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Jean-Yves Mollier (historien de l’édition) : « La dédicace, si elle peut générer des revenus annexes, elle n’est pas négligeable… »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 juillet 2019                      Lien  
Jean-Yves Mollier est historien, professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialisé dans l'histoire de l'édition, du livre et de la lecture. On lui doit des ouvrages de référence majeurs sur l’histoire de l’édition comme « L'argent et les Lettres : histoire du capitalisme d'édition (1880-1920) » (Ed. Fayard), « Louis Hachette : le fondateur d'un empire » (Ed. Fayard), « Où va le livre ? (Ed. La Dispute) et « Edition, Presse et Pouvoir en France au XXe siècle » (Ed. Fayard). Nous l’avons interrogé sur la situation actuelle des auteurs de bande dessinée.

Ces dernières années, l’accent a été mis par les associations d’auteurs de bande dessinée sur la paupérisation de leur métier. C’est une préoccupation qui rejoint celle les auteurs jeunesse et de littérature également ?

Absolument, ce sentiment de paupérisation qu’éprouvent les auteurs de bande dessinée rejoint complètement le même sentiment qu’éprouvent les auteurs de littérature jeunesse et une bonne partie des écrivains, quels que soient leurs domaines de spécialité. Pour plusieurs raisons. La première c’est que, s’il est vrai qu’en théorie le droit d’auteur se situe plutôt autour de 10 %, on est là en réalité dans le domaine le plus vague puisqu’ on assiste depuis un certain nombre d’années à une baisse régulière du droit de l’auteur réel. Si l’on oublie les auteurs de grande notoriété qui, eux, dépassent les 10 %, on est plutôt autour de 6 % et c’est encore pire pour la littérature jeunesse.

Par ailleurs, en BD comme en littérature jeunesse, souvent les droits sont partagés, il n’y a pas un seul auteur, mais plusieurs, auquel cas le pourcentage est souvent divisé par deux. En BD, c’est très sensible, car l’un dessine et l’autre scénarise. Les droits d’auteurs sont donc un sujet extrêmement sensible. Par ailleurs, s’il est vrai que l’écrivain de littérature général bénéficie d’une notoriété suffisamment grande, même lorsque son nom n’est pas très connu, on considère que c’est un écrivain au sens noble. Par conséquent, l’éditeur lui porte une attention et une bienveillance qui est nettement plus grande que dans les domaines où la consécration du public a été plus longue à intervenir.

Il y a quand même des changements. Les littératures de bande dessinée et de jeunesse font partie incontestablement de la littérature. De ce point de vue-là, la reconnaissance du public est plus grande. Mais ces types de littérature ont souvent un train de retard et comme ils sont eux-mêmes soumis à des concurrences extrêmement vives, alors évidemment, les éditeurs serrent leurs budgets là où ils le peuvent, notamment au niveau le plus élastique, c’est-à-dire celui du droit de l’auteur. En jouant sur les premiers droits négociés, en jouant sur un certain nombre de droits annexes, les éditeurs tentent de maintenir leurs revenus à un niveau un peu plus élevé. Les auteurs y trouvent un véritable sentiment de frustration, voire de vol.

Est-ce qu’au XIXe siècle, à comparaison égale, des auteurs comme Jules Verne ou des auteurs connus du début XXe siècle étaient mieux payés ?

Pour répondre, il faut envisager plusieurs cas. D’abord il faut se souvenir que le droit d’auteur a considérablement évolué depuis sa reconnaissance à la veille de la Révolution française. En 1777, avec la fondation de la première société d’auteurs par Beaumarchais, les choses avaient commencé à bouger. Puis avec la Révolution, les écrivains obtiennent la propriété littéraire de leur œuvre jusqu’à leur mort, puis 10, 50 ans au-delà de celle-ci, jusqu’à 70 ans aujourd’hui. Mais à côté de cela, il y a un certain nombre de droits qui sont perdus. À l’époque de Jules Verne par exemple, lorsque l’écrivain apporte un manuscrit, on lui paie ce qu’on lui doit sur l’intégralité du premier tirage. Par exemple, si un roman de Jules Verne est tiré immédiatement à 5 000 exemplaires et qu’il perçoit des droits, on ne va pas attendre que les ouvrages soient réellement vendus ou six mois, un an voire 18 mois après la sortie du livre, pour lui verser de l’argent. On lui accorde immédiatement ses droits.

