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Disparition de Neal Adams, titan des comics

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 30 avril 2022                      Lien  
Nous, Neal Adams, on l’aimait bien. C’était une figure joviale, généreuse comme son dessin, morale aussi : il a défendu toute sa vie le statut des auteurs de BD aux États-Unis, arrachant à DC Comics une pension pour les créateurs de Superman. Il avait un lien particulier avec la France, dessinant Superdupont pour Gotlib dans Fluide Glacial. Hélas, le grand Neal Adams vient de poser le crayon, le 28 avril 2022, à l’âge de 80 ans au terme d’une carrière exceptionnelle où il a revivifié le comics de super-héros dans les années 1970.

Qui est Neal Adams ? Né le 15 juin 1941 à Governor Island, une île du port de New York City dans une famille juive, il voyagea beaucoup durant son enfance, notamment en Europe en Allemagne, en fonction des affectations de son père militaire.

Diplômé en dessin industriel, après avoir fait ses offres de service -infructueuses- auprès de DC Comics, il fait ses débuts en 1959 chez Archie Comics dont le rédacteur en chef n’était alors rien de moins que Joe Simon, le créateur de Captain America ! Ce dernier le prit sous son aile.

Commence pour Neal Adams un long labeur de dessinateur, d’encreur et de lettreur aussi bien dans le registre humoristique que réaliste. Mais son salaire est insuffisant pour vivre, il se tourne alors vers le dessin publicitaire, se spécialisant dans la BD de communication, tout en continuant à contribuer pour ces éditeurs.

Disparition de Neal Adams, titan des comics
Un graphisme d’une élégance exceptionnelle
© DC Comics

Embauché par le syndicate Newspaper Enterprise Association [1], il est engagé par le scénariste Jerry Capp, le propre frère d’Al Capp, le créateur de Li’l Abner, pour travailler l’adaptation en BD de Ben Casey, une série TV très populaire à l’époque, toujours en parallèle avec ses travaux publicitaires. Il développe dans cette série les premiers thèmes sociaux liés au statut de médecin du héros : drogue, grossesses non désirées, ou suicide.

Il se coule parfaitement dans le moule de l’industrie américaine qui favorise un mercenariat tous azimuts : storyboarder pour la publicité, penciller, encreur, lettreur… Mais outre pour Al Capp, il travaille de plus en plus avec de fins stylistes comme Lou Fine, Bernie Wrightson ou Joe Kubert.

Un tournant dans l’histoire des comics

En quoi révolutionna-t-il le monde du comics ?

Après un court passage chez Warren Publishing pour les magazines de BD d’horreur Eerie et Creepie, il est engagé -bien qu’il soit antimilitariste et opposé à la Guerre du Vietnam- à travailler sur les récits de guerre de Joe Kubert à la suite de quoi, il est amené à œuvrer pour DC Comics, sur la série anthologique The Brave and the Bold qui réunit plusieurs personnages de la maison dont Batman et Green Lantern.

Il instille dans ses oeuvres l’air du temps.
© DC Comics

Sa « patte » réaliste, issue de son travail pour la publicité, est reconnaissable, puissante. Le voici bientôt travaillant pour Marvel sur les X-Men de Roy Thomas, comme encreur le plus souvent. Dans la foulée d’un Joe Kubert, à l’instar de Jim Steranko, il modernisa l’approche des super-héros quelque peu empesée – en réalité aseptisée par le Comics Code Authority- de ses prédécesseurs.

C’est le moment aussi où la BD devient un art à part entière, et non plus une icône naïve de la consommation détournée avec dédain par Roy Lichtenstein ou Andy Warhol. Elle se nourrit davantage de réel, d’un contenu social, de références à la publicité, à l’art même.

Son dessin modernisa considérablement "l’homme d’acier"
© DC Comics

C’est sa contribution à Batman sur des scripts de Dennis O’Neil sous la direction de Julius Schwartz chez DC Comics qui marque les esprits par une dimension Dark dont se rappelleront Frank Miller et ses successeurs.

On lui doit la création graphique de quelques personnages secondaires marquants comme Man-Bat avec le scénariste Frank Robbins (1970), Ra’s al Ghul (1971) avec O’Neil, qui deviendra un ennemi récurrent du Chevalier noir. Les mêmes redéfiniront Two-Face ou encore le Joker à qui ils donneront toute sa dimension de criminel psychopathe, chose impensable sous le boisseau des premières années du Comics Code Authority.

Un dessin puissant, remarquable. Il a contribué à donner à Batman son côté "dark".
© DC Comics
Une des fabuleuses couvertures de Neal Adams pour Superman
© DC Comics

Le duo fait également merveille sur Green Lantern et Green Arrow ou les sujets de société : le combat pour les droits civiques, contre le racisme, la drogue, la pollution,… entrent de plain-pied dans le scénario, chose inconcevable dix ans auparavant. Leur impact sur la société américaine, où il n’est pas rare qu’un comics diffuse à un million d’exemplaires est considérable.

Des sujets de société jamais vus auparavant...
© DC Comics
Comme celui de la drogue.
© DC Comics

Nous ne saurions résumer toute sa carrière faite de coups d’éclats remarquables (on pense au mémorable match de boxe entre Mohamed Ali et Superman) si ce n’est qu’elle n’arrêta jamais.

Inlassablement, jusqu’à ces derniers mois, il produisit des BD, exécutant régulièrement des live sur Facebook pour promouvoir ses commissions sous l’œil redoutablement commerçant de son épouse Marilyn.

