Qui est Noémie Fachan ? Autrice et illustratrice à temps plein depuis 2021, Noémie Fachan a vécu huit ans au Japon avant de rentrer en France en 2018. Véritable Shivah, elle cumule les casquettes professionnelles en étant créatrice de contenu sur les réseaux sociaux et également intervenante en entreprise spécialisée sur les questions de sexisme ordinaire.
Son compte Instagram @maedusa_gorgon compte aujourd’hui plus de 110 000 abonnés. C’est là qu’elle développe depuis février 2021 ses réflexions sur l’égalité de genres, le sexisme et les violences virilistes, avec une touche d’humour, beaucoup de mordant, de l’inclusivité et toute une symbolique détournée qu’elle a élaborée autour du mythe de Méduse.
2023 est son année : après la parution de son premier album graphique solo, Maternités : miracles et malédictions , publié chez Hatier, le 23 août, son deuxième sort le 31 octobre 2023 chez Leduc Graphic. Intitulé L’Œil de la Gorgone, il propose une relecture féministe des figures mythologiques féminines classiques que nous connaissons.
Un graphique fouillé
Première chose à savoir sur cette BD : elle contient beaucoup de texte. En effet, pour chacune des 22 héroïnes mythologiques qu’elle revisite, Noémie/ Maedusa rappelle d’abord la lecture « classique » inculquée à tout le monde et donc fortement marquée de masculinité puisque tous les auteurs de l’Antiquité dont les écrits nous sont parvenus étaient des hommes. Maedusa démonte ce prisme masculin, souvent sexiste, qui joue beaucoup sur la compétition et la jalousie entre femmes.
Les mythes d’Héra, Athéna, Aphrodite, Cassandre, Médée, Eurydice, Arachné, Circé ou encore des Amazones sont ainsi réécrits et réinterprétés selon un angle féministe et adelphiste. La vision qui en découle est beaucoup plus apaisée car elle repose sur l’entraide et la solidarité entre déesses opprimées dans un monde de dieux surpuissants.
Les histoires des déesses ou figures mythiques donnent aussi l’occasion à l’autrice de faire un focus sur plusieurs sujets de société modernes comme la culture du viol, l’écoféminisme, la lesbophobie ou le déterminisme social. Chaque relecture se conclut par une transposition du personnage mythique dans notre société moderne associée à un message positif que tire l’autrice de sa réécriture.
Si cette approche est très intéressante et apporte une bouffée d’oxygène bienvenue dans une mythologie grecque plutôt encline à brimer les femmes, il est cependant dommage que la part de réalité scientifique ne soit pas davantage spécifiée. Noémie Fachan cite plusieurs sources à la fin de son ouvrage mais ne précise pas dans quelle mesure elle s’en est inspirée pour ses propres réécritures de mythe. En clair, il n’est pas possible de déterminer la part de fiction de la part de recherche historico-scientifique dans cet album, mais ce n’est pas forcément son objectif non plus.
Un album au dessin nuancé et inclusif
Côté dessin, le trait et les couleurs restent fidèles à ce que propose Noémie Fachan sur son compte Instagram : des teintes à la fois douces et tranchées (violet, vert d’eau, bleu lavande, turquoise, etc...) qui renforcent les nuances de son propos et des chevelures à écailles pour tous les personnages représentés qui font écho à celle de Méduse, l’alter ego de l’autrice.
On relèvera en particulier l’inclusivité des portraits, avec des silhouettes de toutes tailles et de toutes proportions et des peaux de toutes les couleurs et de tous les âges. Circé est ainsi dessinée avec une peau d’ébène du plus bel effet quand Callisto a un vitiligo et Psyché une physionomie asiatique. Une telle personnalisation des figures a pour effet de les désinvisibiliser une seconde fois : Maedusa remet en avant l’histoire de ces femmes (première désinvisibilisation) et les représente avec des traits qui leur sont propres et qui marquent l’esprit du lectorat (deuxième désinvisibilisation).
La surprise vient de Dynonisos, seule figure « masculine » représenté sous les traits d’un transgenre ressemblant fortement à Conchita Wurst, le personnage interprété par le chanteur et drag queen autrichien Tom Neuwirth qui a remporté l’Eurovision en 2014. Le dieu du vin et de la débauche est aussi la figure de l’altérité : il réunit tout ce qui fait désordre dans la société grecque (marginaux, fêtards, travestis, individus sexuellement libres, etc...). Ses attributs que sont le vin et l’ivresse induisent la désinhibition, la démesure et le lâcher-prise, autant d’éléments peu compatibles avec la rigidité de la société grecque antique mais qui font pourtant partie intégrante de la vie. Sa dualité de genre et de sexe est inscrite dans son histoire : il est né deux fois (une fois de sa mère Séléné, une fois de son père Zeus) et a eu deux amours (un garçon nommé Ampélos puis Ariane, abandonnée par Thésée). La relecture proposée par Maedusa en fait une figure adelphique exemplaire, incomprise de son époque d’où sa position de marginal dans le panthéon des dieux grecs que l’on comprend bien mieux avec ce prisme féministe.
Pour conclure, L’Œil de la Gorgone est un essai graphique de grande qualité, qui pose un regard différent et plus apaisé sur l’histoire et la représentation des principales figures mythologiques féminines. Ce nouveau regard a la particularité de parfois mieux expliquer certains pans de l’histoire de ces figures, même si la part d’interprétation venant de l’autrice n’est pas clairement définie.
(par Gaëlle BEDIS)
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