Jean-Yves Mollier (historien de l'édition) : « La dédicace, si elle peut générer des revenus annexes, elle n'est pas négligeable… »
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais par Zéphirin Belliard. Grâce à lui, l’Assemblée Constituante ratifia dès le 13 janvier 1791 la reconnaissance légale du droit d’auteur, première loi édictée dans le monde pour protéger les auteurs et leurs droits.
DR

Après la Première Guerre mondiale, ce système périclite. Avant 1957 et la première grande loi sur la propriété littéraire, chose absolument abominable pour l’écrivain, on pouvait acheter à forfait son manuscrit, ce qui est formellement interdit depuis la loi de 1957. L’auteur est intéressé aux ventes par un droit proportionnel.

Quand l’éditeur Michel Levy accepte le manuscrit de Gustave Flaubert, qui est alors un inconnu, il lui propose un forfait immédiat de 800 francs pour cinq ans pour un tirage de 6000 exemplaires. L’éditeur en vendit 25 000 exemplaires et lui offrit une prime supplémentaire de 500 francs.

Flaubert avait perçu auparavant des droits sur le feuilleton dans le journal, non ?

Alors, non ! Flaubert en avait accordé gratuitement la prépublication à La Revue de Paris, il avait négocié directement avec Maxime Du Camp et ses amis. Donc, dans ce cas de figure, non. Mais ce qu’il faut comprendre c’est, qu’à l’époque, dès que l’écrivain avait une notoriété, ce qui est le cas de Flaubert après Madame Bovary et ses 25 000 exemplaires vendus, il y avait une contrepartie. Il va de soi que pour le roman suivant, Salammbô, cela avait été une autre affaire : Michel Levy lui a donné une grosse somme : 10 000 francs pour une durée de dix ans, toujours au forfait, parce que Flaubert préférait recevoir une grosse somme tout de suite.

Gustave Flaubert et George Sand.
Photos : DR

Les plus gros tirages avaient une capacité à être renégociés au terme de leurs contrats. Je pense à Ernest Renan avec La Vie de Jésus qui n’est pas un roman mais s’est vendu comme des petits pains ou Pierre Loti qui obtiendra jusqu’à 15% de droits car sa notoriété était très grande.

Le système du XIXe et de la première moitié du XXe avait beaucoup d’inconvénients, notamment cette fameuse vente à forfait, mais il avait l’avantage de payer immédiatement ses écrivains. Depuis 1957, c’est un peu remplacé par le système de l’à-valoir, puisque l’à-valoir n’est jamais remboursable donc en effet, l’auteur qu’il soit de bande dessinée ou d’un essai ne le remboursera jamais. Mais on sait bien que les à-valoir sont rarement très élevés…

Ils sont indexés sur les ventes espérées, en fait…

Oui, enfin, je dirais : même pas, c’est vraiment de la négociation au cas par cas. Chaque éditeur, chaque directeur de collection a une marge plus ou moins grande et essaie d’obtenir le maximum d’avantages. Pour moi qui suis historien et qui ai lu des milliers de contrats, on voit bien d’ailleurs qu’il y a des écrivains qui savent négocier et obtenir le maximum de ce qu’ils peuvent et d’autres qui ne le savent absolument pas. C’est très clair.

On a l’exemple de George Sand et de Flaubert. Le nec plus ultra, c’est George Sand. Flaubert en est tellement conscient qu’il lui a demandé de négocier à sa place car il se sait incapable en la matière « - Je vais me mettre en colère, je n’aurai pas les bons arguments… » disait-il. George Sand était une femme de caractère, très mesurée, qui connaissait les auteurs et respectait Michel Levy, dont elle est d’ailleurs devenue une amie.

