Lorsque Christian Kosar, nommé sous-préfet, arrive en Nouvelle-Calédonie en 1983, les tensions entre Kanaks et Caldoches sont très vives. Cette appellation des Kanaks englobe tous les autochtones mélanésiens de l’archipel, majoritaires dans la province du nord et les îles. De l’autre côté, le terme "Caldoches" désigne la population essentiellement d’origine européenne, installée en Nouvelle-Calédonie depuis une ou plusieurs générations, qu’il s’agisse des descendants des pionniers libres ou des bagnards (forçats ou condamnés politiques). Ils sont plus implantés dans le sud du "Caillou", comme est appelée l’île principale de la Nouvelle-Calédonie.
Ces tensions entre Kanaks et Caldoches culminent lors de la prise d’otages d’Ouvéa et sa sanglante répression en mai 1988. Michel Rocard, qui devient alors premier ministre, souhaite s’éloigner du précédent rapport de forces et forme une « Mission du dialogue » pour empêcher une guerre civile. Il va alors rechercher quelques spécialistes de la Nouvelle-Calédonie, qui n’ont pas été impliqués dans les tragiques derniers événements, ainsi que des personnalités civiles et religieuses. Leur objectif : ramener les différentes factions autour de la table des négociations, et en même temps, tourner une page de l’histoire coloniale française. Une mission qui semble impossible…
Combien d’entre nous se souviennent des révoltes, des prises d’otages, des heurts, pour ne pas dire des massacres qui ont eu lieu dans les années 1980 en Nouvelle-Calédonie ? Trop, certainement ! Cet ouvrage n’a pourtant pas pour seul objectif de raviver nos souvenirs, il s’intéresse surtout à cet art subtil de la négociation, ce moment où l’on est à deux doigts de la guerre civile, et où le premier ministre de l’époque réunit une équipe bigarrée, mais motivée, qui ne se connaît pas, mais croit profondément dans l’importance de cette mission. Tout tenter afin de ne pas revivre une nouvelle guerre d’Algérie.
Si le sujet s’avère donc passionnant, la première partie de cet ouvrage ne donne pourtant pas satisfaction. D’entrée de jeu, le lettrage gras interpelle, la lecture n’est pas évidente, même si l’on comprend qu’il y a effectivement beaucoup d’éléments à apporter au lecteur, et qu’il fallait trouver une police de caractère qui ne soit pas trop faible face au noir et blanc puissant et évocateur de Luca Casalanguida. Cette entame de lecture n’est pas non plus facilitée par le scénario. Le propos est intéressant, mais son traitement reste abrupt et certains faits sont d’ailleurs mentionnés avant d’être présentés, ce qui étonne de la part de l’expérimenté Makyo.
Nous ne pouvons pourtant que conseiller au lecteur de s’accrocher dans cette première partie, et d’arriver au contenu proprement dit, à savoir la mission de dialogue qui s’avère tout simplement passionnante. Le temps passé auparavant à présenter les protagonistes démontre alors son utilité, surtout lorsque deux des personnages principaux ont le même prénom (authentique). De plus, Jean-Édouard Grésy apporte toute son expertise dans le domaine de la médiation, pour restituer au mieux les discussions autour de ce conflit.
Tenir d’ailleurs 110 pages, centrées principalement sur cette thématique du dialogue, n’aurait pas été possible sans un très bon dessinateur capable de rendre au mieux la tension de ces échanges. Une mission relevée haut la main par Luca Casalanguida, qui profite du scénario et du découpage de Makyo et Grésy pour délivrer des cases pleines de détails et d’expression, un formidable appui graphique qui confère toute sa force à l’ouvrage.
Le dossier final, signé par deux experts en la matière, revient sur l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie, et plus précisément sur les faits repris dans l’ouvrage. Il permet d’ajouter quelques éléments complémentaires, et surtout de rappeler l’évolution de la situation politique. Rappelant entre autres que le prochain référendum sur l’indépendance de l’ancienne colonie française se déroulera le 12 décembre 2021.
La lecture de cet ouvrage permet non seulement de mieux comprendre le vécu des habitants de la Nouvelle-Calédonie, mais surtout de mieux appréhender l’importance du référendum qui aura lieu sous peu. Un ouvrage majeur sur cette thématique !
(par Charles-Louis Detournay)
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La Solution pacifique : L’Art de la paix en Nouvelle-Calédonie. Par Makyo, Grésy (scénario) et Casalanguida (dessin). Delcourt. Sortie le 18 août 2021. 20,30 x 26,30 cm. 120 pages couleur. 17,50 €.
Tous les visuels sont : ©Éditions Delcourt, 2021 — Casalanguida, Makyo, Grésy.