Il y a un monde entre la diaspora européenne dite « ashkénaze » (d’un mot hébreu qui signifie littéralement : allemand) et celle dite « sépharade » (d’un mot hébreu signifiant : espagnol). Différences de mentalité et même de rites : ainsi, jusqu’au milieu du 20ème siècle, certains juifs maghrébins étaient encore polygames, alors que le rite ashkénaze l’interdisait rigoureusement. Mais les deux communautés sont rattachées par un fond commun, le judaïsme, et une tradition qui veut qu’elles se soumettent l’une et l’autre à l’autorité d’Israël.
D’abord tenté par la tradition ashkénaze (visible dans Pascin, Le Petit Monde du Golem ou même dans Petit Vampire) Sfar a décidé de s’intéresser davantage au monde sépharade, plutôt délaissé par une BD qui, avec Eisner, Spiegelman ou Ben Katchor, avait déjà
largement défriché les mythes est-européens.
Ce qui a de plus remarquable dans cette série où le lecteur a pu découvrir une propédeutique propre au Talmud, pimentée par les joutes verbales entre un chat parlant et un rabbin ratiocineur, ce sont ces notations qui ne sont parfois pas tendres pour les Juifs eux-mêmes. Le mariage entre le jeune talmudiste venu de France et sa propre fille dérange aussi bien le vieux rabbin que son chat. Celui-ci en a d’ailleurs perdu la voix. Leur voyage à Paris pour célébrer le mariage est vécu comme une sinécure. C’est aussi un choc culturel entre deux communautés non exempte de racisme, même entre Juifs. Une prévention que Joann Sfar piétine avec vigueur en rappelant, dans une séquence de cette album, que son nom est hébreu mais aussi arabe.
Pour Joann Sfar, ce troisième tome marque un peu l’heure de vérité. Le prolifique promoteur de l’Association, auteur à trente ans de près de 70 ouvrages, doit ici confirmer la brillante idée du premier tome. Déjà, çà et là, les critiquent s’égrènent, toujours les mêmes : dessin donnant un sentiment d’inachèvement, bavardages anecdotiques... Le procès est inutile : la méthode est sans faille. Le dessin renvoie à l’exercice de la chronique qui consiste à prendre un croquis « sur le vif ». S’il renonce au « beau dessin », c’est pour mieux rendre la vie. Quant au discours, il a la saveur d’un dialogue platonicien, mélange de plaisir et d’esprit.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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