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Avec Floc’h, Blake et Mortimer découvrent l’Amérique

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 novembre 2023                      Lien  
Dans « L’Art de la guerre » Fromental et Bocquet font revenir Floc'h à la bande dessinée. Lui qui se destinait à l’art, « avec un grand H » comme disait Hergé, le voir revenir au 9e, c’est un événement que l’on n’attendait pas. Et surtout pas aussi rapidement. Pourtant il est là… Et on en pense quoi ?

Beaucoup d’entre vous y vont à reculons. Certes, Floc’h est un des fondateurs du mouvement de la Ligne claire. Derrière Tardi et lui, des générations de dessinateurs se sont mis à faire « du Jacobs ». Certains d’entre eux ont été amenés -commerce oblige !- à poursuivre les aventures du duo britannique avec une révérence appliquée au maître. Récemment, avec le même tandem de scénaristes, l’excellent Antoine Aubin avait envoyé nos héros à Berlin, comme Edgar P. Jacobs le fit jadis à Paris ou en Atlantide, pour mieux conjurer la menace qui planait sur le monde. Comment le dandy Floc’h allait-il se mettre dans les pas de ces suiveurs qui relevaient, quand on lit certains de ses propos, de la production vulgaire ? En faisant du Floc’h.

Blake et Mortimer découvrent l’Amérique

Les scénaristes Jean-Luc Fromental & José-Louis Bocquet ont eu l’idée de les emmener dans l’enceinte des toutes jeunes Nations Unies construites sur les ruines d’une Guerre mondiale d’une dimension apocalyptique si l’on en juge les premières planches du Secret de l’Espadon. Aux USA ? C’est paradoxal… Si on lit bien L’Espadon, l’Amérique n’a aucun rôle dans la reconquête du monde sous le joug des « Jaunes »… On retrouvera les USA seulement avec l’OTAN dans SOS Météores. Que s’est-il passé entretemps ? Mystère. L’avantage, c’est que cela permet à Floc’h de dessiner des Studebaker et des buildings de l’Ecole de Chicago plutôt que de répéter les décors de Sevenoaks et de Blitz.

La couverture ne promet pas un album d’aventure : pas de scène théâtrale à la Marque Jaune ou au Mystère de la Grande Pyramide ; de même, est absente la dimension fantastique qui était celle de SOS Météores ou du Piège Diabolique.

Nos héros sont dans les rues de Manhattan et devisent à propos d’un quotidien dont le titre est banal en ces temps de Guerre froide. Une illustration bien calme, tout en élégance, comme une couverture de la revue Monsieur, «  le premier des magazines masculins depuis 1920 » dont Floc’h fut un temps le référent artistique.

La densité des pages aussi laisse circonspect. Alors que le canon jacobsien comporte 8 à 9 cases, ici c’est un gaufrier de 5 à 6 cases qui est la norme, parfois trois, quand il y a une grande image. Mais plutôt que 64 pages, c’est 124 pages qui nous sont proposées, si bien que le rythme de la narration n’a pas le temps de rester dans le contemplatif.

Avec Floc'h, Blake et Mortimer découvrent l'Amérique

Beau comme du Liechtenstein

Les scénaristes connaissaient leur Floc’h par cœur. Pour lui, le dessin de Jacobs est avant tout un geste esthétique. En styliste, Floc’h récupère d’ailleurs bien les poses maniérées et le hiératisme de Jacobs, chose que ses prédécesseurs réussissaient rarement. Il manie avec davantage de dextérité les gros plans que le maître de l’Ecole de Bruxelles. Résultat : chaque image est belle, expressive. La colorimétrie, en particulier, est parfaite. Le scénario, avec son plot bien profilé, est au diapason. Le charme agit : le Blake et Mortimer de Floc’h est à son image : dandy, élégant, cultivé (d’où la référence à Sun Tsu), un peu prétentieux mais charmant. C’est beau comme du Lichtenstein. Hergé aurait adoré.

