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Paris accueille Hergé au Grand Palais

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 septembre 2016                      Lien  
Foutraque. Telle est en un mot l’impression que laisse au visiteur l’exposition Hergé au Grand Palais à Paris. Un événement peut-être trop survendu par les médias, trop célébré par une génération de nostalgiques et d’académiciens. Hergé, et Tintin son prophète, avec sa cohorte de clercs, sont-ils devenus les nouvelles idoles d’une France en crise (de religion) et en perte de sens ? Il faut espérer que non. Reste que les documents sont magnifiques.

Pierre Sterckx, le grand critique d’art ami d’Hergé décédé récemment, nous manque beaucoup. Son verbe enthousiaste résonne encore sur l’expo du Grand Palais, lui dont les citations émaillent les séquences les plus intéressantes de ce parcours.

Lequel, étrangement, commence par la collection d’œuvres d’art d’Hergé –signées Dubuffet, Warhol, Liechtenstein, Alechinsky, Fontana…- confrontées aux propres tableaux du dessinateur de Tintin dont le talent se dissout pour la circonstance dans les influences de Mirò ou de Modigliani (notamment dans un beau portrait de son épouse Fanny).

Paris accueille Hergé au Grand Palais
Hergé entre, trente ans après Hugo Pratt, dans le Grand Palais à Paris.

La collection d’œuvres d’art d’Hergé est confrontée à ses propres tableaux d’inspiration contemporaine.

Intitulées « Grandeur de l’art mineur  », un titre dont on ne sait s’il est pétri d’ironie ou de condescendance, et « Hergé amateur d’art », les deux premières salles tentent-elles de donner l’impression qu’ « Hergé-le-peintre » est l’essence de son œuvre ? La démonstration serait bancale et surtout fausse. Au-delà des avertissements de Pierre Sterckx qui précisa bien pourtant que la bande dessinée était un art à part entière dans lequel Hergé excelle, c’est cette volonté d’insister à tout prix sur le fait que la bande dessinée est bien l’un des « Beaux-Arts » qui est dépassée. Comme s’il fallait s’excuser d’oser l’exposer dans ce temple de la consécration qu’est le Grand Palais, alors qu’Hugo Pratt avait déjà ouvert la voie, dès 1986…

Des explications claires sur le processus de création sont offertes au public.
Un beau moment de l’exposition : la réunion de toutes les couvertures du Petit Vingtième qui mettent en évidence les talents d’illustrateur et de typographe d’Hergé.

Un fil rouge peu clair

Tout le parcours en témoigne. On vous parle du trait, du blanc, de la vibration, de la création… Certes, mais ce qui importe –et ces éléments techniques sont dans l’expo : par exemple les plaques de zinc qui ont servi à imprimer Tintin au Pays des Soviets- ce sont les procédés qu’Hergé, dont les débuts se font dans l’atelier de photogravure du quotidien Le XXe Siècle, met en place pour forger son style et déterminer ses choix graphiques. Ou plus exactement, la rencontre raisonnée entre la création et ces techniques.

Ce manque de vision dans le propos handicape à notre sens la compréhension du parcours. Sur deux niveaux, on passe des collections de peinture d’Hergé à ses techniques de narration, à sa curieuse mutation de la guerre où il se compromet avec l’occupant tout en accédant à la notoriété, à l’inventaire de ses principaux personnages dans une salle décevante où trône en son centre une maquette de Moulinsart, à un détour par la série Jo, Zette et Jocko créée pour l’hebdomadaire catholique français Cœurs Vaillants

Bonne idée que cette page de journal qui résume la "drôle de guerre" d’Hergé. Quelques oublis curieux sont à constater cependant...
Dans cette salle un peu décevante, les personnages d’Hergé sont passés en revue un à un.

Il faut attendre les salles 8 et 9 pour comprendre ce qui fait le fondement du dessin d’Hergé, encore que ce ne soit pas expliqué clairement. D’abord, grâce à Tchang Tchong-Jen, le jeune étudiant des Beaux-Arts chinois qui, tout en le documentant sur la Chine, lui enseigna les secrets du trait oriental : «  Sans Tchang et son art des flux, dit Sterckx, la ligne claire eût pu devenir une ligne trop dure, une ligne d’acier. »

De l’art…

Mais la salle suivante est plus explicite encore, et c’est sans doute la plus spectaculaire du parcours : elle démontre tout le talent acquis par Hergé dans le domaine de la publicité et dans la conception de logotypes. Ces derniers constellent les murs d’un sas qui aboutit à une salle remplie de dessins d’affiches. On y voit l’influence de Cassandre, de Léo Marfurt (un artiste suisse établi en Belgique qu’Hergé, selon le témoignage de sa première épouse, Germaine Kieckens, admirait beaucoup), l’affiche très réussie pour Maurice Chevalier à la Scala de Bruxelles… Des gouaches précises, dessinées au cordeau, avec un sens très sûr de la typographie et de la mise en page.

