C’est évidemment sa série Gil Jourdan qui constitue, pour ceux qui ne le connaissent pas, la meilleure introduction à son œuvre. Au dessin, c’est une espèce de Franquin mâtiné d’Hergé mais qui n’est en aucun cas une démarque de ces deux phares qui ont éclairé l’École belge.
D’Hergé, il a hérité la clarté de la narration, la capacité de typer des personnages truculents et d’établir entre eux une relation de comédie parfaitement crédible ; de Franquin, il adopte la perfection du jeu d’acteurs, la qualité du regard et une justesse dans le traitement des ambiances.
Les ambiances, parlons-en. Il avait, comme Will mais aussi comme Macherot, la capacité de restituer un port de Bretagne au petit matin, un chaland passant silencieusement une écluse dans la nuit, le bistrot d’un village de Provence, une casse d’automobiles de banlieue, une casbah gorgée de soleil, un presbytère dans le brouillard, un quartier interlope de Paris, une petite ferme de Normandie, une hacienda en Amérique du Sud...
Son point fort ? Ses morceaux de bravoure. Nul mieux que lui n’a dessiné avec autant de justesse des embardées ou des crashs automobiles. Il faut dire qu’il connaissait la mécanique comme personne. Ses automobiles continuent encore aujourd’hui à fasciner ses admirateurs.
Là c’est pour le dessin. Mais c’est aussi et surtout un scénariste-né, comme il n’y en a pas trois dans un siècle. Il est l’égal de Goscinny dans sa capacité de dresser des portraits d’imbéciles heureux et dans l’art du calembour. Son registre est davantage humoristique, par un concours de circonstances, parce que, avec son personnage de Félix dans Héroïc Albums, la censure ne lui a pas permis de développer un univers hard boiled, inspiré des USA, ponctué d’humour dans la lignée d’un Jean Aurenche ou d’un Jacques Becker. Il est le seul de son genre dans un registre le plus souvent semi-réaliste, à moins qu’il ne soit semi-humoristique.
À partir de 1968, Tillieux règne sur le Journal de Spirou comme Goscinny sur Pilote ou Greg sur Tintin. Il devient, en plus de ses productions pour Gil Jourdan et César, le scénariste de Hultrasson le viking, de Marc Lebut, de Jess Long, de Tif & Tondu, dépannant les collègues sur Natacha et même sur Boule & Bill, La Ribambelle, Barbe Noire ou Yoko Tsuno !
Il est en passe de reprendre Lucky Luke à la suite de Goscinny quand la grande faucheuse lui fait un sort le 2 février 1978, dans un de ces accidents de voiture qu’il dessinait à la perfection. Sur une planche de Captivant, le jeune Yves Chaland écrit : « Tillieux est mort, tout fout le camp ! » Quelques semaines auparavant Goscinny disparaissait dans des circonstances non moins tragiques. Le Français avait 51 ans, le Belge 56 piges. Un certain âge d’or de la BD franco-belge s’achève.
Ils font partie de ces créateurs de mythes qui, comme Shakespeare, comme Molière, comme Balzac, ont disparu dans la cinquantaine en laissant derrière eux une œuvre dont la puissance et la pertinence rayonnent encore de nos jours.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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