Ma quasi-certitude, c’est qu’au XXe comme au XIXe, les écrivains ne sont pas égaux dans la négociation. Certains sont capables de bien négocier parce qu’ils ont conscience que parler d’argent n’est pas indécent, que cela permet à l’écrivain de se consacrer pleinement à sa tâche. En 1872, Émile Zola renégocie avec Georges Charpentier pour cinq ans et puis, au bout de cinq ans, comme il a eu beaucoup de succès, il écrit à son éditeur avant de partir en croisière : « - Je ne voudrais pas me noyer avant de renégocier ce contrat en pensant à ma veuve et à mes héritiers…  » Il obtient immédiatement la renégociation à la hausse de ses droits d’auteurs !

Émile Zola (au centre), avec son éditeur Georges Charpentier (à g.) et le graveur Fernand Desmoulin (à dr.).
Photo : Victor Billaud (attribuée à). DR.

Peyo, l’auteur des Schtroumpfs, disait : « La différence entre mes collègues et moi, c’est que moi je lis les contrats avant de de les signer… »

Bien sûr, mais aujourd’hui les contrats sont très longs et écrits en petites lettres. Leur lecture prend un temps infini que l’on n’a pas toujours. On ne se rend pas forcément compte que derrière une certaine ligne ambigüe se cache quelque chose de très délicat.

On a beaucoup critiqué Victor Hugo parce qu’il avait mis aux enchères Les Misérables. Louis Hachette lui proposa 150 000 francs, ce qui était une somme considérable pour l’époque. Mais l’éditeur belge Albert Lacroix reçut un prêt de la banque Oppenheim, la plus riche de Bruxelles, et obtint de lui proposer 240 000 francs : 125 000 à la remise de la première partie du manuscrit, 60 000 deux mois après la sortie de la première partie et 55 000 deux mois après la publication de la seconde partie, ceci pour 12 années ! Hugo a conscience que plus le montant est élevé, plus l’éditeur devra se bouger pour rentrer dans ses frais. C’est ce que fait Lacroix, qui ne se contente pas de vendre Les Misérables que dans les pays francophones, il va vendre les droits dans 10, 15 ou 20 langues…

Publicité pour "Les Misérables" par Jules Chéret.

Évidemment tout dépend de la focale, on peut traiter ces écrivains de mesquins ou d’intéressés, mais si un écrivain n’est pas capable d’avoir cette conscience, il vit mal.

Des arguments sont avancés par les éditeurs au sujet d’une surproduction, est-ce que vous avez l’impression qu’aujourd’hui l’industrie du livre est en surchauffe ?

Oui. Il suffit de prendre en effet le chiffre des nouvelles parutions chaque année, on est passé d’un peu moins de 50 000 nouveautés par an à environ 75 000 aujourd’hui, alors que la population française n’a quasiment pas bougé. Donc, en effet, il y a surproduction. Mais à qui la faute ? Au fait qu’il y a davantage d’auteurs ? Le niveau d’éducation mondiale augmentant, il paraît naturel que de nouvelles personnes souhaitent écrire. D’ailleurs, il y a énormément d’autoédition. Ce système, qui a toujours existé, s’est considérablement développé avec l’Internet. Aujourd’hui presque 90 % de la production, c’est de l’autoédition. Évidemment, cela ne se vend pas : 90% des livres publiés n’ont pas cent acheteurs ! Donc, les 450 millions de livres qui se vendent chaque année, ne constituent pas la majorité des publications.

Ce n’est pas vrai, je pense, dans le domaine de la bande dessinée, car l’investissement y est beaucoup plus grand en comparaison d’un roman de 150/200 pages, pour lequel finalement, on n’a besoin que d’un ordinateur. Il n’y a même pas de sortie imprimante à faire : on envoie un fichier PDF à l’éditeur.

Il faut l’écrire, quand même, le livre…

Bien sûr, mais permettez-moi de vous dire que l’écrivain n’écrit jamais le livre, il n’écrit que des textes. Ce qui fait le livre, c’est précisément le concours d’un éditeur au sens collectif du terme, compétent pour former un livre à partir du texte de l’auteur. Et pourquoi l’autoproduction se vend si mal ? Tout simplement parce qu’elle croit qu’elle aboutit à des livres. Or non, elle aboutit à des textes mal fignolés, mal finis, mal mis en forme... L’écrivain qui refuserait que l’on fasse ce travail en raison de son génie se trompe : son ouvrage ne sera pas fini.

