« L’Œil du Loup » de Daniel Pennac et Mathieu Sapin, l’exacte madeleine de Proust

C’est un petit monument en soit, écoulé à plus de deux millions d’exemplaires L’Oeil du Loup est un classique de la littérature jeunesse paru en 1984. Une histoire fleuve, courte mais marquante qui aborde, déjà, les sujets récurrents de l’oeuvre de Pennac relatifs à l’identité, la migration et notre rapport au vivant. Confondu dans la foule d’un zoo dans lequel règne une certaine agitation, un petit garçon fixe avec intensité un vieux loup borgne, aigri et fatigué. Troublé par cette présence, le loup va tenter de l’ignorer autant que possible jusqu’à ne plus tenir. Il se décide alors à soutenir le regard du garçon. C’est le début d’un dialogue intérieur et imperceptible dans lequel chacun, tour à tour va laisser s’exprimer sa voix, son histoire et ses émotions. Des grands espaces gelés de l’Alaska à l’Afrique caniculaire, de la lutte de l’animal face aux hommes à l’errance forcée d’un enfant, le récit évolue ainsi en canon au fil des rencontres et des évènements, pour nous montrer deux trajectoires singulières et difficiles.

Le premier constat est immédiat : cette histoire n’a pas bougé. C’est une réminiscence agréable au cours de laquelle l’on se plaît à retrouver ce théâtre de personnages tous plus curieux et intrigants les uns que les autres. Auteur remarquable de la littérature française contemporaine, Daniel Pennac est très loin d’être néophyte en matière de bande dessinée. Après avoir été le scénariste de Jacques Tardi, Florence Cestac mais aussi de Achdé sur les aventures de Lucky Luke, c’est, cette fois, l’un de ses propres textes qu’un dessinateur a choisi. L’Oeil du loup est ici conservé et retranscrit avec justesse et ce, à la virgule près, ce qui n’est pas si courant lors d’une transposition vers un autre médium. Ainsi, cette histoire conserve toute sa substance et le dessin y est absolument complémentaire. La narration est juste et bien amenée avec un découpage millimétré laissant la part belle au récit imaginé de l’auteur. À noter également que le cahier documentaire agrémentant l’ouvrage est ludique et plaisant puisqu’il nous en apprend bien davantage sur la genèse de la création de cet album.

Mathieu Sapin, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière d’adaptation, a su retranscrire avec précision les intentions de Daniel Pennac. D’apparence simples, ses planches sont en réalité dotées d’une spontanéité et d’une efficacité particulières. On se plait à observer la manière dont il a imaginé cet univers littéraire, dont il s’est approprié pour parvenir à ce résultat composite qui séduira à la fois les lecteurs assidus du roman et dans le même temps, ceux qui découvriront cette histoire pour la première fois. Ce n’est pas une simple adaptation, c’est une variation intelligente et pertinente d’un petit livre culte que l’on se plaît à relire dans un nouvel écrin avec une certaine nostalgie.