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Jean-Christophe Lambrois : « Évasion et émotions sont les deux facettes de la nouvelle maison d’édition Kamiti »

Par Charles-Louis Detournay le 16 janvier 2020                      Lien  
Petite structure née en 2018, Kamiti brasse des genres assez différents : SF, historique, Japon médiéval, etc. Une maison d'édition qui émerge au milieu d'une période pas évidente pour les nouveaux venus. De quoi nous donner envie de rencontrer son fondateur !

Comment vous est venue l’envie de vous lancer dans la bande dessinée ?

Jean-Christophe Lambrois : « Évasion et émotions sont les deux facettes de la nouvelle maison d'édition Kamiti »
Red Sun T1, le premier album de Kamiti.

Depuis tout petit, je suis un fan de BD et surtout je dessinais en permanence. Mes premiers souvenirs sont liés aux aventures de Tintin : Le Trésor de Rackham le Rouge, Objectif Lune et On a marché sur la Lune. Dans la foulée du reporter, j’ai créé mon propre héros, Michel, dont la houppette s’était déplacée sur le menton, en bouc. Je l’ai envoyé au Brésil, en Amazonie, traversant le monde au gré des différents récits que je composais, dessinais puis agrafais...

Vous auriez pu devenir dessinateur à la place d’éditeur !

Sans doute, car je passais vraiment mon temps à dessiner. Jusqu’à mon adolescence, où cette envie de noircir le papier a progressivement laissé la place à d’autres activités, même si je restais un lecteur assidu de bande dessinée et de comics Marvel.

Il y a quelques années, je me suis dit que je pouvais transformer cette passion en défi positif. Ayant arrêté de dessiner pendant une trentaine d’années, je ne pouvais reprendre l’illustration. Notez bien : pour mon seul plaisir, j’ai essayé deux-trois heures par jour pendant une période. Mais le résultat n’était même plus à la hauteur de ce que je réalisais auparavant. Il n’y avait donc plus aucun espoir de son côté-là (rires). Mais je me suis alors rendu compte que ce que je voulais avant tout, c’était raconter des histoires. Et si je ne pouvais pas le faire en dessinant, cela restait indirectement possible en devenant éditeur.

Cette envie de raconter des histoires demeure plus que louable, mais votre entreprise paraît tout de même assez folle, dans un marché déjà bien encombré ?!

Effectivement, mais cela dépassait le stade de la décision impulsive car j’ai réfléchi trois années avant de me lancer. J’ai surtout étudié le marché avant de de réaliser mon business plan. Le rapport annuel de l’ACBD, malheureusement arrêté depuis, s’est révélé une incroyable source d’informations. Puis j’ai rassemblé toutes les informations que le milieu connaît bien : la difficulté progressive des auteurs, le diminution des séries qui peuvent prétendre à un gros tirage, etc. Par exemple la série Universal War One, qui atteignait 150.000 exemplaires vendus sur la première saison, ne tire plus qu’à cinquante mille sur la seconde.

Le premier tome de la sérieBref, la tendance du marché n’était pas excellente… Mais à force de trop réfléchir, on ne fait jamais rien. Donc, même si certains signaux étaient rouges, je me suis lancé dans l’aventure car la bande dessinée reste vraiment une passion à mes yeux.

Comment vous êtes-vous lancés ? En contactant des auteurs ?

Avec le recul, c’est ce que j’aurais dû faire, car des auteurs cherchent toujours des lieux où placer des récits. Mais comme j’étais timide, je me suis contenté de placer un post sur un forum en expliquant que je créais ma structure, et que j’étais à la recherche de projets. J’ai reçu une trentaine de réponses. Certaines étaient pleines de bonne volonté, mais pas toujours suffisamment qualitatives. Mais il y avait également quelques pépites comme Aeka que j’ai publié car le pitch était d’emblée percutant et que les planches étaient très belles.

Aeka T1 - Par Erkol, Simon & Cosentino - Kamiti

Peut-être pourriez-vous expliquer quelles sont vos références, pour que les lecteurs (et les auteurs) puissent mieux cerner ce que vous éditez ?

J’étais avant tout un lecteur de franco-belge très classique : Tintin, Blake & Mortimer, Buck Danny, etc. Puis, je suis arrivé sur la nouvelle vague populaire française : Lanfeust par exemple, et plus globalement ce qu’ont édité Delcourt et Soleil.

Restez-vous attaché au 48 pages classique ?

La question dépasse la pagination. Depuis une dizaine d’années, je suis un gros consommateur de bande dessinée : une demi-douzaine par semaine. Parfois, lorsque la narration devient essentiellement graphique, je ressens un goût de trop peu. Je trouve qu’il ne faut pas négliger le texte, car il ralentit le temps de lecture et enrichit aussi l’histoire. Je trouve que nous sommes parvenus à un top graphique en matière de bande dessinée, mais parfois le 46 planches devient trop restreint pour accueillir le type de narration vers lequel nous avons évolué. Or pour moi, un bon album doit représenter 45 à 50 minutes de lecture, alors qu’on se situe plus vers 20-25 minutes actuellement. On se retrouve donc avec un échantillon de l’univers sans avoir complètement profité de ses capacités. J’aimerais donc proposer au lecteur une immersion plus complète. La pagination est à jauger en fonction du rythme du récit.

En avant-première : deux pages de "Red Sun" 2, qui a recueilli plus de 300% pour sa campagne Ulele.
Red Sun T2 - par Louis & Alessandra De Bernardis - Kamiti

Vous avez donc publié assez rapidement une demi-douzaine de titres : une stratégie pour émerger ?