Pour revenir à la question que vous posiez précédemment, y a-t-il surchauffe ? Les éditeurs ont leur part de responsabilité dans cette affaire parce que, dans le domaine de la bande dessinée comme dans celui de l’automobile, ils tentent d’assécher le marché. Comment fait-on pour accaparer le marché ? On multiplie les produits pour que la concurrence n’ose plus se lancer sur un marché qui apparaît déjà comme saturé. Il y a une partie de bluff et de coup de poker mais cela fonctionne tout de même assez bien.

Vous croyez vraiment que c’est là la volonté des éditeurs ?

D’une partie des éditeurs. Par exemple, en début d’année, lors de la rentrée littéraire, les éditeurs se sentent obligés d’investir dans des dizaines, parfois des centaines, de nouveaux romans parce qu’ils ne veulent pas courir le risque qu’un concurrent édite le livre qui aura du succès. En bande dessinée, comme dans le livre d’art, on est quand même dans un cas particulier où l’investissement est suffisamment dissuasif pour éviter que les éditeurs prennent de trop gros risques. Il y a un domaine où se problème ne se pose pas, c’est celui du manuel scolaire qui coûte tellement cher à éditer qu’en effet, il ne va pas y avoir de volonté de saturation du marché de la part des éditeurs, car l’investissement serait hors proportion. Dans les domaines où cette tactique reste faisable, la tentation est grande et ils le font.

Dans cette revendication sur les droits, c’est un peu ça toute l’ambiguïté de la chose, on a d’une part des auteurs qui se réclament comme un ensemble : ils vont parler de la paupérisation des auteurs, et en même temps, la demande d’être correctement payé va vers les gros éditeurs qui peuvent se le permettre tandis que les petites maisons, qui sont nombreuses, ne peuvent pas suivre...

C’est un problème qui est quasiment identique depuis deux siècles, et cela nous ramène à Jules Verne. Pierre-Jules Hetzel, son éditeur, n’avait pas beaucoup d’argent, pas beaucoup de capital. Sa maison était solide, mais il devait faire appel sans arrêt à des capitalistes pour investir et aider à avoir une trésorerie saine et, du coup, il ne pouvait pas offrir des droits d’auteurs importants. Il était conscient de courir le risque permanent de perdre des auteurs. Il était conscient que Les Misérables pouvaient renflouer sa trésorerie pour vingt ans et en a terriblement voulu à Victor Hugo. Même chose pour Georges Sand qui est parti de chez Hetzel. Ce dernier n’est même pas allé à son enterrement alors qu’ils étaient extrêmement amis.

Évidemment, aujourd’hui avec le phénomène de la « bestsellerisation », l’équivalent des blockbusters dans le cinéma, ce sont les gros titres qui vont avoir de 500 000 à 1 000 000 d’acheteurs et là, ça nous ramène à Astérix avec des tirages à 5 ou 6 millions d’exemplaires dès le départ. Mais même avec Astérix, le domaine de la bande dessinée ne vend pas un album de plus dans l’année. Simplement, il y a augmentation du tirage pour ceux qui sont en tête et, de l’autre côté du spectre, il y a une réduction du nombre d’exemplaires vendus par éditeur.

Il y a un phénomène très marquant dans la bande dessinée, c’est que le nombre de films adaptés d’une BD. Le cinéma est une industrie qui fait six fois le chiffre d’affaires de l’édition, mais que la BD influence grandement cependant.

Tout à fait, la capacité à générer des droits dérivés est infiniment plus grande qu’en littérature. C’est sûr que les films tirés de Tintin, d’Astérix, et puis maintenant la multiplication sur bien d’autres supports, sur Internet par exemple, permet effectivement à la BD de trouver des débouchés beaucoup plus importants que pour un roman ordinaire. Dès qu’une bande dessinée arrive à un certain stade commercial stable, les producteurs se disent que si on pouvait l’adapter, ce serait une bonne affaire. Donc, en effet, même si l’achat papier n’est pas nécessairement colossal, les retombées économiques sont importantes.