Mais si la référence à l’après-guerre est savamment et élégamment restituée, il lui manque un paramètre, un élément de son ADN, qui fait que l’œuvre de Jacobs est unique : l’expressionisme. Héritier de F. W. Murnau et de Fritz Lang, Jacobs savait manier comme eux la lumière, jouer du noir et du crépusculaire. Avec son dessin qui jamais ne hausse le ton, le Blake et Mortimer de Floc’h est certes élégant et pertinent, mais jamais il ne fera peur : il est trop bien élevé pour cela.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782870973011

« L’Art de la guerre » - Par Jean-Luc Fromental, José-Louis Bocquet et Floc’h - Ed. Blake & Mortimer

Blake et Mortimer Blake et Mortimer ✍ Jean-Luc Fromental ✍ José-Louis Bocquet ✏️ Floc’h ✏️ Edgar P. Jacobs à partir de 13 ans Espionnage 🏆 Galons de la BD 🏆 Prix Galons de la BD 2024
 
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23 Messages :
  • C’est intéressant ce que vous relevez à la fin concernant l’expressionnisme de Jacobs. Il y a une interview de Hugo Pratt par Petitfaux qui l’interroge sur la Ligne Claire, et Pratt fait remarquer que pour un maître de la Ligne Claire, Jacobs utilisait quand même énormément l’ombre, la lumière et le clair-obscur. C’est une dimension que beaucoup de ces continuateurs ont en effet oubliée. Mais on ne peut pas en vouloir à Floc’h qui est un immense artiste et designer graphique : il a souvent dit que son vrai maître était Hergé.

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  • Avec Floc’h, Blake et Mortimer découvrent l’Amérique
    13 novembre 2023 09:56, par Pascal Guichard

    J’ai même l’impression (ce n’est qu’une impression) que au fur et a mesure des pages le trait s’épaissit et que nb de case diminue.
    mais ça reste agréable à lire...
    C’est néanmoins une belle relecture (un cover) de B&M un peu comme l’a fait avec brio François Schuiten.

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  • Avec Floc’h, Blake et Mortimer découvrent l’Amérique
    13 novembre 2023 11:14, par Art de la nostalgie ?

    Pas fan de cette DA, même s’il y’a une logique à reproduire une DA années 40/50/60 vu l’époque de la franchise, chez moi ça me rappelle seulement les heures douloureuses des pubs américaines moches que je voyais passer dans les années 80 et des comics bas de gammes dont parfois on nous filait les invendus avec les dvd de marvel/dc. Et la mise en scène ne m’aide pas à passer ce mur, on dirait les veilles mises en scènes des débuts de la bd.
    Je serai curieux de voir quel genre de public pourrait aimer ça, les anciens post soixantenaires qui sont peut être nostalgiques ? La Gen Z et Alpha qui ont pas connu ça et auraient un regard vierge ?

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    • Répondu par Toledano le 13 novembre 2023 à  14:14 :

      C’est quoi DA ? Dessin animé ? Parce que là c’est de la BD pas un dessin animé. Et c’est quoi Gen Z et Alpha ? Un manga ? Ou le dessin animé auquel vous faites référence ? Vous êtes incompréhensible.

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    • Répondu le 13 novembre 2023 à  21:05 :

      C’est quoi une DA ? DA ou NIET ?

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      • Répondu le 14 novembre 2023 à  16:14 :

        Je pense que ça veut dire "direction artistique" mais c’est vraiment un acronyme pour les initiés.

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        • Répondu par Auteur·ice le 14 novembre 2023 à  19:17 :

          Comme les cuistres qui dans les commentaires d’actuabd parlent de Characters design ou de poses clés en se croyant dans une réu de pub ou de jeux vidéo, alors qu’ici on parle de bandes dessinées, un artisanat avec des artistes qui font leurs livres eux-mêmes, pas des mercenaires, des robots ou des intelligences artificielles.

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          • Répondu le 15 novembre 2023 à  07:39 :

            Oui, sauf que les termes « pose-clé » ou « design de personnages » concerne aussi les auteurs de BD traditionnels qui travaillent à la main. La preuve, Floc’h maîtrise parfaitement ces deux aspects. De façon générale, il faudrait un peu plus de tolérance ici, tous les métiers sont respectables.

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            • Répondu le 16 novembre 2023 à  09:50 :

              « pose clé » est un terme propre à l’animation. Entre deux poses clés, il ya des intervalles. En bande dessinée, les intervalles n’existent pas puisque le mouvement d’un personnage est créé par l’ellipse.

