"Le Passeur", le best-seller de LoÏs Lowry adapté en BD par Philip Craig Russell !

Jonas vit dans une communauté idyllique, ou du moins présentée comme telle. Tout y est réglé comme du papier à musique, et personne ne songe à questionner ce qui passe pour des évidences.

À chaque âge correspond une fonction sociale ou un rite de passage pré-déterminé, qui ne laisse aucune liberté aux individus mais qui présente un avantage indéniable : chacun est affecté là où il est le meilleur. La société est organisée selon des règles strictes, dont la transgression est sévèrement punie : les "mères de vie" produisent des enfants, qui sont placés dans des unités familiales obligatoirement composée d’un mâle et d’une femelle ; chaque unité familiale ne peut recevoir que deux enfants ; les partenaires sont imposés, ainsi que les emplois.

Le monde y est dès lors complètement aseptisé : il est en noir et blanc, chacun se ressemble, les émotions ont disparu, qu’elles soient heureuses ou malheureuses. Toute personne ne correspondant pas aux attendus de cette société prend le risque d’être "délié", une opération mystérieuse dont on sait qu’elle une mise au ban.

Cependant, Jonas, lui, est différent. Au cours de l’importante "cérémonie des 12" - les enfants y sont affectés à un métier correspondant à leur caractère ou à leurs qualités - Jonas n’est pas affecté par la doyenne en chef. Il est sélectionné, car il paraît qu’il "voit au-delà". Il sera "Receveur de mémoire", une fonction unique qui consiste à porter en soi l’histoire de l’Humanité, que tous les autres ignorent. Le Receveur sait que, sur Terre, existaient jadis des animaux, des couleurs, des conflits, de l’amour. Il est la mémoire de la société, celle que les autres n’ont pas, et qui leur permet de ne pas ressentir d’émotions. Mais le Receveur porte sur ses épaules les fardeaux de tous. La tâche est épuisante, et représente sans doute trop pour un seul homme. Jonas et l’ancien receveur, tentent alors de déployer un plan pour que ces lourds souvenirs soient répartis parmi tous.

Il est toujours difficile de passer d’un support à l’autre, d’autant plus pour un récit si dense que celui-ci, premier d’une tétralogie de l’autrice américaine Lois Lowry. Mais outre une restitution assez fidèle de la densité et de la complexité de l’œuvre originelle, qui nous incite à questionner la force des évidences, le trait de Philip Craig Russell, grand nom de la BD étasunienne, permet précisément d’illustrer ce qu’est un monde sans terne et sans éclat, puis de faire réapparaître les couleurs quand sont évoqués les moments du passé, avant que Jonas ne tente de les retrouver au cours d’un haletant voyage qui lui permet de retrouver le "monde d’avant"… au prix fort.

Craig Russell combine ainsi différents styles qui collent parfaitement à l’évolution du récit et à ses rebondissements : d’un trait dominé par les ombres en noir et blanc d’une société figée, le dessinateur passe à un bleu froid pour mettre en scène les relations mécaniques entre personnes, puis à bleu plus neutre qui symbolise l’arrivée d’un espoir, avant que les couleurs ne réapparaissent progressivement. Ce travail est assez frappant quand on s’amuse à faire défiler rapidement les pages de cette adaptation très réussie.