Petits Papiers où l’on peut admirer les planches mises en vente

L’exposition est visible « aux Petits Papiers », à Bruxelles jusqu’au 22 janvier

Galerie Petits Papiers
1 Place Fontainas
1000 Bruxelles

Ouverture du lundi au samedi
de 10h à 18h30.

(+32) 2.513.46.70



Photo : © Nicolas Anspach

 
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