Qui est donc Floc’h, potentiel nouveau porteur du flambeau Blake et Mortimer ? On le sait exigeant envers lui-même et son art, puisque cet illustrateur élégant, So British, est passé par les Arts-Déco avant de s’associer avec le scénariste François Rivière pour créer une première bande dessinée très influencée par Edgar P. Jacobs, Le Rendez-vous de Sevenoaks (1977).
Dès son deuxième album, Floc’h revendique très clairement son appartenance à l’école de la Ligne claire, ce groupe d’auteurs qui perpétuent le travail d’Hergé et de quelques-uns de ses assistants : Jacobs, Martin, Bob De Moor…) à la ligne épurée. À la fin des années 1970, une génération de pasticheurs comme Joost Swarte, Ted Benoit, Yves Chaland (dont Floc’h était proche) ou même Tardi érigent ce style graphique en idéal artistique.
Floc’h se démarque très rapidement par une manière propre, alliant le réalisme documentaire de la Ligne claire à une déconstruction du récit bien éloignée des aventures candides à la Hergé – et un classicisme dans le dessin qui rend hommage à Jacobs. Son talent d’affichiste se retrouve dans ses albums qui cultivent un certain art de la pose –un dandysme graphique à tout dire– qui colle bien à son image de gentleman british.
Travaillant à ses débuts de concert avec François Rivière, Floc’h signe de nombreux albums d’inspiration jacobsienne, réunies dans l’intégrale Albany et Sturgess.
S’il lui est proposé une première fois de prendre la succession de Jacobs en 1997, Floc’h refuse pourtant. Surprenant ? Pas tellement. Floc’h tient à sa liberté créative. Il dit à ce sujet : « Je ne peux m’intéresser à quelque chose qui me semble voué à l’échec. Ce qui ne veut pas dire que cette reprise n’a pas été bien négociée. Mais je n’y crois pas. Je comprends le cahier des charges de Dargaud. Il s’agit d’effectuer une transition souple avec Jacobs, donc d’en épouser tous les tics, graphiquement et dans la narration. Pour moi, le côté scientifique, fin du monde, Troisième Guerre mondiale, c’est du pipeau. J’avais suggéré à Benoit [repreneur de la série à l’époque] de situer son histoire aux États-Unis. Parce que c’était un univers qu’il connaissait très bien et que Jacobs n’avait jamais exploré. Il y avait là une chance extraordinaire de moderniser Blake et Mortimer. Le succès colossal de l’entreprise ne me fait pas changer d’avis, au contraire. Je ne veux pas être Jacobs. Un auteur n’existe que par lui-même. »
Floc’h était malgré tout envisagé comme LE successeur le plus crédible de Jacobs… mais il se désintéresse peu à peu de la bande dessinée pour retourner à ses premières amours : l’écriture et l’illustration de livres et la création d’affiches de films. Sa dernière œuvre en date s’intitule La Femme de ma vie (2021, Le Dilettante), fiction autobiographique légère et enjouée.
On le croyait perdu pour la bande dessinée jusqu’à ce que, comme nous tous, Floc’h se retrouve enfermé avec ses pensées pendant une année complète, pendant le confinement de la crise de Covid-19. Relisant sans doute sa collection de Blake et Mortimer à cette occasion, il s’aperçoit à quel point il n’apprécie pas du tout la tournure prise par la série au fil des ans, ce qui lui donne envie d’y remédier.
Son dessin s’est certes bien amélioré avec le temps et il a conservé la lucidité de ses débuts, mais aura-t-il toujours la flamme pour tenir une telle entreprise ? Lui seul a la réponse.
(par Auxence DELION)
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En médaillon : Photo DR. Dargaud.
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