Oui, on m’a conseillé de ne pas trop tarder avant de créer mon propre catalogue, ce qui me paraît assez légitime lorsqu’on cherche à être présent en festivals. Car ce type d’événement représente un coût, et bénéficier de plusieurs titres permet de mieux amortir les frais tout en offrant de la visibilité à l’ensemble des auteurs. À l’avenir, je voudrais me maintenir à quatre albums qualitatifs par an dans un futur proche, ce qui peut paraître ridicule face aux grandes structures, mais qui reste un beau challenge pour une maison émergente comme la mienne.

D’autres structures, considérées comme de grandes maisons d’éditions telles Le Lombard ou Rue de Sèvres, ont également le désir de rester mesurés dans leur publication. Vous ne nagez donc pas à contre-courant.

Si tout fonctionne comme je le désire à long terme, je ne veux pas non plus dépasser une quinzaine de titres par an, car je désire maintenir un contact avec mes auteurs et travailler la promotion de chaque album. Je ne sais pas comment font certains éditeurs pour publier plusieurs centaines d’albums par an, mais pour ma part, je désire réaliser de la bande dessinée à taille humaine.

En analysant votre catalogue actuel, on se rend compte que vous désirez avant tout procurer de l’évasion et de l’aventure au lecteur, sans pour autant vous contenter d’un seul créneau, car vous brassez l’historique réaliste, le Japon médiéval, la science-fiction et j’en passe…

L’imaginaire représente pour moi 80% de ce que je désire publier. Je veux proposer des univers innovants, où l’on transporte le lecteur dans des mondes imaginaires pas forcément réalisés auparavant. Si un jour, je fais de l’Heroïc Fantasy, il n’y aura sans doute pas d’elfes, par exemple.

En disant cela, vous semblez exclure l’Heroïc Fantasy. Qu’est-ce qui vous rebute dans ce style de récit ?

La magie y est souvent omniprésente, des ressorts narratifs peut-être un peu faciles pour le scientifique que je suis. Réaliser des séries sur les elfes et les nains, certains le font très bien, pourquoi tenter de reproduire ce schéma ? Je ne pense pas que j’apporterais l’innovation qui me tient à cœur. En revanche, je suis en train de travailler sur un projet de Fantasy dont le bestiaire et le ton sont très différents de l’Heroïc Fantasy comme on peut la connaître. Voilà ce qui m’attire.

Hot Space T1 - par Le Pixx et Daviet - Kamiti

Concernant les 20% en dehors de l’imaginaire, j’imagine que le roman graphique The Bridge représente bien ce que vous voulez réaliser ?

Oui, je suis intéressé par les récits authentiques, forts d’une véritable empreinte graphique et qui génèrent de l’émotion pour le lecteur. Nous avons ainsi un autre projet qui met en scène la vie d’Emmet Dalton, l’un des frères Dalton qui a été shérif et a été représentant de commerce avant de jouer au cinéma. Des destins particuliers, des récits émouvants, voilà ce qui m’intéresse. Évasion et émotions sont les deux facettes de Kamiti. Ce qui se fait donc avec un tiers de roman graphique et deux tiers d’un format franco-belge traditionnel.

Dès lors, quel est votre message aux auteurs ?

Je suis avant tout intéressé par des univers qui sortent de la norme. S’ils détiennent donc des univers innovants ou un nouvel angle pour se différencier, qu’ils n’hésitent pas à me contacter.

Vous avez proposé plus récemment des projets en financement participatif : qu’est-ce qui vous mène à ce mode de financement ?

Ce n’est pas une question d’attirance à proprement parler, mais une nécessité vitale (rires) ! Bien qu’ayant obtenu des chiffres de ventes honorables sur mes premières publications, toutes mes ventes ont été à perte. Il m’a fallu dépenser 3 euros pour en gagner 1 seul. Je ne connais pas une seule entreprise qui peut vivre de la sorte. Le crowdfunding permet donc de se rapprocher du point d’équilibre, et me donne une petite avance de trésorerie.

Auparavant, avec les avances sur droit, il fallait financer le livre pendant 18 mois avant de recevoir les sommes correspondants au placement en librairie. Le crowdfunding permet de renverser la tendance.

Il me permet aussi de communiquer autour du livre. Pendant les 6 à 7 semaines que dure une campagne, nous communiquons chaque jour sur le livre, ce qui lui donne une belle visibilité.

Enfin, le dernier avantage du crowdfunding, et non des moindres, est celui de créer un contact direct entre les lecteurs et la maison d’édition, ce qui est riche d’enseignements ! Je profite d’ailleurs de cette question, si vous m’y autorisez, pour faire un peu de publicité et pour signaler que nous avons actuellement le 2e volume d’Hot Space en financement participatif sur Ulule.

Quels seront vos prochaines parutions ?

Il y aura tout d’abord Red Sun 2 qui a connu un beau succès grâce à sa campagne sur Ulule et qui sortira le 24 avril, ce qui va clôturer ce diptyque de science-fiction. La parution suivante sera 300 grammes de Damien Marie et Karl Tollet, qui ont publié quantité de BD ensemble chez les plus grands éditeurs, dont la fameuse Cuisine du Diable. 300 grammes sera un one-shot de 136 pages, noir et blanc, qui se déroule au XVIIe siècle et revisite le mythe du Hollandais volant. J’espère vivement qu’il trouvera son public !

Et la suite sera pour 2021 avec trois ou quatre sorties prévues, mais c’est un peu tôt encore pour en parler.

En Avant-première : deux pages de "300 grammes" par Damien Marie & Karl Tollet - Kamiti

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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A propos de Kamiti, lire également The Bridge – Par Peter J. Tomasi & Sara Duvall – Éditions Kamiti

Visiter la campagne de financement de Hot Space 2 sur Ulele

Tous les visuels sont : Kamiti, tous droits réservés.

 
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