Hiver à l’Opéra - Par Philippe Pelaez & Alexis Chabert - Ed. Grand Angle

Jusqu’où ira Philippe Pelaez ? Le prof d’anglais est en passe de rejoindre le cercle des scénaristes les plus féconds du moment. Loin de se cantonner à un genre, un style de narration ou une série, l’auteur de Un peu de tarte aux épinards (avec Javier Casado au dessin) ne cesse de nous entraîner dans des univers différents à chacune de ses nouvelles productions.

Repéré dès 2019 par Casterman avec cette comédie contemporaine portée par un humour décalé, il ne tarde pas à rejoindre l’écurie Bamboo/Grand Angle avec notamment ce qui reste un de ses meilleurs albums, Puisqu’il faut des hommes où il faisait preuve d’un regard original et sensible sur le difficile retour de la guerre d’Algérie. Bénéficiant du traitement graphique fluide et maîtrisé par L. Pinel, l’album sera remarqué par la justesse de son ton et sa profonde humanité.

Philippe Pelaez

Mais notre homme ne s’arrête pas là, n’hésitant pas à explorer des univers aussi différents que celui des tranchées de la guerre 1914-1918 (Pinard de guerre avec le dessinateur Porcel) que celui du western (Six avec Casado chez Dargaud) du moyen âge avec un diptyque médiéval au récit complexe (Le bossu de Montfaucon en compagnie d’Eric Stalner) ou encore du polar rural classique (L’Écluse, dessins de Gilles Aris) mais aussi une incursion dans le fantastique avec le flamboyant Furioso (avec Laval NG) pour le label Drakoo ou la science-fiction.

Tout récemment il nous proposait une plongée dans l’arrière-cour du rugby avec Comme des papillons en collaboration de Miras. Cette énumération est, bien évidemment, loin d’être exhaustive !

Encore un univers différent avec Air, autre nouveauté de cette rentrée pour Philippe Pelaez.

Notre surdoué du scénario envisage-t-il désormais comme Vivaldi de nous soumettre sa propre vision des quatre saisons ou s’agit-il d’une manière de « jouer » avec le lecteur à partir d’une mini-série policière originale et atypique ?
Après le très remarqué Automne en Baie de Somme, l’auteur remet le couvert en hiver mais à... l’Opéra ! On y retrouve bien évidemment l’inspecteur Amaury Broyan toujours aux prises avec ses démons personnels !

Cette fois, le flic est transporté ainsi que le lecteur, dans un univers proche du Fantôme à l’opéra de Gaston Leroux, non sans rappeler par certains aspects l’ambiance de Jack l’éventreur dans un Paris fin de siècle assez tourmenté.
Car derrière une triste histoire de vengeance, Pelaez nous dresse le portrait d’une époque pas si belle qu’on le dit souvent.

Face à une situation qui semble le dépasser et toujours obsédé par ses fantômes personnels, l’inspecteur Broyan évolue au sein d’une société avec pour toile de fond des nationalistes, la ligue des patriotes, des scientifiques fascinés par le spiritisme et les phénomènes d’hypnose et des sociétés secrètes aux intentions nébuleuses.

Ambiances impressionnistes dans le Paris fréquenté par Amaury Broyan.

Un environnement peu propice à la rationalité et la sérénité et une nouvelle occasion de semer encore un peu plus de trouble dans l’esprit de notre inspecteur, fortement perturbé et lui aussi à la recherche d’un éventuel contact avec sa fille assassinée.

Alexis Chabert

Alexis Chabert prend manifestement plaisir à restituer au moyen d’un trait à la fois fluide et puissant, le Paris de la "Belle époque". Le traitement graphique comme la mise en page bousculent le lecteur et produisent un rythme haletant tout en multipliant les références aux styles artistiques du moment comme celui de Mucha par exemple. La densité de l’intrigue et les références culturelles ne font toutefois pas obstacle à la clarté d’une intrigue captivante, riche en rebondissements et coups de théâtre qui se lit avec plaisir.

On attend de retrouver cet inspecteur perturbé mais attachant dans une prochaine saison !