Les Magiciens – par Blexbolex – Éditions La Partie

Mais que renferme donc un tel écrin ? BlexBolex y déplie une histoire fantastique mêlant magie et écologie, passage du temps et rapport au vivant, dans une explosion de couleurs absolument saisissante. À la manière des illustrés d’antan, à chaque image son texte, à raison d’une image par page, celui-ci est apposé juste au-dessous.

En faisant se superposer les couleurs et textures, l’artiste plasticien figure incontournable de l’underground français - de même qu’auteur de renommée internationale, notamment lauréat du Prix du plus beau livre du monde à la foire au livre de Leipzig en 2009 pour ne citer que ce prix - efface son trait et nous rappelle ses talents de sérigraphe dans le maniement des coloris. Il nous donne ainsi à contempler de véritables tableaux dans lesquels le regard s’égare, la pupille partant à la recherche de subtils détails et nuances introduits ici et là.

© éditions La Partie

Ce procédé de superposition n’est d’ailleurs pas sans rappeler les récents travaux d’un certain Jérome Dubois, par ailleurs maquettiste de Les Magiciens, et lui-même publié par les Éditions La Partie en collaboration avec Lauri Agusti pour le titre intitulé Un Matin.

Joliment écrit, le texte recèle quant à lui de petits bijoux de poésie où rimes et métaphores bien senties se conjuguent avec un lyrisme certain. Si « La Brise chuchotte ses mots de toujours » laissera l’adulte rêveur, la capture des grenouilles par l’éléphant magicien en tout début d’album fera réagir l’enfant à coup sûr.

Ces premiers éléments formels établis – agencement de la page et style d’écriture – nous voilà fin prêt à vous en dévoiler plus sur le scénario. Trois magiciens, un éléphant, un oiseau et une enfant s’éveillent dans une maison sens dessus dessous. Chacun part à l’aventure de son côté, et s’ils paraissaient gentils, bons et plein de bonnes intentions, la perception que nous en avons sera bien rapidement nuancée.

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Il en va d’ailleurs de même pour la chasseresse et son Mâchefer, sorte d’hybridation entre un lion et un dragon inspiré par les représentations mythologiques chinoises. Rapidement, la situation s’éloigne de tout manichéisme et propose à la lecture un scénario étoffé, des retournements de situation saisissants et des développements de personnages subtils.

Pourquoi la chasseresse traque-t-elle les magiciens ? Quels rôles jouent ces derniers ? Quelles places sont-ils supposés occuper ? Et pourquoi sont-ils les derniers ? Tant d’énigmes que le rédacteur du présent article vous laissera élucider par vous-même en découvrant le magnifique album dont il est ici question.

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Ce que nous pouvons commenter toutefois, c’est l’utilisation que fait l’auteur de la figure du magicien. En en faisant des êtres trompeurs, et non de simples divertisseurs, BlexBolex convoque la figure du trickster. Présente dans de nombreuses cosmogonies et mythes fondateurs extra-occidentaux, la figure du trickster, incarnée tantôt par un renard, tantôt par un corbeau, ne peut être rattachée à l’un des pôles résultant de la bipartition bien/mal.

Il relève de peuples exerçant un rapport au vivant différent du nôtre, un rapport ou la partition entre nature et culture n’existe pas. Dans un tel schéma de pensée, les vivants non-humains, dont font partie les animaux et donc les tricksters, sont doués d’une volonté propre au même titre que l’homme.

Ainsi les histoires mettant en scène ces êtres, transmises oralement génération après génération, puis consignées à l’écrit par les ethnographes et anthropologues successifs, relatent l’apparition de la lumière, la création du monde, ou un simple tour joué par un animal à un humain. Sans réelle chute ni morale, ces histoires sont des invitations à la méditation, à l’interprétation. Elles ne délivrent pas un système de valeurs préconçu mais aident la personne recevant l’histoire à échafauder le sien.

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Un tel rapport au vivant ne survit toutefois que difficilement au changement d’environnement. Sans trop en dévoiler, dès lors que la chasseresse arrive en ville, sur la « dalle de béton », la magie n’est plus. Ce niveau de lecture, basé sur des théories anthropologiques contemporaines ne satisfera toutefois pas la lecture d’un enfant.

Peut-être alors que c’est également la sortie de l’enfance, la perte des illusions et de la créativité s’y rapportant que BlexBolex cherche à mettre en scène au travers des tours de ces magiciens et de la traque sans relâche de l’adroite chasseresse et son fidèle compagnon. Ou peut-être les deux thématiques sont-elles intimement liées et ce récit la preuve évidente d’une définition de notre rapport au vivant qui n’est pas innée et résulte d’un apprentissage.

© éditions La Partie

Quelle que soit la réponse, il en reste un album sublime et à la fabrication soignée. La narration est virtuose et parvient à allier des thématiques tenant de la recherche en sciences sociales à des enjeux dramatiques forts traitant tant de la question de l’enfance, que de la contrainte dans l’acte créatif et de l’appréhension de l’avenir. Les Magiciens n’en est pas moins adapté aux enfants et témoigne de la vivacité de l’édition jeunesse, par trop souvent méconsidérée.

Nous écrivons ces lignes alors que le Salon du livre et la presse jeunesse de Montreuil 2022 vient de fermer ses portes. BlexBolex n’en est malheureusement pas reparti avec une nouvelle pépite, comme en 2017 pour Nos Vacances (éd. Albin Michel), notons qu’un titre des éditions La Partie repart décoré de la pépite illustrée : Règlobus de Pierre Alexis.