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Le mystère Bill Finger : à la recherche du créateur de Batman

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juillet 2022                      Lien  
Il est question aujourd’hui de l’un des créateurs de Batman. L’un des créateurs ? Ce n’est pas Bob Kane l’unique et seul créateur du Chevalier Noir ? Ben non, cela se sait depuis peu : il avait un cocréateur : Bill Finger qui, pendant vingt ans, n’a pas été crédité pour son apport fondamental à l’univers de l’homme chauve-souris.

On connaît la mésaventure des créateurs de Superman qui avaient vendu leur personnage pour 175 $ à DC Comics et qui avaient dû attendre des années avant que leur éditeur condescende à leur accorder une petite pension à la fin de leur vie. Une action dont Neal Adams avait été l’un des éminents promoteurs.

Eh bien, on a un peu le même genre d’histoire ici, sauf que cela se fait sur le dos du scénariste Bill Finger qui a juste eu le temps de décéder avant que l’on porte à son crédit l’une des icônes majeures du XXe siècle.

Ghost writer

Il était né en 1914 à Denver, dans le Colorado, dans une famille juive, comme bon nombre de créateurs de superhéros… Et d’ailleurs c’est un autre juif, un de ses camarades, Robert Kahn, alias Bob Kane, qui est au cœur de cette histoire. Bob Kane est certes un bon dessinateur, mais c’est surtout un très habile négociateur.

Fin 1938, les éditeurs de Superman, DC Comics, se rendirent compte qu’ils avaient tiré le gros lot : la publication du premier des superhéros tournait au phénomène. Ils commandent dès lors à Bob Kane, un dessinateur sérieux formé dans l’atelier de Will Eisner et de Jerry Iger, d’où sont issus les plus beaux virtuoses des comics : Jack Kirby, Joe Kubert, Lou Fine…, un super-héros en cape du même genre. DC est en demande : il lui faut diversifier son offre car les super-héros risquent de se multiplier comme champignons sous la pluie. Bob Kane leur arrache d’excellentes conditions de rémunération et une commande qui lui assure une certaine sécurité de l’emploi.

Pour pouvoir tenir la cadence, il embauche aussitôt son copain Bill Finger qui a plein de bonnes idées. Car si Bob Kane a bien imaginé un "Birdman" qui devient "The Bat-Man", c’est bien Finger qui fait passer le costume du rouge au noir, qui lui imagine cette cape en forme d’aile de chauve-souris, et ses célèbres et très graphiques oreilles pointues. Il écrit par ailleurs la première histoire du héros : Batman : The Case of The Cheminal Syndicate publiée dans Detective Comics #27. C’est le succès immédiat.

On doit à Finger aussi la création de la plupart des personnages secondaires et pas des moindres : Robin, le Joker, le Pingouin, Catwoman, Double-Face,… excusez du peu !

Sauf qu’il y a un problème : pour des raisons assez mystérieuses, Bill Finger n’est pas crédité. On mentionne comme seul créateur : Bob Kane.

Le mystère Bill Finger : à la recherche du créateur de Batman

Rien de surprenant pour l’époque : en Europe, Goscinny a mis des années à se faire créditer sur Lucky Luke et les scénaristes belges, à quelques exceptions près, étaient considérés comme des collaborateurs subalternes des dessinateurs dont le nom le plus souvent ne figurait pas au contrat.

Kane savait y faire : il lui arrivait de faire dessiner un épisode par un autre dessinateur et de signer de son seul nom. Il payait le dessinateur 100 $ et lui-même en percevait 500 $... Dans les années 1950 en Europe, Willy Vandersteen employa Maurice Tillieux quasiment aux mêmes conditions… Et Bill Finger ne dit rien, trop content d’assurer ses fins de mois. Cela dure 20 ans, sans que son nom soit mentionné.