Le prochain album d’Astérix : un best-seller assuré.
© Éditions Albert-René.

Les auteurs en sont, en ce moment, à réclamer d’être payés pour les séances de dédicaces en festival…

C’est une revendication qui est portée par l’association de la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse et d’ailleurs qui a abouti, car dorénavant, la règle, c’est qu’un auteur, quel que soit son domaine, BD ou non, soit en effet rémunéré chaque fois qu’il intervient dans une séance publique, qu’il s’agisse de dédicaces ou de prise de parole ou d’intervention sous quelque forme que ce soit. Ça a tendance à se généraliser.

Jacques Glénat dit qu’il n’est pas normal que la dédicace soit payante.

Pour ma part, je dois dire que je serais assez d’accord avec lui si les conditions, et cela nous ramène au début de notre entretien, de vie des auteurs s’étaient améliorées. Mais puisqu’on parle effectivement de beaucoup d’auteurs qui ont le sentiment d’être paupérisés, on comprend bien qu’ils ont besoin de revenus annexes. Par conséquent la dédicace, si elle peut engendrer et générer des revenus annexes, elle n’est pas négligeable. Il faudrait plutôt un code de bonne conduite. En ce qui me concerne, comme universitaire et historien qui ne tire pas l’essentiel de mes revenus de ce que j’écris, cela ne me choque pas que l’on ne me rémunère pas lorsque je vais dédicacer mes publications. Mais, je le répète, mon cas de figure est tout à fait particulier. En revanche, si je devais vivre de ma plume, je pense que je serais comme les auteurs de bande dessinée et je demanderais que chaque intervention publique soit effectivement rétribuée.

Le hashtag #payetonauteur est devenu un site de ralliement pour les auteurs [https://www.payetonauteur.com/]

Est-ce qu’on ne va pas assister à un clivage entre les auteurs qui ont des revendications et les autres, face à des organisateurs de salons du livre qui n’inviteront pas les auteurs qui veulent se faire payer ?

Oui, c’est le risque. C’est le problème de la négociation dans le monde du travail, indépendamment du secteur de l’édition : dès que vous codifiez, sous la forme d’une règle, cela rigidifie la relation. Par conséquent, en effet, le système devient profitable à certains et au contraire, néfaste pour d’autres.

Est-ce que vous croyez qu’à l’avenir les auteurs devraient travailler, comme cela se fait aux États-Unis, avec des agents ?

Le système des agents n’a jamais pris en France. Je ne suis ni favorable, ni défavorable à cela. Cela nous ramène en 1858 chez George Sand qui envoie son agent littéraire, Émile Aucante, qui va fonder à Paris, j’imagine à l’imitation des Anglais, l’Agence générale de la littérature. Elle va fonctionner un an et demi et puis va fermer ses portes par manque de trésorerie. Il ne pouvait pas avancer à ses auteurs de quoi vivre... Toutes les grandes tentatives entre le XIXe siècle et la Deuxième Guerre mondiale se sont soldées par des échecs.

Les auteurs n’ont pas par ailleurs de syndicats comme FO ou la CGT. Il y a certes les sociétés d’auteurs, mais ce ne sont pas des véritables syndicats. Un syndicat aurait permis aux auteurs de mieux négocier car il aurait pu intervenir lors de la négociation avec les éditeurs et pousser en faveur de l’auteur. Ces sociétés essaient toujours d’obtenir à l’amiable le maximum pour les auteurs, mais elles ne vont jamais jusqu’à la rupture des négociations, elles ne vont jamais jusqu’au clash.

Les auteurs de bande dessinée ont un syndicat qui s’appelle le SNAC BD. Il y a un certain nombre de revendications qui sont liées au statut fiscal ou à l’assurance-retraite… Est ce que vous avez l’impression que nos gouvernants ont une conscience de la réalité de ce qu’est un auteur de bande dessinée aujourd’hui ?

Là, ma réponse est catégoriquement : non. J’ai connu plusieurs ministres de la culture. Ils n’en ont pas conscience. Mon opinion est qu’ils n’en ont strictement rien à faire. Ils auront de la considération pour un grand nom de la littérature, bien moins pour un auteur de BD.