Superdupont par Neal Adams
© Fluide Glacial

Un militant pour les droits des auteurs

Concluons par ses actions pour la défense et la reconnaissance du droit des auteurs. On connaît la situation aux USA : depuis un célèbre procès entre Hearst et Rudolf Dirks au début du XXe siècle, les droits n’appartiennent pas aux auteurs. Ainsi, Siegel et Shuster furent virés comme des malpropres par DC Comics parce qu’ils avaient osé revendiquer des droits sur leur création Superman qui enrichissait leur éditeur à coup de millions de dollars.

Neal Adams obtint au début des années 1970 que les originaux de Jack Kirby, ainsi que d’autres auteurs, leur soient restitués par Marvel afin qu’ils puissent tirer quelques revenus supplémentaires en les commercialisant.

Idem pour Siegel et Shuster pour qui il obtint, par un intense travail de lobbying au moment où sortait le premier film live tiré des aventures de Superman, une pension à vie et le paiement de quelques arriérés de droits.

Le dessinateur Joe shuster, Neal Adams et le scénariste Jerry Siegel : trois monuments absolument incontournables de la BD américaine !
© DR.

Il aida des dizaines de jeunes auteurs à trouver du boulot par une simple recommandation. Il contribua à la création en 1978 de la Comics Creators Guild et soutint bon nombre de petits éditeurs de comics indépendants. Enfin, il lutta pour la restitution des dessins que Dina Rabbit, une rescapée du camp d’Auschwitz, avait exécutées pour le sinistre docteur Mengele pour documenter ses travaux criminels sur les patients gitans et juifs, et que le Musée d’Auschwitz exposait sans que le gouvernement polonais ait l’intention de les restituer.

Neal Adams est mort le 28 avril, selon son épouse Marilyn, d’une complication d’une septicémie contractée il y a un peu plus d’un an.

****

Retrouvez l’hommage que Pascal Aggabi écrivait sur ActuaBD il y a quelques jours :
-  Neal Adams s’échappe (à nouveau) de l’hôpital !
Et à l’occasion de ses 80 ans, l’année précédente :
-  Neal Adams, la légende des comics, a 80 ans !
Et puis l’interview que nous avions faite de lui lors de l’un de ses passages à Paris.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782365773317

En médaillon : Photo ActuaBD.com

[1Les syndicates produisaient et distribuaient des comics strips dans des centaines de journaux régionaux et internationaux. NDLR.

Marvel Comics Etats-Unis Décès 2022 🏆 Eisner Award
 
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6 Messages :
  • Disparition de Neal Adams, titan des comics
    1er mai 2022 10:53, par Capitaine Kérosène

    Merci pour cet hommage à ce grand dessinateur qui le mérite bien.
    Dennis O’Neil, pas David O’Neill.
    Vous n’avez pas évoqué Deadman, l’un de ses personnages préférés (initié par Carmine Infantino) dont il reprit le scénario en plus du dessin.
    Le run sur X-Men, à mon avis l’un de ses meilleurs arrive dans sa carrière après qu’il a travaillé sur GL/GA.
    Adams a aussi beaucoup travaillé pour le magazine satirique National Lampoon et en particulier sur Son O’ God. J’espère que nous pourrons en voir un jour une réédition. Cette partie de son travail est trop peu connue.
    Il y a eu une grande éclipse dans la carrière d’Adams quand il a décidé de ne plus travailler que pour la publicité, bien plus lucrative, avec son studio Continuity Assiociates. La ligne de comics qu’il a développée et produite avec ses assistants (les fameux Crusty Bunkers) et Dick Giordano n’a pas été ce qu’il a fait de mieux.
    Il a été l’un des plus productifs cover artists pour DC. On lui doit aussi les couvertures aquarellées des magazines en noir et blanc de Marvel dans les années 1970, en particulier sur Conan et Deadly Hands of Kung-Fu.
    Il y aurait encore une foule de travaux à évoquer, mais votre article remplit son rôle dans les grandes lignes
    Adams est revenu à la bande dessinée sur le tard chez DC et Marvel, mais, son style, trop connoté années 70 tournait complètement à vide et s’auto parodiait (involontairement). Sans parler de ses scénarios grotesques.
    Il restera tout de même un immense artiste et un acteur incontournable du monde des comics. Qu’il repose en paix.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er mai 2022 à  13:03 :

      Dennis O’Neil, pas David O’Neill.

      Effectivement, c’est corrigé. Nous reviendrons certainement sur le travail de Neal Adams. Merci pour vos précisions.

      Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er mai 2022 à  13:07 :

      Il y a eu une grande éclipse dans la carrière d’Adams quand il a décidé de ne plus travailler que pour la publicité, bien plus lucrative, avec son studio Continuity Assiociates. La ligne de comics qu’il a développée et produite avec ses assistants (les fameux Crusty Bunkers) et Dick Giordano n’a pas été ce qu’il a fait de mieux.

      Un autre grand auteur a vécu ce genre d’éclipse, pour les mêmes raisons (création d’une boite de production publicitaire) : Will Eisner. Son come back a marqué l’histoire du médium. Peut-être a-t-il été un modèle pour Neal.

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    • Répondu par Seb le 2 mai 2022 à  11:44 :

      C’est faux, son run sur X-men date de 1969 et son arrivée sur GL/GA se fait bien par après, en 1971.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Capitaine Kérosène le 4 mai 2022 à  08:47 :

        Vous avez raison. Au temps pour moi.

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        • Répondu par Michel Dartay le 8 mai 2022 à  07:29 :

          Et maintenant, c’est le tour de George Perez....
          Tristesse...

          Répondre à ce message

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