Eva, jeune psychiatre fantasque, est obligée de passer sur le divan du docteur Llull, un de ses confrères chargés d’évaluer ses capacités à exercer son métier. Alors que la question semble simple : « Pouvez-vous me raconter votre semaine ? », le praticien n’imagine pas la boîte de Pandore qu’il vient d’ouvrir : crimes, enquête policière et troubles schizophréniques ne sont que la partie émergée de l’iceberg de la folle dernière semaine d’Eva.
Après nous avoir promenés dans plusieurs registres comme l’humour, le sentimental ou le dramatique, Jordi Lafebre touche à un nouveau genre très codifié : le polar. Le squelette de l’intrigue reste classique : une histoire de meurtre sur fond de complot familial mettant en jeu un héritage, dans un semi-huis-clos. Un récit dans lequel il faut un personnage extérieur qualifié (ici une psychiatre) qui mène l’enquête, indépendante à l’affaire. C’est précisément dans ce traitement que se place la véritable originalité de l’album.
Loin des romans noirs haletants ou des romans-problème à la Agatha Christie bien qu’il en applique le schéma, Je suis leur silence revisite ces classiques grâce à la patte caractéristique de Jordi Lafebre. On retrouve les couleurs chatoyantes et douces qu’offrent le bord de mer barcelonais mais surtout le ton décalé, poétique et imagé de l’auteur espagnol.
Un traitement plus léger, d’une histoire de meurtre pourtant, rendant l’album plus accessible quoique déstabilisant parfois. En témoignent les exagérations des expressions des personnages, à la limite du burlesque, typique de l’auteur mais qui pour certains peuvent paraître dénoter avec le genre.
Le personnage d’Eva, femme forte indépendante, charmante mais surtout schizophrène, est parfaitement atypique . En revanche, même si l’album est dédié par l’auteur à la protection et au soin de la santé mentale, cette dernière n’est clairement pas au cœur de l’intrigue, ce qui aurait pu l’alourdir.
Le déroulement de l’album fait des bonds entre flash-backs et dialogues introspectifs dans le cabinet du docteur Llull. Ce sont les rouages de l’enquête.
Le trait du dessinateur, moins lisse qu’à l’acccoutumée, évolue par rapport aux précédents albums : l’encrage est davantage organique.
Dans son style caractéristique, Jordi Lafebre revisite le polar dans une enquête décalée certes, mais qui ne s’écarte pas des canons du genre.
(par Kelian NGUYEN)
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Je suis leur silence - Par Jordi Lefebre - Ed. Dargaud
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