Qui est Neal Adams ? Né le 15 juin 1941 à Governor Island, une île du port de New York City dans une famille juive, il voyagea beaucoup durant son enfance, notamment en Europe en Allemagne, en fonction des affectations de son père militaire.
Diplômé en dessin industriel, après avoir fait ses offres de service -infructueuses- auprès de DC Comics, il fait ses débuts en 1959 chez Archie Comics dont le rédacteur en chef n’était alors rien de moins que Joe Simon, le créateur de Captain America ! Ce dernier le prit sous son aile.
Commence pour Neal Adams un long labeur de dessinateur, d’encreur et de lettreur aussi bien dans le registre humoristique que réaliste. Mais son salaire est insuffisant pour vivre, il se tourne alors vers le dessin publicitaire, se spécialisant dans la BD de communication, tout en continuant à contribuer pour ces éditeurs.
Embauché par le syndicate Newspaper Enterprise Association [1], il est engagé par le scénariste Jerry Capp, le propre frère d’Al Capp, le créateur de Li’l Abner, pour travailler l’adaptation en BD de Ben Casey, une série TV très populaire à l’époque, toujours en parallèle avec ses travaux publicitaires. Il développe dans cette série les premiers thèmes sociaux liés au statut de médecin du héros : drogue, grossesses non désirées, ou suicide.
Il se coule parfaitement dans le moule de l’industrie américaine qui favorise un mercenariat tous azimuts : storyboarder pour la publicité, penciller, encreur, lettreur… Mais outre pour Al Capp, il travaille de plus en plus avec de fins stylistes comme Lou Fine, Bernie Wrightson ou Joe Kubert.
Un tournant dans l’histoire des comics
En quoi révolutionna-t-il le monde du comics ?
Après un court passage chez Warren Publishing pour les magazines de BD d’horreur Eerie et Creepie, il est engagé -bien qu’il soit antimilitariste et opposé à la Guerre du Vietnam- à travailler sur les récits de guerre de Joe Kubert à la suite de quoi, il est amené à œuvrer pour DC Comics, sur la série anthologique The Brave and the Bold qui réunit plusieurs personnages de la maison dont Batman et Green Lantern.
Sa « patte » réaliste, issue de son travail pour la publicité, est reconnaissable, puissante. Le voici bientôt travaillant pour Marvel sur les X-Men de Roy Thomas, comme encreur le plus souvent. Dans la foulée d’un Joe Kubert, à l’instar de Jim Steranko, il modernisa l’approche des super-héros quelque peu empesée – en réalité aseptisée par le Comics Code Authority- de ses prédécesseurs.
C’est le moment aussi où la BD devient un art à part entière, et non plus une icône naïve de la consommation détournée avec dédain par Roy Lichtenstein ou Andy Warhol. Elle se nourrit davantage de réel, d’un contenu social, de références à la publicité, à l’art même.
C’est sa contribution à Batman sur des scripts de Dennis O’Neil sous la direction de Julius Schwartz chez DC Comics qui marque les esprits par une dimension Dark dont se rappelleront Frank Miller et ses successeurs.
On lui doit la création graphique de quelques personnages secondaires marquants comme Man-Bat avec le scénariste Frank Robbins (1970), Ra’s al Ghul (1971) avec O’Neil, qui deviendra un ennemi récurrent du Chevalier noir. Les mêmes redéfiniront Two-Face ou encore le Joker à qui ils donneront toute sa dimension de criminel psychopathe, chose impensable sous le boisseau des premières années du Comics Code Authority.
Le duo fait également merveille sur Green Lantern et Green Arrow ou les sujets de société : le combat pour les droits civiques, contre le racisme, la drogue, la pollution,… entrent de plain-pied dans le scénario, chose inconcevable dix ans auparavant. Leur impact sur la société américaine, où il n’est pas rare qu’un comics diffuse à un million d’exemplaires est considérable.
Nous ne saurions résumer toute sa carrière faite de coups d’éclats remarquables (on pense au mémorable match de boxe entre Mohamed Ali et Superman) si ce n’est qu’elle n’arrêta jamais.
Inlassablement, jusqu’à ces derniers mois, il produisit des BD, exécutant régulièrement des live sur Facebook pour promouvoir ses commissions sous l’œil redoutablement commerçant de son épouse Marilyn.
Un militant pour les droits des auteurs
Concluons par ses actions pour la défense et la reconnaissance du droit des auteurs. On connaît la situation aux USA : depuis un célèbre procès entre Hearst et Rudolf Dirks au début du XXe siècle, les droits n’appartiennent pas aux auteurs. Ainsi, Siegel et Shuster furent virés comme des malpropres par DC Comics parce qu’ils avaient osé revendiquer des droits sur leur création Superman qui enrichissait leur éditeur à coup de millions de dollars.
Neal Adams obtint au début des années 1970 que les originaux de Jack Kirby, ainsi que d’autres auteurs, leur soient restitués par Marvel afin qu’ils puissent tirer quelques revenus supplémentaires en les commercialisant.
Idem pour Siegel et Shuster pour qui il obtint, par un intense travail de lobbying au moment où sortait le premier film live tiré des aventures de Superman, une pension à vie et le paiement de quelques arriérés de droits.
Il aida des dizaines de jeunes auteurs à trouver du boulot par une simple recommandation. Il contribua à la création en 1978 de la Comics Creators Guild et soutint bon nombre de petits éditeurs de comics indépendants. Enfin, il lutta pour la restitution des dessins que Dina Rabbit, une rescapée du camp d’Auschwitz, avait exécutées pour le sinistre docteur Mengele pour documenter ses travaux criminels sur les patients gitans et juifs, et que le Musée d’Auschwitz exposait sans que le gouvernement polonais ait l’intention de les restituer.
Neal Adams est mort le 28 avril, selon son épouse Marilyn, d’une complication d’une septicémie contractée il y a un peu plus d’un an.
Retrouvez l’hommage que Pascal Aggabi écrivait sur ActuaBD il y a quelques jours :
Neal Adams s’échappe (à nouveau) de l’hôpital !
Et à l’occasion de ses 80 ans, l’année précédente :
Neal Adams, la légende des comics, a 80 ans !
Et puis l’interview que nous avions faite de lui lors de l’un de ses passages à Paris.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Photo ActuaBD.com
[1] Les syndicates produisaient et distribuaient des comics strips dans des centaines de journaux régionaux et internationaux. NDLR.
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