Jean-Yves Mollier
Photo : DR

Certains ministres de la culture ont joué un grand rôle : André Malraux, Jack Lang…

Jack Lang a fait un gros travail, incontestablement. La Loi Lang a permis le développement d’un réseau de librairies unique en son genre. Il avait à son cabinet d’authentiques professionnels issus de tous les domaines de la culture, de la littérature à la bande dessinée en passant par la musique et la peinture. Il a eu pour lui deux chances : il est resté près de dix ans au ministère de la culture et François Mitterrand avait doublé le budget de la culture, ce qui était sans précédent depuis la création de ce ministère en 1959. Ses successeurs n’ont pas cette chance, leur marge de manœuvre est faible, leur budget n’augmente pas et ils ont donc beaucoup de difficultés à intervenir dans tous les domaines.

2020 est pour le ministre Riester l’année de la bande dessinée, comment vous croyez que cette année devrait être présentée ?

Lorsque j’étais enfant, la bande dessinée, c’était l’interdit et l’on n’en trouvait pas dans les écoles et les bibliothèques municipales. Cela a volé en éclats aujourd’hui : dès que l’enfant est né on lui met des livres entre les mains et, à un an et demi, deux ans, on lui ouvre les premiers albums de bande dessinée.

Un auteur de bande dessinée est désormais considéré comme un grand écrivain, je pense à Goscinny, à Uderzo, et à plein d’autres qui sont aujourd’hui reconnus. Ces gens ont un capital social et culturel extrêmement important.

« 2020 l’année de la bande dessinée » ? Eh bien, il faut en profiter pour demander qu’il y ait des évènements marquants. Cela peut être des expositions, des manifestations, des concours, aller plus loin dans le fait de montrer l’envers du miroir. Cette année doit être un tremplin utile pour les auteurs pour qu’ils puissent vivre convenablement.

Propos recueillis par Didier Pasamonik et retranscrits par Thomas Figuères

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782213022239

 
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8 Messages :
  • Merci pour cet entretien. Il est toujours intéressant de remettre en perspective les questions du moment.

    Je précise cependant qu’il existe des syndicats d’auteurs et d’écrivains depuis longtemps, et pas seulement des sociétés d’auteurs comme les réponses de l’interviewé pourraient le laisser penser. Nommons, par exemple, le SNAC, le Syndicat national des auteurs et des compositeur, fondé en 1946, ou le SELF, Syndicat des écrivains de langue française, fondé en 1976, et même si ce n’est pas officiellement un syndicat, La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, association souvent revendicative, fondée en 1975.

    Pour la Bande Dessinée, depuis 2001 existe l’adaBD, Association des auteurs de Bande Dessinée, et depuis 2007, le groupement BD du SNAC. Enfin, mentionnons les États Généraux de la Bande Dessinée dont l’enquête sur 1500 auteurs et autrices de BD a révélé l’ampleur de leur précarisation économique. Une lecture toujours recommandée : http://www.etatsgenerauxbd.org/etat-des-lieux/enquete-auteurs/

    Enfin, depuis septembre 2018, dans la suite de la mobilisation #payetonauteur, La Charte, le SNAC et les États Généraux de la Bande Dessinée ont participé à la création de la Ligue des auteurs professionnels, qui mène aujourd’hui une importante activité militante, en particulier pour construire un véritable statut pour les auteurs et autrices : https://ligue.auteurs.pro/

    L’activité associative et syndicale des auteurs a donc été intense depuis 2014 (le RAAP). Elle a eu de nombreuses conséquences. Contrairement à ce qui est dit dans l’entretien, nous avons aujourd’hui un ministre de la Culture (et un ministère) qui a bien conscience de la réalité de ce qu’est un auteur de Bande Dessinée. Franck Riester déclarait au journal Le Monde, début juillet : « Les créateurs et les artistes ne doivent pas être dans une situation de précarité comme certains le sont aujourd’hui. Par exemple, les auteurs de BD sont souvent dans une situation sociale catastrophique, voire d’indignité pour certains. Ce n’est pas acceptable. » ( https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/07/04/franck-riester-mettre-les-artistes-au-c-ur-de-nos-preoccupations_5485244_3246.html )

    En tant qu’acteur actuel ou passé de la Ligue, des États Généraux, du SNAC BD et de l’adaBD, je me tiens à la disposition de Jean-Yves Mollier s’il veut se mettre à jour sur cette partie récente de l’histoire sociale des auteurs.