Il est parallèlement scénariste de cinéma, il crée même un autre univers de comics dont on entendra parler, celui de Green Lantern : mais il reste dans l’ombre, tout le monde ignore qu’il a cocréé Batman…

Travail de mémoire

Cette bande dessinée fait mieux que réhabiliter sa mémoire : c’est une véritable enquête. Tout part de l’histoire de cette petite fille, Athena, qui affirme que son grand-père a créé Batman. Et personne ne la croit.

Puis on voit son biographe, le journaliste Marc Tyler Nobleman, qui part enquêter sur les traces de cet auteur dont on ne sait rien. On sait vaguement qu’il est mort mais personne n’est allé à son enterrement. Pourtant Finger s’est marié deux fois mais ses deux épouses, dont il a divorcé, sont décédées.

De son côté, Bob Kane est mort en pleine gloire, même si dans ses mémoires, il concéda que Finger avait joué, pour Batman, un rôle bien plus important que ce que les historiens des comics avaient jusque là bien voulu lui accorder.

Charge à son biographe de rencontrer des gens qui ont travaillé avec lui. Mais, malheureusement, ils ne le connaissaient pas personnellement, Bob Kane faisant un peu barrage. On lui découvre même un fils, à Bill Finger, mais comme ce fils est gay, il était fâché avec son père et avait perdu le contact… Un vrai mystère…

Bill Finger meurt d’une crise cardiaque, seul, dans la plus extrême pauvreté, à 59 ans en 1974 sans même que son nom soit crédité au générique des films qui sortent alors.

Réhabilitation

Grâce à ce journaliste spécialisé et à son enquête, on découvre un ami scénariste de télévision avec lequel il avait travaillé, Sinclair, et puis surtout son fils et sa petite fille, Athena. Tous ensemble, ils ont mené une campagne pour le réhabiliter, obtenant qu’il soit nommé deux fois dans les Hall of Fame (les Prix de la renommée) aux Kirby Awards et aux Eisner Awards.

Mais d’où vient cette petite fille puisqu’on vous disait que son seul fils était gay ? Eh bien, il a eu une affaire un jour avec une femme et cette petite fille est le fruit de cette aventure. C’est la fameuse Athena dont on vous disait tout à l’heure qu’on ne croyait pas que son grand-père ait pu créer Batman… Elle signe la préface de ce livre.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791026817352

Bill Finger – Dans l’ombre du mythe – Par Voloj Julian et Zadok Erez – Traduction de Xavier Hanart – Ed. Urban Comics

Urban Comics ✍ Julian Voloj ✏️ Zadok Erez à partir de 13 ans Biopic Etats-Unis
 
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3 Messages :
  • "Ben non, cela se sait depuis peu : il avait un cocréateur : Bill Finger"

    Depuis peu, cela fait tout de même plus de 35 ans que les auteurs de comics et le public spécialiste connait cette histoire, les auteurs utilisant même l’expression "don’t billfinger me" quand ils sentent qu’ils sont en train de se faire avoir. C’est dire.

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    • Répondu le 4 juillet 2022 à  18:47 :

      J’ai grandi avec Batman, je pensais être quand même assez fan de comics, et je dessine des BD depuis 35 ans mais je n’ai jamais entendu parler de Bill Fingers avant de voir son nom dans l’anthologie DC publiée par Urban comics il y a quelques années. Il est plus que temps de rendre justice à Bill Fingers en effet car l’expression toute faite "BATMAN, created by Bob Kane" a clairement occulté l’existence du scénariste

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      • Répondu par Seb le 5 juillet 2022 à  12:39 :

        Pour info les Eisner Awards décernent chaque année un prix d’excellence en écriture à son nom depuis 2005, le magazine Comic Box en parlait de temps en temps, et il me semble qu’il en est fait mention également dans L’histoire du comic book de Jean-Paul Jennequin et Des comics et des hommes de Jean-Paul Gabilliet, publiés en 2005-2006 (mais je n’ai pas les exemplaires sous la main pour le vérifier avec certitude)

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