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Juan Giménez : "Je ne peux pas vraiment définir un style argentin de BD, parce qu’il y en a vraiment beaucoup trop."

Par Vincent SAVI le 22 octobre 2019                      Lien  
Auteur argentin légendaire ayant notamment officié avec Alejandro Jodorowsky sur "La Caste des Méta-Barons", Juan Giménez est l'un des maîtres incontestés de la science-fiction hyperréaliste. À l'occasion de l'exposition que lui consacre en ce moment la galerie Daniel Maghen jusqu'au 9 novembre 2019, nous avons pu poser quelques questions à cet artiste exceptionnel.

Juan Antonio Giménez López, c’est un destin. Né en Argentine le 16 novembre 1943 à Mendoza, il fait ses débuts en Argentine avant de faire carrière en Espagne. Publié en France au tournant des années 1980, il se fait remarquer avec la série Léo Roja (1988) puis Le Quatrième Pouvoir (1989) publiées chez Dargaud puis aux Humanoïdes Associés où il accède à la notoriété avec le spin-off La Caste des Méta-Barons scénarisé par Alejandro Jodorowsky entre 1992 et 2004. Ces dernières années, il a travaillé brièvement sur les séries Moi, Dragon (2010), La Dernière Vie (2010) avant de conclure la trilogie Segments avec Richard Malka (2011-2014). S’inscrivant dans la lignée de Moebius et de Bilal. Il est un des meilleurs dessinateurs de SF réalistes de sa génération. Rencontre.

Juan Giménez : "Je ne peux pas vraiment définir un style argentin de BD, parce qu'il y en a vraiment beaucoup trop."
Juan Giménez & Alejandro Jodorowsky - La Caste des Méta-Barons
© Humanoïdes Associés

Comment en êtes-vous venu à la BD ?

Au tout début, j’étais fan de cinéma, je connaissais moins la bande dessinée. Je l’ai découverte à travers des amis, dont l’un d’eux était le fils de Juan Manuel Fangio [NDLR : le célèbre pilote automobile argentin]. Autour des années 1950, il y avait beaucoup d’auteurs de bandes dessinées en Argentine, mais ils n’étaient pas Argentins. Comme Arturo del Castillo, qui était Chilien ou Alberto Breccia, qui venait d’Uruguay. Au niveau du style, ils étaient très influencés par ce qui se faisait dans les comic strips américains, le meilleur exemple est Alex Toth. C’est à travers cela que j’entre dans la bande dessinée.

Je commence alors à copier ce que faisait Francisco Solano López, lui-même très influencé par Paul Campani [NDLR. Dessinateur et figure du cinéma d’animation italien], qui s’inspire de Milton Caniff. Je commence donc à l’imiter à l’identique, j’ai appris son style, sa technique, mais aussi ses erreurs, et aujourd’hui je m’aperçois qu’il y a encore des choses que je n’ai jamais pu corriger. Les années ont passé et j’ai eu la chance de connaître presque tous les auteurs, dont Solano López.

La Caste des Méta-Barons
© Humanoïdes Associés / Dessin : Juan Giménez

Ensuite, il y a eu une résurgence de la BD de guerre, en petit format, avec un côté technique et des recherches très poussées. Il y avait des livres sur les tanks, sur les avions. J’ai alors fait la connaissance de Victor Hugo Arias qui travaillait pour les Anglais en faisant ce genre de BD.

© Humanoïdes Associés

Arias, avait un problème pour dessiner tout ce qui était mécanique. J’arrive alors dans son atelier, comme un fan. Après presque trois jours, il vient me voir et me demande si je peux l’aider pour tout ce qui est armes de poing, tanks, avions… C’est comme cela que j’apprends à faire de la bande dessinée.

Je reste plus ou moins en contact pendant six ans avec lui, puis il y a une sorte d’exode : beaucoup de dessinateurs espagnols ou italiens rentrent en Europe, à cause de la situation en Argentine qui n’était plus ce qu’elle était. Je fais ensuite des études techniques pour être opérateur sur des foreuses CNC. Tout ce que j’ai étudié, puis en travaillant sur des machines, tout cela m’a aidé ensuite dans mes dessins.