C’est dans cette salle que l’on prend conscience à quel point la thèse introductive est source d’erreur : ce n’est pas la peinture, ni même les beaux-arts qui structurent le travail d’Hergé mais bien les arts décoratifs et les arts appliqués qui colonisent au même moment tous les autres arts grâce au mouvement Bauhaus. La démonstration en sera faite bien des années plus tard par le Hollandais Joost Swarte, l’inventeur du concept de la ligne claire, qui puise aux mêmes sources constructivistes et Bauhaus. Le dessinateur flamand Herr Seele ne dit pas autre chose.

Dans un sas, l’incroyable collection de logos créés par Hergé. Ils démontrent ses qualités de graphiste.
Dans le domaine de l’affiche, Hergé rivalise avec Cassandre et Léo Marfurt.

Une curieuse fin

Faire achever l’exposition sur Tintin au pays des Soviets, sur les influences des prédécesseurs d’Hergé (Benjamin Rabier, George McManus, Alain Saint-Ogan… On oublie systématiquement Christophe…), sur «  la beauté silencieuse du noir et blanc » et «  la recette de la ligne claire  » puis une autre salle consacrée au scoutisme, apparaît comme une incongruité.

Reste quelques fulgurances scénographiques, comme ces brouillons de L’Alphart, l’ultime album inachevé d’Hergé, composant le nom du créateur ou cette « salle à selfies » où le visiteur peut se photographier au cœur d’une manifestation composée des personnages d’Hergé. Il y a aussi ces magnifiques séquences de télé prêtés par l’INA où Hergé explique, face à Michel Drucker, l’art de la bande dessinée avec l’appui du cinéaste Yves Robert. Cela compense une exposition qui, même si elle se veut « grand public », ne s’adresse manifestement pas aux enfants.

Joli "geste" scénographique autour des crayonnés de "Tintin et l’Alphart"
Lieu d’espace et de selfies avec, à l’arrière-plan, tous les héros d’Hergé.

Reste aussi pour le tintinophile aguerri quelques pépites à découvrir, comme ce « Jamin » répété de façon obsessionnelle en marge d’un crayonné où apparaît le Capitaine Haddock. Paul Jamin était le binôme d’Hergé au Petit Vingtième, condamné à mort [1] à la Libération en raison de sa collaboration au « Soir volé » pendant l’Occupation, auteur de très nombreuses illustrations pronazies et de caricatures antisémites.

Son nom s’accompagne du mot mystérieux de « commissaire »… Hergé avait-il été interrogé par la police à propos de son ancien camarade ? Comme on le voit, cet éclairage abondant sur la vie et l’œuvre d’Hergé laisse encore un bon nombre de zones d’ombre…

Sur un crayonné, le nom mystérieux de Jamin...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782711863518

Hergé au Grand Palais,
Du 28 septembre au 15 janvier 2016
Entrée Square Jean Perrin
Informations et réservations sur LE SITE DE L’EVENEMENT

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[1Mais, rassurez-vous, laissé vivant : on n’exécute pas en Belgique.

Hergé et Tintin
 
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2 Messages :
  • Paris accueille Hergé au Grand Palais
    28 septembre 2016 13:05

    Malgré vos nombreux bémols sur la scénographie, les logos et les affiches me donnent envie d’y aller quand même.

    Répondre à ce message

  • Paris accueille Hergé au Grand Palais
    28 septembre 2016 17:08, par Gilles

    Assez d’accord avec vous, cette exposition est une certaine déception car elle a été survendue et (surtout) qu’elle part dans tous les sens. Impossible d’y voir la moindre ligne directrice et résultat, elle ne nous raconte pas grand chose.

    Je l’ai trouvé bien moins intéressante que celle du musée de la Marine ou de Pompidou, d’il y’a quelques années... Peut être aussi que la relative déception vient aussi du fait qu’il y’a eu tellement d’expo Hergé qu’il n’y a plus grand chose à apprendre...

    Maintenant la scénographie et les moyens de cette expo sont sans commune mesure avec tout ce qui s’est fait jusqu’à present et surtout cela reste toujours un plaisir incroyable de regarder de près tant d’originaux.

    Répondre à ce message

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