              Parler de « pose clé » en bande dessinée est aussi absurde que de parler de « placer sa caméra » pour expliquer un découpage propre à la bande dessinée puisque les dessinateurs n’utilisent jamais de caméra pour créer leurs images. Le cadrage photographique est une idiotie. Il faut penser « dessin » pas « photo ». Alors, bien sûr, l’habitude consistant à céder à la facilité a contaminé l’art de la bande dessnée pour en faire un « cinéma du pauvre ». C’est dommage et vulgaire mais depuis cinquante ans, il faut faire avec. Il faut se contenter d’utiliser les termes propres à un art, sinon, la critique d’une œuvre est approximatif et part dans les choux. La bande dessinée souffre de son absence ou de la médiocrité de la critique. Pas d’argent pour ça et c’est dommage.

              L’écriture graphique de Floc’h n’est pas photographique, Jacobs n’a pas plus une écriture photographique. Floc’h et Jacobs n’impriment pas de la pellicule mais du papier. Floc’h est un fils d’imprimeur et il utilise les moyens de l’imprimerie qu’il connaît mieux que beaucoup d’auteurs de bandes dessinées. Le choix du papier, des couleurs, du format, de la pagination. Tout cela est pensé. Son idée de faire de grandes images pour obliger le lecteur à ralentir sa lecture et entre dans l’image, c’est son discours. Il est critiquable. Mais il faut commencer par essayer de comprendre ce qu’il a voulu faire avant de sortir des âneries du niveau « j’aime »
              ou « j’aime pas » ou « ça ressemble pas à du Jacobs » ou « remboursé ! ».

              Si Floc’h est resté très académique dans son dessin et la composition de ses images, Floc’h, lui, est un postmoderne, un héritier du pop art, un enfant de la société de consommation, un homme définitivement du XXème siècle. Ses dessins sont faussement académiques puisqu’il s’amuse à déconstruire les codes académiques pour les recomposer avec minimalisme. Intéressez-vous à sa démarche artistique. Il s’est exprimé et répété assez souvent sur les radios et dans la presse.Vous pouvez podcaster ses interviews, il est intéressant et a un humour tellement british et dandy qu’il y a de quoi sourire. Aprsè, vous reprendrez son Blake & LMortimer et vous le lirez autrement et vous pourrez commencer à dire s’il a réussi ou pas ce qu’il voulait faire.

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              • Répondu le 17 novembre 2023 à  11:32 :

                C’est très intéressant ce que vous écrivez, notamment sur la démarche de Floc’h, son parcours jusque là et surtout à quelles conditions il a accepté de se prêter au jeu d’une reprise de B&M, entreprise commerciale s’il en est, mais qu’il aborde avec un parti-pris artistique très fort, qu’on peut critiquer dans ses choix mais qui est franchement respectable dans sa radicalité esthétique. Je vous suis moins dans votre snobisme consistant à interdire aux auteurs ou amateurs de BD d’employer des termes qui vous semblent appartenir au langage de la photo, du cinéma ou du dessin animé. Personnellement je m’en fous complètement. Je fais de la BD depuis presque 35 ans et j’ai été formé par un très grand professionnel qui m’a appris très tôt qu’en BD, tous les personnages doivent avoir une position-clé. Justement parce qu’on ne dessine pas les poses intermédiaires, ce qu’en dessin animé on appelle les « intervalles ». C’était bon à savoir et ce n’est pas pour autant que je considère la BD comme un cinéma du pauvre. Toutes les disciplines se nourrissent les unes des autres. Sans les photographies de Muybridge, Morris ne dessinerait pas les chevaux comme il le fait par exemple. Autre exemple, le terme « cadrage » s’emploie en peinture et peu importe s’il est emprunté à la photographie. On pratiquait la composition d’image et la mise en page des centaines d’années avant l’invention de la photo. Encore une fois, soyons un peu plus tolérant sur ces questions de vocabulaire. La langue est vivante, elle emprunte où elle veut.