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  • Or non, [l’autoédition] aboutit à des textes mal fignolés, mal finis, mal mis en forme...

    C’est vrai que Proust c’était de la merde... et que dire de Rimbaud ou Verlaine, mal branlés leurs textes.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 juillet 2019 à  07:04 :

      Ça suffit l’inculture, Colonnier. Vous confondez autoédition et édition à compte d’auteur. Le branque, c’est vous.

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      • Répondu le 29 juillet 2019 à  13:32 :

        À ma connaissance il n’y a pas d’édition à compte d’auteur en bande dessinée, mais pas mal d’autoproduction, et pas que d’auteurs qui seraient refusés par les maisons d’éditions.

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      • Répondu par Alexandre Page le 31 juillet 2019 à  16:27 :

        Monsieur Mollier dit n’importe quoi dans son intervention, ce qui est assez triste pour quelqu’un de son importance.

        "90 pourcent" de la production". C’est faux. Même si tous les auto-édités ne passent pas par le dépôt légal, c’est tout de même majoritairement le cas (notamment car la plupart des plateformes genre bookelis ou librinova le font automatiquement), or l’année dernière la BnF a comptabilisé 17 pourcent de dépôt d’auto-édités sur l’ensemble des enregistrements.

        Donc monsieur Mollier imagine des chiffres.

        Ensuite, si l’auto-édité vend moins (ce qui est d’ailleurs à prouver vu que les chiffres qu’il avance sont très similaires pour la majeure partie des édités classiques) ce n’est pas une question de qualité. La vente oui, se détermine souvent sur la qualité, mais encore faut-il pour cela que le lecteur potentiel aille au moins jusqu’à lire le résumé, ce qui n’est pas évident sur le net (il faut une grosse force de frappe médiatique), et encore davantage en librairies (encore très réticentes) et ne parlons même pas des médias classiques.

        Sans compter que l’autoédition récupère beaucoup de genres dont ne veulent pas les éditeurs classiques car jugés pas assez vendeurs justement : nouvelles, poésies, littérature érotique... et de plus en plus de littérature grise (mémoires, thèses...).

        Je pourrais en dire encore long, mais cela suffit déjà. Monsieur Mollier connaît sans doute très bien le monde de l’édition, mais l’auto-édition semble lui échapper, et pour cause, il manque encore d’études sur le sujet.

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      • Répondu par Laurent Colonnier le 1er août 2019 à  00:56 :

        On cite Proust , Rimbaud et Verlaine et on se fait traiter d’inculte, on croit rêver...

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    • Répondu par rigaux le 29 juillet 2019 à  10:54 :

      Bien sûr
      Mais combien de Proust Verlaine Rimbaud pour la masse des autoéditions ?
      Si j’ai eu l’occasion de progresser vraiment c’est grâce au travail de mon éditrice (petite maison).
      Lorsque j’ai été approché par une très grosse cylindrée le travail fut réduit à peu de choses ce qui conforte la thèse de Mr mollier sur l’inondation du marché par les grosses maisons.
      Bien sûr après plusieurs livres il y a bcp de choses dont il n’y a plus besoin de discuter. Mais comme dans une psychanalyse le regard de l’autre avant publication est essentiel.
      Jm rigaux

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  • Quanb un auteur de BD/manga "amateur" à Japan Expo me dit que comme il commence doucement à être connu, des éditeurs l’approchent... Lui mentionne tout naturellement qu’ils prennent 50% ! Et l’auteur me détaille qu’à la fin sur un livre il récupérerait à peu près 2,50 euros... Alors que tout seul il peut quand même vendre à plus de 10 euros, ce qui lui permet aujourd’hui de tout juste vivre de son travail, impossible avec un éditeur.
    Ca m’a laissé perplexe et une pas très bonne image des éditeurs.

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