"Hawaï Solitudes" avec un S

Charlène est mère célibataire. Prise en étau entre son métier d’infirmière et le fait de s’occuper de son père en fin de vie, elle n’a pas beaucoup de temps à consacrer à son fils. Tant bien que mal, elle essaie de composer avec l’ensemble de ses obligations. Brandon, son fils, un pré-ado discret et calme est inquiet : son chat Batman a disparu depuis quelque temps, perturbant sa vie et son humeur de façon radicale. Robbie, le frère musicien fantasque de Charlène, de son côté, s’efforce de tirer tout le monde vers le haut par une bonne humeur manifeste voire excessive qui s’avère plus agaçante qu’autre chose. La disparition du père et le deuil qu’il implique va frapper la famille de plein fouet et générer un curieux mélange de chaos et de chagrin…

R. Kikuo Johnson © Gallimard BD

Dans ce nouvel album, de façon éponyme, le dessinateur traite frontalement de la solitude de ses personnages au point que le lecteur les prend tout de suite en empathie. Loin des canons de la famille atomique, il montre que ces trois individus, bien qu’ils habitent sous le même toit, ne savent finalement pas communiquer et s’écouter. La disparition du père va exacerber ces indifférences au point de les rendre insupportables pour tous.

C’est un livre amer qui montre ses personnages sans concessions avec une pointe de cynisme. Entre amour et négligence, on pourrait y retrouver le regard acéré et triste d’auteurs américains comme Adrian Tomine par exemple. Le graphisme de Johnson est par ailleurs très proche de celui de l’auteur d’Optic Nerve. Il est intéressant de constater que les deux dessinateurs sont des collaborateurs actifs et réguliers du New Yorker.

R. Kikuo Johnson © Gallimard BD

Le livre est original par sa forme, les éditions Gallimard BD proposent ici un petit format à l’italienne qui colle parfaitement au récit. Dotées d’une ligne régulière et propre, les planches du dessinateur sont synthétiques et efficaces. Avec seulement trois aplats de couleur, il arrive à insuffler une ambiance caractéristique à son récit, en particulier quand il attribue un orange fluo détonant à certains éléments anecdotiques de l’histoire (un drap, un feu, du sang) qui leur donne toute leur substance. Comme de véritables respirations, il élabore également de somptueuses doubles pages à intervalles réguliers lesquelles créent de véritables ruptures entre dans cette suite de gaufriers.

R. Kikuo Johnson © Gallimard BD

Planté dans les champs de canne à sucre proche de Maui, sa ville natale, Reid Kikuo Johnson compose une histoire intimiste, contemplative et sensible qui explore le sentiment de solitude avec beaucoup de nuance sans tomber dans des stéréotypes désagréables.

Un roman graphique original qui s’inscrit dans la continuité d’une certaine bande dessinée américaine indépendante. Un auteur dont la trajectoire peut s’avérer particulièrement intéressante, en espérant qu’il ne soit pas nécessaire d’attendre seize ans entre chaque album.