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                • Répondu le 17 novembre 2023 à  19:04 :

                  et j’ai été formé par un très grand professionnel qui m’a appris très tôt qu’en BD, tous les personnages doivent avoir une position-clé. Justement parce qu’on ne dessine pas les poses intermédiaires

                  On se demande qui est ce professionnel, car avec ce principe on a du dessin pauvre, on a que 2 positions de marche (un coup la jambe droite devant, un coup la gauche), pareil pour la course etc... Il y en a qui ont fait carrière avec aussi peu de variante (tout le franco-belge gros nez), mais on peut aussi être intelligent, regardez les dessins de Blain, Blutch, vous verrez que vos "poses intermédiaires" ne sont pas tabous, au contraire, elles donnent une vraie dynamique, une vérité au mouvement.

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                  • Répondu le 18 novembre 2023 à  11:40 :

                    Vous caricaturez mes propos et vous ne savez pas regarder. « Position-clé » ne veut pas dire posture stéréotypée. Tous les grands dessinateurs pratiquent le dessin d’après modèle vivant et le savent par conséquent. Les dessinateurs que vous citez, le très bon Blutch et son médiocre imitateur Blain, pratiquent cette technique. Pas de poses intermédiaires chez eux non plus.

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                    • Répondu par Laurent Colonnier le 20 novembre 2023 à  19:14 :

                      Les dessinateurs que vous citez, le très bon Blutch et son médiocre imitateur Blain

                      Ahah la remarque à la con.
                      Disons plutôt Blain très bon héritier de Beuville et Gus Bofa, et Blutch, le médiocre imitateur du génial Forest.

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                      • Répondu le 21 novembre 2023 à  11:33 :

                        Si vous trouvez que Blain dessine aussi bien que Beuville et Bofa, allez faire un tour chez l’ophtalmo. Quant à Forest, il n’est qu’une des nombreuses influences de Blutch.

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                        • Répondu le 21 novembre 2023 à  13:34 :

                          Blutch a commencé en 1988, Blain en 1997. La question ne se pose même pas de savoir lequel des deux a remis au goût du jour les influences de Beuville, Bofa, Arno, Forest et plus largement encore des dessinateurs du New Yorker.

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  • Avec Floc’h, Blake et Mortimer découvrent l’Amérique
    13 novembre 2023 17:23, par yves demay

    Pas aimé, c’est hiératique, les cases sont parfois baclées , Floc’h est un admirable illustrateur mais ses bd sont sans vie , le scénario lui est faible bref c’est pour moi un des mauvais BM post Jacobs , l’éditeur va t’il répliquer casterman et Alix en publiant à tour de bras pour rentabiliser la coûteuse licence, eux l’ont donc le risque comme Marvel au cinéma c’est la lassitude .

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    • Répondu le 14 novembre 2023 à  10:53 :

      C’est incroyable le nombre de gens qui postent des commentaires ici sans faire le moindre effort de syntaxe, de ponctuation ou même d’articulation d’une ou deux idées cohérentes. C’est quoi votre problème ? Vous êtes en CE1 ou vous avez peur d’être compris ?

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      • Répondu par Milles Sabords le 19 novembre 2023 à  07:03 :

        Après le « Le Gendarme à New-York », on a droit à un « Blake et Mortimer à New-York » ; à quant un « Blake et Mortimer de Saint -Tropez », un « Blake et Mortimer en balade », un « Blake et Mortimer se marient », un « Blake et Mortimer et les extra-terrestres » ?

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        • Répondu le 19 novembre 2023 à  18:08 :

          Ça ne peut pas plaire à tout le monde mais c’est un des meilleurs B&M depuis le début des reprises. Un des plus fidèles dans l’esprit tout en étant un des plus audacieux dans la forme. Une réussite.

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          • Répondu le 20 novembre 2023 à  17:42 :

            Il n’y a pas d’audace dans la forme, c’est plus une suite d’illustrations sous forme de planches proches d’un Roy Lichtenstein, un album aussi lisse et froid qu’une couverture de magazine de mode.

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            • Répondu le 21 novembre 2023 à  11:35 :

              Absolument. C’est ça qui est bien. Mais comme on disait, ça ne peut pas plaire à tout le monde.

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        • Répondu par Laurent Colonnier le 20 novembre 2023 à  19:15 :

          Blake et Mortimer et les extra-terrestres ça existe déjà.

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          • Répondu le 21 novembre 2023 à  13:36 :

            Faudrait rappeler que c’est Roy Lichtenstein qui s’est inspiré des auteurs de bande dessinée et non l’inverse.

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