Je commence à travailler dans une agence de publicité, mais Arias revient d’Italie, et je retourne donc le voir avec cinq pages de bandes dessinée que j’avais réalisées, et il fait le trajet à Buenos Aires, pour aller chez Record, un gros éditeur argentin de BD qui publiait en Argentine et en Italie. Il trouve le directeur qui lui dit : « - On a pas écrit ce matin pour dire que vous étiez pris ? ». C’est comme cela que j’ai commencé à faire de la BD professionnellement.

Juan Giménez à la Galerie Daniel Maghen
Photo : Vincent Savi
© Glénat

Existe-il un style argentin de BD ?

Je ne peux pas vraiment définir un style argentin de BD, parce qu’il y en a vraiment beaucoup trop ! Mais c’est vrai que lorsque j’allais en Europe, j’ai souvent entendu « - Mais que se passe-t-il en Argentine pour que tout le monde dessine comme ça ? », je répondais alors « - Parce qu’on a des bons maitres ! »

Le marché argentin n’était pas proportionnel à la population du pays. Dans le milieu des artistes, il y avait une concurrence très forte, donc ils étaient tous très bons. On ne pouvait pas faire n’importe quoi. Certains avaient du succès ailleurs comme José Luis Salinas aux USA [NDLR. Il y dessinait la célèbre BD Cisco Kid], il fallait faire de la qualité. J’avais arrêté la bande dessinée à 16 ans, et lorsque j’ai repris 16 ans plus tard, à 32 ans, mon style était marqué, même si j’avais continué à dessiner.

Puis, en arrivent en Europe, je découvre Moebius et les bras m’en tombent, il fallait oublier tout ce que je faisais jusqu’ici. C’est aussi là que j’ai abandonné le noir et blanc pour travailler la couleur. J’ai essayé l’encre, l’acrylique, puis je suis tombé sur l’aquarelle, qui pour moi marchait le mieux.

Comment en êtes venu à travailler avec un galeriste parisien comme Daniel Maghen ?

Daniel, ça fait longtemps qu’il essaye de faire quelque chose avec moi. J’aime la BD et faire de la BD. Je m’assois, je fais de la BD ; je mange, je fais de la BD ; puis je vais dormir. Je n’ai pas le temps pour organiser une expo ou vendre mes planches, une qualité de Daniel Maghen est qu’il ne se renonce pas si facilement, donc il reste en contact. Ça fait deux ans que je produis moins, donc je me dis « OK, pourquoi pas... », et j’ai choisi Maghen simplement parce que ça fait 23 ans qu’il me demandait de travailler avec moi ! Partout où j’allais, à Angoulême, aux Humanos, il y avait Daniel Maghen qui apparaissait comme ça ! De toute façon, on voit bien que Daniel aime la bande dessinée, qu’il aime ce qu’il fait. C’est en parlant avec lui que je me suis aperçu que c’était un passionné, mais qu’il a aussi une vraie connaissance technique de la BD. Pour moi, il était important d’avoir comme interlocuteur quelqu’un qui ait de l’expérience, qui aime la BD et qui la connaisse bien, pas un simple commercial qui va faire beaucoup d’argent avec, alors qu’il n’a en rien à faire fondamentalement.

Sur quel projet êtes-vous en ce moment ?

Je dessine moins. Pourquoi ? Parce que je me suis cassé le bras et qu’il a fallu du temps pour la rééducation. J’ai des projets en cours, mais ce n’est pas encore finalisé donc je ne peux rien vous dire pour l’instant. J’essaye aussi de récupérer des droits chez des éditeurs avec qui je ne veux plus travailler. Mon dernier travail a été de conclure Segments avec Richard Malka.

Propos recueillis par Vincent Savi

Segments, dernier travail de l’auteur à ce jour.
© Glénat / Dessin : Juan Giménez
Juan Giménez & Alejandro Jodorowsky - Desssin pour le jeu de tarot tiré de La Caste des Méta-Barons
© Humanoïdes Associés

Voir en ligne : L’exposition sur le site de la Galerie Daniel Maghen

(par Vincent SAVI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition Juan Giménez - Du 15 octobre au 9 novembre 2019 - Galerie Daniel Maghen - 10h30 à 19h00 - 35 rue du louvre, 75001 Paris

 
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